Just do it
Le Havre, mai 1975 +++++ A quinze ans, Katy découvre la liberté d’une adolescente de l’époque hippie. Au foyer de jeunes filles « Les Algues », on fait la fête jusqu’à tomber par terre. Vin. Cognac. Tord-boyaux. Katy décolle complètement, se bourre souvent complètement la gueule. Celles qui ont du travail et qui peuvent se payer quelque chose de correct proposent assez souvent une gorgée aux plus jeunes. Hé, les gosses de la DDASS, ça vous dit, un petit verre ? Katy commence à aimer ça. Le vin rouge, super. Oh oui. Pas comme son père, qui ne picolait que du Ricard à la maison. Mais qui attaquait dès le matin. Quel primitif, ce Kabyle ! Stop ! Katy se rappelle à l’ordre. Ne plus jamais penser à cette famille de merde ! Plus jamais ! Pour le fric, Katy et ses camarades de classe bossent quelques heures au port. Elles ouvrent les caisses de fruits, les contrôlent, en retirent les fruits pourris, referment les caisses et les empilent. Il arrive qu’une belle orange disparaisse dans un cartable. Et avec leur salaire, les filles s’achètent de l’alcool et du tabac. Il se passe des choses incroyables dans le foyer de jeunes filles. Elles fument presque toutes de l’herbe, et Katy est toujours à fond. Toujours en action. Katy ne reste pas une seconde en place, elle est comme un yoyo, toujours en mouvement. Et plus elle s’agite, moins elle parle. Son échange avec le monde disparaît derrière ses mouvements saccadés. En revanche, elle devient une danseuse super douée. Pas besoin de parler, quand on danse. +++ Sniffer, tirer, cracher, renifler, Katy voudrait se faire exploser la tête, c’est trop bien. Paf. Mais elle n’a pas souvent le fric pour le faire. Et le grand jeu, le fantôme hors de prix, l’héroïne ? Aucune chance. On ne se pique pas au foyer, les filles n’ont pas assez de pépètes. Et avec la drogue, il n’y a pas de cadeaux, pas d’échanges. Pour les drogues dures, on paie cash, les poches des prêteurs sont soudain bien fermées. Une fois, Katy trouve le moyen de sniffer sans rien payer du tout : en échange, elle fait le clown, et toutes les filles sont mortes de rire. C’était déjà sa spécialité quand elle était gamine. Grave. Katy leur concocte un numéro de strip-tease sur « Money, Money, Money » d’Abba. Quand il ne lui reste plus que son slip, les filles pissent de rire. A cette époque, Katy met du 50, elle pèse 85 kilos. A chacune des poses qu’elle prend, on voit ses kilos en trop qui débordent. Il y a un an, elle portait encore du 36. Son envie de vivre est insatiable. Elle mange, elle boit, elle fait tout ce qui lui donne un sentiment de chaleur. Quand elle a de l’argent, elle mange de la viande au petit-déjeuner. Ou une demi-douzaine de merguez. Et hop, la bonne Katy s’envoie tout. Tout. Quand le fumet de la viande vient lui chatouiller les narines, quand la première bouchée fond sur sa langue, un sentiment de bien-être l’envahit. Et puis les frites, délicieux, avec de la moutarde, elle les mange avec les doigts, elles sont toutes craquantes. Oh oui, mais la bouchée est déjà avalée. Katy oublie la sensation de satiété. « Money, Money, Money. » Katy décolle. Et ce ne sont pas les applaudissements qui manquent. Lorsque son énorme soutif vole dans la pièce, elle découvre sa copine et camarade de chambre Malou parmi les filles en délire. C’est bien. Cette idée traverse le crâne de Katy. Logique, avec Malou, tout finit toujours bien. Au fait, Katy garde son slip. Elle aurait honte de se balader sans. +++ Enfin, c’est l’heure de sniffer, et Katy est invitée. Comme toujours, Malou n’a pas envie de toucher à la came des autres. Malou préfère fumer de l’herbe, son herbe à elle. Malou en fourgue de petites quantités au foyer de jeunes filles, dans des fêtes ou chez MC. Dans ce domaine, Malou a son caractère, elle ne laisse personne voir dans son jeu. Et Katy s’en tape. Déjà, parce que Malou lui donne toujours un petit quelque chose, un service d’amie, elles appellent ça toutes les deux. « Hé, Malou ! », lui susurre Katy quand elle en a besoin, c’est à-dire tous les jours, « t’aurais pas un petit service d’amie pour ta meilleure amie ? » Malou donne toujours. +++ Katy, curieuse, va rejoindre les sniffeuses de coke. « Tu l’as déjà fait ? », lui demande Jocelyne, une des plus vieilles. « Non, répond Katy franchement, mais je trouve ça trop cool ! » « Oui, eh ben, fais gaffe, mon petit agneau dodu », dit Jocelyne en passant un bras amical autour des épaules de Katy, « c’est un jeu d’enfants. Mais il y a des règles. Par exemple, tu prends ton propre truc pour sniffer quand le miroir avec les lignes arrive à toi. Fais-toi un petit rouleau de papier ou prends une paille coupée. Et fais bien attention de ne sniffer que de la poudre finement hachée, sinon tu vas te niquer les muqueuses. Et surtout, mon cœur, vas-y mollo ! Commence tout doucement, sinon tu vas voir des étoiles. » « Et moi qui croyais qu’on faisait ça avec des billets de banque », dit Katy qui a vu ça au cinéma. « N’importe quoi ! » rétorque Jocelyne, « c’est bien trop crade. Pense un peu à tous les gens qui ont déjà tripoté ton billet ! » +++++ Beurk, dégueulasse ! Katy se réveille tout habillée, et avec une gueule de bois monstrueux. Où suis-je ? Et comment est-ce que je suis arrivée dans mon lit ? « Malou, t’es là ? » « Laisse-moi pioncer, Katy, je suis complètement crevée. » « C’est toi qui m’a ramenée à la maison ? » « Ah ça oui, ma petite Katy ! » Malou se lève et va pisser, encore complètement dans les vapes. Katy sort la tête de sa couette et cherche désespérément à attraper la bouteille d’eau. « Katy, je peux continuer à dormir, maintenant ? S’il te plaît ? » « Malou ? » « Putain, Katy, qu’est-ce qu’y a ? » « J’ai fait des conneries ? » Katy a une boule dans le ventre. « Malou, allez, s’il te plaît ! » « Eh merde – maintenant, je suis complètement réveillée, grâce à toi. » « Malou, s’il te plaît ! » « En tout cas, tu as gentiment mis le paquet, avec ton opération d’hier. Erotiquement parlant. » « Quoi ?! » Katy est horrifiée. Depuis qu’elle a échappé aux viols familiaux avec l’aide de la police, tout contact sexuel est