Dès la première publication [I. (1976): Dimensioni drammatiche della liturgia medioevale], l’affichage est fait: certes pour un Moyen-âge bien lointain, mais qui éclaire justement des liens originels qu’entretissent religion et théâtre, qui tiennent aux rites, qui tiennent à la manière de penser, de bouger, de ressentir d’une communauté. Reléguant au second plan la théologie des savants et des rhétoriciens, le fait religieux ici se fait corps, vue, audition et groupe. C’est dire aussi que la définition du théâtre est large: un art corporel qui signifie, au service d’une autre fonction que le plaisir du regard. Le théâtre est à naître et à émanciper comme le développe la communication finale de Franco Demarchi [I. (1976): «Una prospettiva sociologica sull’evoluzione della liturgia medioevale in teatro religioso»]. Le temps fort de Pâques est scruté dans tous les pays européens (Walter Lipphardt, Ritva Jonnson, Michel Huglo, Domenico Sartore, Jordi Pinell) et les différentes villes italiennes (Giulio Cattin, Alberto Gal-lo, Agostino Ziino); musique et dialogue s’y complètent (Eugenio Costa Jr., Giulio Cattin, Alberto Gallo) œuvrant avec la pédagogie de la prédication qui doit en élucider le sens et guider les fidèles par le seul discours (Bruno Luiselli). Soucieuses de mettre en valeur les manuscrits anciens qui sont des témoins (Raffaello Monterosso, Agostino Ziino) les études s’attachent à chacun des moments qui, en s’insérant, puis en se séparant de la messe, constituent des formes dramatiques à partir du Xe siècle: le trope Quem Quaeritis, mise en dialogue d’une scène de l’Evangile, devient par exemple chant, rencontre, mouvement, procession.
Cette première rencontre est fondatrice, parce qu’elle affiche des principes méthodologiques et idéologiques qui seront tenus jusqu’au bout durant 30 ans: le théâtre est l’âme d’une société, bien avant d’appartenir aux auteurs. Et les rites religieux lui donnent sa valeur originelle. Il n’existe évidemment pas de «pur religieux»: les préoccupations des producteurs, fût-ce pour manifester leur foi, se produisent en ce monde avec ses vicissitudes. Aussi le théâtre religieux pourra-t-il être capté pour servir la célébration du groupe producteur (ordres religieux, confréries) comme des pouvoirs séculiers qui le régissent (ou essaient de le régir). Le volume V (1980): Le Laudi drammatiche umbre delle origini reprend ces mêmes perspectives globales en avançant un peu dans le temps, en partant cette fois d’une forme musicale, associée à une structure dévotionnelle, les confréries (Joselita Raspi Serra), et certains «auteurs» célèbres, Jacopone da Todi, François d’Assise: c’est toujours la dévotion populaire (Paolo Brezzi), une liturgie émancipée (Silvano Maggiani) qui sort du temps préférentiel de Pâques et de l’église-monument vers des dates de célébration et des lieux urbains, parfois organisée en cycles (Peter Meredith). Parce que les études critiques ont privilégié les siècles et genres plus modernes, il n’était pas excessif de consacrer deux colloques proches à la naissance mal connue, où le latin est aussi la langue de la prière et du spectacle.
Synthèse et aboutissement de ce courant d’études associant sociologie (le peuple), esthétique (variété des formes) et croyances, X (1985): Ceti sociali ed ambienti urbani nel teatro religioso europeo del ′300 e del ′400 (nos 14e et 15e siècle) souligne la spécificité urbaine d’une culture qui se forme (difficile de savoir si la religiosité des campagnes est très différente en croyance et évolutive). La ville se fait à la fois commanditaire, acteur et lieu du spectacle religieux (Riccardo Pacciani): aussi les particularités locales peuvent se marquer (Orvieto, étudié par Raimondo Guarino, Eugenio Battisti). La représentation sacrée perpétue les événements locaux et l’évolution des dogmes, le Miracle de Bolsena suscite dans toute la chrétienté la fête du Corpus Domini (Raimondo Guarino, Eugenio Battisti, Roberta Mullini, Rosalba Spinalbelli). Au demeurant, la dignité des sujets laisse une place à des effets d’intertextualité et de mise à distance (Luigi Quattrocchi: «Aspetti parodicisti nel teatro religioso tedesco»). Témoignages écrits et témoignages iconographiques (Lina Bolzoni) sont interrogés pour illustrer le jeu de conventions et de «réalisme» par où la civilisation moderne se reflète dans ces jeux, marqués par la conscience urbaine ou par l’infiltration (déjà) d’une société des élites (Chiara Frugoni, Mercedes de los Reyes Peña, Joan Oleza).
Oserais-je dire, sans décaler beaucoup le propos, qu’il s’agit dans cette perspective d’étude de redonner à une (des) communauté(s) par le théâtre les rites d’intégration qu’elle avait il y a fort longtemps, rites dont le temps présent redécouvre les vertus structurantes? La théologie est à peine en cause, sinon lorsque les contestations se font vives au XVIe siècle: et encore, les études soulignent les aspects pédagogiques, préventifs, du théâtre religieux plus que la polémique. Or le religieux est partout, même si sa part va se restreignant dans la vie théâtrale: de la presque exclusivité des origines (où il n’est concurrencé que par les jongleurs!) à la presque inclusion dans le théâtre profane. Dans la série des colloques, seules 7 publications ne comprennent aucune allusion ostensible au religieux: rien dans XIV (1990): Nascita della tragedia di poesia nei Paesi Europei; XV (1991): Sviluppi della Drammaturgia Pastorale nell’Europa del Cinque-Seicento; XVII (1993): Origini della Commedia nell’Europa del Cinquecento; XX (1996): Tragedie popolari del Cinquecento europeo (crimes!); XXI (1997): Spettacoli studenteschi nell’Europa umanistica (humanistes!); XXXI (2007): Umor nero. Astuzia e sarcasmo nei testi comici popolareschi dell’Europa tardomedioevale, ni XXXII (2008) Fortuna Europea della Commedia dell’Arte.
Le théâtre religieux s’est donc glissé dans tous les endroits attendus. La quête d’un théâtre populaire est dominante, et donc via le peuple tout entier, le théâtre religieux est dans tous les lieux et moments, d’où le parcours de tous les lieux et des provinces in VI (1981): Rappresentazioni arcaiche della tradizione popolare (Gabriella Ferri Piccaluga: «Tra liturgia e teatralita: consuetudini sociali ed immagini dal Medioevo alla Controriforma», Roberto Cipriani: «Riti e simboli della Settimana Santa in Capitanata: il Cristo Rosso di Cerignola», Pietro Sassu, «La Settimana santa a Castelsardo»). Mais il peut réapparaître glissés dans les endroits inattendus, lié au comique, ce qui nous rappelle que nos ancêtres n’ont pas la même réticence au mélange des tons et des genres que ce que laisserait penser le discours pédagogique actuel: Chiara Settis Frugoni, «La rappresentazione dei giullari nelle chiese fino all XII sec.» in II (1977): Il contributo dei Giullari alla drammaturgia italiana delle origini; Sandro Sticca, «Dramma sacro e realismo comico nel teatro medioevale tedesco e francese (X-XII sec.): da Hroswitha di Gandersheim al Mystère d’Adam» in III (1978): L’eredità classica nel medioevo: il linguaggio comico. Avec le colloque XIII (1989): Il Carnevale: dalla tradizione arcaica alla traduzione colta del Rinascimento, on est ailleurs… et pas loin néanmoins de cette appréhension anthropologique du fait religieux.
Plus instrumentalisé, et plus tard le théâtre religieux sert aux ambitions: le rapprochement de la religion et du pouvoir, l’un instrumentalisant l’autre, est particulièrement parlant en XI (1987): Mito e realtà del potere nel teatro: dall′antichità classica al Rinascimento, quand les espérances religieuses servent à l’image impériale (Franco Cardini, «Il Ludus de Antichristo e la teologia imperiale di Federico I») et quand les souverains se font eux-mêmes auteurs (Mario Martelli, «Politica e religione nella Sacra Rappresentazione di Lorenzo de’ Medici»).
Même là où l’on pourrait penser que le théâtre est devenu un spectacle des passions humaines, on s’aperçoit que les thèmes et motifs religieux y fournissent les scénarios les plus évidents et les plus diversifiés, édifiants, terrifiants, le pathos est bien présent; ainsi quand il est question de persécution dans XXVIII (2004): Romanzesche avventure di donne perseguitate nei drammi fra ′4 e ′500, sans même évoquer les martyres, les Miracles fournissent des scénarios (pré-)romanesques que montrent Yasmina Foehr-Janssens «Reines et impératrices au désert: les figures de femmes persécutées dans les Miracles Nostre Dame par personnages du manuscrit de Cangé», ou Georges Ulysse «Donne perseguitate, persecutori e persecutrici. Lettura della Rappresentazione di Stella, un miracolo della Madonna». Plus inattendus, Gaetano Oliva «Margherita Porete: una figura femminile perseguitata» ou Adriano Prosperi