Double-Blanc. Fortuné du Boisgobey. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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mettait à marier sa fille au dernier des Scaër pouvait bien cacher une arrière-pensée. Ce soupçon naissant tourmentait Hervé plus que de raison.

      Et l’étrange incident du carnet volé lui revenait à l’esprit.

      Le voleur ne s’était plus montré depuis la tentative manquée sur la place Vendôme. Cela ne prouvait pas qu’il eût renoncé à rentrer en possession d’un objet auquel il paraissait tenir tout autant que s’il lui eût appartenu légitimement, et Hervé avait hâte de savoir si ce chenapan ne s’était pas retourné contre Alain Kernoul.

      Pour le savoir, il fallait d’abord trouver le domicile du gars aux biques, et Hervé, entré par le boulevard Saint-Michel dans la rue de la Huchette, cheminait, le nez en l’air, en regardant du côté des numéros pairs.

      Il ne tarda guère à voir le 22, plaqué sur une large, haute et vieille maison, irrégulièrement percée de fenêtres de dimensions inégales.

      Plus de murs que d’ouvertures dans cette longue façade, coupée à chaque bout par une ruelle aboutissant au quai.

      En bas et à peu près au milieu, une porte bâtarde qui n’était pas fermée, et au-delà une allée sombre.

      Ce triste logis convenait fort bien à un ménage persécuté par la fortune et répondait à l’idée que Scaër s’était faite de l’immeuble où Alain abritait sa misère… et sa malade.

      Il ne s’agissait plus que d’y entrer, mais à quel étage perchait le couple et à qui s’en informer? Ces masures-là n’ont jamais de concierge.

      Il y avait bien, au rez-de-chaussée, trois ou quatre boutiques, mais elles étaient closes et il ne paraissait pas que, depuis des temps reculés, elles eussent jamais été louées, car les volets tombaient de vétusté.

      Les fenêtres aussi étaient fermées, et Hervé aurait pu croire que personne n’habitait cette bâtisse vermoulue si, en se reculant pour mieux voir, il n’eût remarqué, sur le rebord d’une croisée du cinquième étage, des pots de fleurs, une caisse peinte en vert et un treillage en fil de fer évidemment destiné à supporter au prochain printemps des tiges de plantes grimpantes.

      – C’est le jardin de Jenny l’ouvrière, chantonna Hervé. Je parierais volontiers que c’est Alain qui le cultive pour sa bonne amie.

      L’indication, à vrai dire, était insuffisante, mais faute de renseignements plus précis qu’il n’espérait pas obtenir, il se décida à tenter l’ascension, non sans avoir préalablement observé et noté comment la fenêtre était placée.

      C’était la dernière à gauche en regardant la maison: la plus rapprochée, par conséquent, d’une des deux ruelles qui coupaient à angle droit la rue de la Huchette, et elles s’ouvrait immédiatement sous la gouttière du toit.

      Donc, pour arriver à ce logement – le seul qui parût être occupé – il fallait monter tout en haut de l’escalier et s’adresser à gauche.

      Si Alain ne demeurait pas là, Hervé trouverait du moins à qui parler.

      Il entra donc bravement dans cette allée où on n’y voyait goutte et, en poussant jusqu’au bout, il finit par mettre le pied sur une marche déjetée et la main sur une rampe branlante.

      Le plus fort était fait. Il tenait maintenant le fil conducteur et il n’avait plus qu’à le suivre jusqu’au bout.

      Il pesta bien un peu contre le pauvre diable qui campait dans un taudis où on risquait de se casser le cou quand on venait le voir, mais il se reprocha aussitôt ce mouvement d’impatience et il continua son escalade en se disant que ce n’était pas la faute d’Alain, s’il était si mal logé.

      Hervé fit à tâtons la première partie du chemin; puis, les ténèbres s’éclaircirent. À chaque étage, il y avait ce que, dans la langue des propriétaires d’immeubles, on appelle un jour de souffrance, c’est-à-dire une étroite ouverture garnie d’un vitrage et recevant un peu de lumière par la cour de la maison.

      Au château de Trégunc, l’escalier d’une des tours, bâtie au seizième siècle, était éclairé de la même façon par des barbacanes percées dans l’épaisseur du mur.

      La ressemblance s’arrêtait là, mais il n’en fallut pas davantage pour rappeler à Hervé le manoir où il était né.

      Cette évocation du passé ne dura d’ailleurs que le temps qu’il mit à atteindre le dernier palier.

      Là, il s’arrêta pour reprendre haleine et il vit, se faisant vis-à-vis, deux portes, dont une n’avait pas de serrure.

      L’autre n’avait pas de sonnette, mais il y heurta, sans hésiter.

      Elle ne s’ouvrit pas à la première sommation, et après avoir un peu attendu, Hervé recommença en frappant plus fort.

      Cette fois, il entendit qu’on marchait dans l’intérieur de l’appartement, mais comme on n’ouvrait toujours pas, il cria très haut:

      – Je cherche Alain Kernoul. Est-ce ici?

      – Qu’est-ce que vous lui voulez? demanda une voix connue d’Hervé qui s’empressa de répondre:

      – Je veux te voir, mon gars. Ouvre à ton maître.

      L’effet de cette déclaration fut immédiat et décisif. La porte s’ouvrit toute grande et Alain se montra. Il n’était plus habillé en troubadour, mais peu s’en fallut que Scaër n’éclatât de rire en le voyant affublé d’une peau de bique en guise de robe de chambre, culotté d’un maillot sale et chaussé de savates éculées.

      Son costume était comme une enseigne qui indiquait tout à la fois sa nationalité, sa profession et sa misère: Bas-Breton, figurant au théâtre et va-nu-pieds à la ville.

      – Vous ici, notre maître! s’écria le pauvre diable.

      – Il faut bien que j’y vienne, puisque tu ne viens pas chez moi, répondit brusquement Hervé. Pourquoi ne t’ai-je pas vu depuis deux jours?

      – Excusez-moi, monsieur. C’est que ma femme a été bien malade. Je ne pouvais pas la laisser seule.

      – Bon!… et ton théâtre?

      – J’ai manqué mon service hier et avant-hier. Je le ferai ce soir, si on veut bien me reprendre.

      – Alors, elle va mieux, ta femme?

      – Pas beaucoup mieux. Cette nuit, j’ai cru qu’elle allait passer… elle étouffait… mais la crise est finie… maintenant, elle dort.

      – Ne la réveillons pas.

      – Oh! elle ne dort jamais longtemps… malheureusement. Et elle sera bien contente de vous remercier. Je lui ai tout raconté… elle sait que je vous ai rencontré au bal, que vous m’avez donné vingt francs et que j’ai eu la chance de vous débarrasser d’un gueux qui allait vous tomber dessus. Elle se souvient très bien de vous avoir vu à Concarneau, il y a trois ans.

      – Peste! quelle mémoire!… Je ne suis entré qu’une fois dans la baraque où elle dansait et je ne lui ai pas parlé.

      – Eh bien, elle vous a remarqué tout de même… elle prétend qu’elle vous reconnaîtrait… et depuis que je lui ai dit que vous me permettriez de revenir travailler sur votre ferme de Lanriec, elle ne fait que prier le bon Dieu pour vous.

      – Je lui revaudrai ça… et à toi aussi, mon gars. Vous pouvez compter sur moi tous les deux et je vais la recommander à une dame qui lui viendra en aide. Si ta malade peut être sauvée, on la sauvera… mais tu habites une drôle de maison… pas de portier… pas d’éclairage… j’ai eu bien de la peine à te dénicher ici.

      – Je m’y suis mis parce que je n’avais pas le choix. On ne voulait de nous nulle part et on nous a permis de demeurer ici pour rien.

      – Comment!… il existe à Paris un propriétaire qui loge les gens gratis!

      – Oui,