Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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récidiviste comme elle trouvera sûrement un expédient pour faire parvenir des avis au dehors … Cela ne se peut, l’intérêt de la justice et de la vérité doit passer avant tout.

      Cette dernière considération l’emporta.

      – Il importe, commanda-t-il, que la prévenue reste au secret jusqu’à nouvel ordre.

      Le garde de Paris laissa retomber la main du salut, porta le pied droit à trois pouces en arrière du talon gauche, fit demi-tour et s’éloigna au pas ordinaire.

      La porte refermée, le souriant greffier tira de sa poche une large enveloppe.

      – Voici, dit-il, une communication de monsieur le directeur.

      Le juge rompit le cachet et lut à haute voix :

      « Je ne saurais trop conseiller à monsieur le juge d’instruction de s’entourer de sérieuses précautions quand il interrogera le prévenu Mai.

      « Depuis sa tentative avortée de suicide, ce prévenu est dans un tel état d’exaltation qu’on a dû lui laisser la camisole de force. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit, et les gardiens qui l’ont veillé s’attendaient à tout moment à voir la folie se déclarer. Cependant il n’a pas prononcé une parole.

      « Quand on lui a présenté des aliments ce matin, il les a repoussés avec horreur, et je ne serais pas éloigné de lui croire l’intention de se laisser mourir de faim.

      « J’ai rarement vu un malfaiteur plus dangereux. Je le crois capable de se porter aux plus affreuses extrémités…. »

      – Bigre !… exclama le greffier dont le sourire pâlit ; à la place de monsieur le juge, je ferais entrer les soldats qui vont amener ce gaillard-là.

      – Quoi !… c’est vous, Goguet, fit doucement M. Segmuller, vous, un vieux greffier, qui parlez ainsi. Auriez-vous peur ?…

      – Peur, moi ?… Certainement non, mais….

      – Bast !… interrompit Lecoq, d’un ton qui trahissait sa confiance en sa prodigieuse vigueur, ne suis-je pas là !

      Rien qu’en s’asseyant à son bureau, M. Segmuller eût eu comme un rempart entre le prévenu et lui. Il s’y tenait d’habitude ; mais après le mouvement d’effroi de son greffier, il eût rougi de paraître craindre.

      Il se plaça donc près du feu, comme l’instant d’avant, quand il interrogeait la Chupin, et sonna pour donner l’ordre d’introduire l’homme, seul. Il insista sur ce mot : seul.

      La seconde d’après, la porte s’ouvrait avec une violence terrible, et le meurtrier entrait, se précipitait, plutôt, dans le cabinet.

      Le taureau qui s’échappe de l’abattoir, après avoir été manqué par la masse du boucher, a ces allures affolées, ces mouvements désordonnés et sauvages.

      Goguet en blêmit derrière sa table, et Lecoq fit un pas, prêt à s’élancer.

      Mais, arrivé au milieu de la pièce, l’homme s’arrêta, promenant autour de lui un regard perçant.

      – Où est le juge ?… demanda-t-il d’une voix rauque.

      – Le juge, c’est moi, répondit M. Segmuller.

      – Non … l’autre.

      – Quel autre ?

      – Celui qui est venu me questionner hier soir.

      – Il lui est arrivé un accident. En vous quittant il s’est cassé la jambe.

      – Oh !…

      – Et c’est moi qui le remplace….

      Mais le prévenu semblait hors d’état d’entendre. À son exaltation frénétique succédait subitement un anéantissement mortel. Ses traits contractés par la rage se détendaient. Il était devenu livide, il chancelait…

      – Remettez-vous, lui dit le juge d’un ton bienveillant, et si vous vous sentez trop faible pour rester debout, prenez un siège….

      Déjà, par un prodige d’énergie, l’homme s’était redressé. Même une flamme, aussitôt éteinte, avait brillé dans ses yeux….

      – Bien des merci de votre bonté, monsieur, répondit-il, mais ça ne sera rien… j’ai eu comme un éblouissement, il est passé.

      – Il y a longtemps peut-être que vous n’avez mangé ?…

      – Je n’ai rien mangé depuis que celui-ci, – il montrait Lecoq, – m’a apporté du pain et du jambon, au violon, là-bas.

      – Sentez-vous le besoin de prendre quelque chose ?

      – Non !… Quoique cependant … si c’était un effet de votre bonté… je boirais bien un verre d’eau.

      – Voulez-vous du vin avec ?…

      – J’aime mieux de l’eau pure.

      On lui apporta ce qu’il demandait.

      Aussitôt il se versa un premier verre qu’il avala d’un trait, puis un second qu’il vida lentement.

      On eût dit qu’il buvait la vie. Il semblait renaître.

      Chapitre 18

      Sur vingt prévenus qui arrivent à l’instruction, dix-huit au moins se présentent armés d’un système complet de défense, conçu et discuté dans le silence des « secrets. »

      Coupables ou innocents, ils ont adopté un rôle qui commence à l’instant où, le cœur battant et la gorge sèche, ils franchissent le seuil du cabinet redoutable où les attend le magistrat instructeur.

      Ce moment de l’entrée du prévenu est donc un de ceux où le juge met en jeu toute la puissance de sa pénétration.

      L’attitude de l’homme doit trahir le système, comme une table résume les matières d’un volume.

      Mais ici, M. Segmuller n’avait pas, croyait-il, à se défier de trompeuses apparences. Il était évident pour lui que le prévenu n’avait pu songer à feindre, que le désordre de son arrivée était aussi réel que son anéantissement présent.

      Du moins, tous les dangers dont avait parlé le directeur du Dépôt étaient écartés. Le juge alla donc s’établir à son bureau. Il s’y sentait plus à l’aise, et pour ainsi dire plus fort. Là, il tournait le dos au jour, sa tête s’effaçait dans l’ombre, et au besoin il pouvait, rien qu’en se baissant, dissimuler une surprise, une impression trop vive.

      Le prévenu, au contraire, restait en pleine lumière, et pas un des tressaillements de sa face, pas un des battements de sa paupière ne devait échapper à une attention sérieuse.

      Il paraissait alors complètement remis, et ses traits avaient repris l’insoucieuse immobilité de la résignation.

      – Vous sentez-vous tout à fait mieux ?… lui demanda M. Segmuller.

      – Je vais très bien.

      – J’espère, poursuivit paternellement le juge, que vous saurez vous modérer, maintenant. Hier, vous avez essayé de vous donner la mort. C’eût été un grand crime ajouté aux autres, un crime qui…

      D’un geste brusque, le prévenu l’interrompit.

      – Je n’ai pas commis de crime, dit-il, d’une voix rude encore, mais non plus menaçante. Attaqué, j’ai défendu ma peau, ce qui est le droit de chacun. Ils étaient trois sur moi, des enragés … j’ai tué pour ne pas être tué. C’est un grand malheur, et je donnerais ma main pour le réparer, mais ma conscience ne me reproche pas ça.

      Ça … c’était le claquement de l’ongle de son pouce sous ses dents.

      – Cependant, continua-t-il, on m’a arrêté et traité comme un assassin. Quand je me suis vu tout seul dans ce cercueil de pierre que vous appelez « le secret, » j’ai eu peur, j’ai perdu la