Quatre mots. Anatole Velitchko. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Anatole Velitchko
Издательство: Издательские решения
Серия:
Жанр произведения: Поэзия
Год издания: 0
isbn: 9785005559906
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Prends l’habitude, tu seras soldat ! me disait-elle. »

      J’avais du mal à m’endormir

      Dans ces conditions

      Et longtemps je suivais des yeux

      Les lumières des autos

      Qui tournaient devant le barrage

      Avec un bruit propre à cette époque-là

      Et les images difformes des rideaux tricotés

      Qui couraient le long des murs et du plafond.

19 septembre 2019

      plis feuilles froid campagne

      En Sibérie la fin de l’automne tombe en octobre.

      Il neige souvent le jour de mon anniversaire.

      Ce n’est pas encore de la neige permanente,

      Elle fondra.

      Mais aujourd’hui les plis des feuilles mortes

      Sont remplis de cristaux blancs.

      Je marche sur les feuilles.

      Elles craquent sous mes bottes en caoutchouc,

      Et je réfléchis distraitement

      Qui de mes camarades de classe

      Viendra me rendre visite ce soir,

      Et puis je pense

      Comme il doit faire bon par ce temps

      D’être à la campagne.

      Je n’ai jamais vécu dans un vrai village.

      Je me l’imagine

      D’après les poèmes de Sergueï Essenine2

      Ou les nouvelles de Vassili Choukchine3.

      Mais j’aimerais tellement qu’il y ait un village

      Avec ses huttes, ses clôtures,

      Avec l’or des bouleaux et des trembles

      Sur les berges d’une rivière ou d’un étang

      Un jour neigeux d’octobre.

      Ce serait ma fête secrète.

20 septembre 2019

      crépuscule cœur froid argent

      Ce fut un crépuscule d’hiver.

      Mon cœur bondissait de joie :

      Natacha, la fille dont j’étais amoureux,

      S’était inscrite aux cours de tennis.

      Les cours se passaient le soir

      Et elle m’avait autorisé à la raccompagner

      Jusqu’à l’entrée de son immeuble.

      Je vins en avance et je l’attendis dans le froid.

      Lors de cette attente, je ne voyais rien autour de moi,

      Fixant la porte du gymnase.

      Mais quand enfin elle sortit,

      Tout devint d’un coup argenté :

      Et les monceaux de neige

      Et les réverbères

      Et la légère vapeur de son souffle

      Et le motif brodé de ses mitaines en laine

      Avec lesquelles elle protégeait le visage

      De telle façon qu’on ne pouvait voir

      Que ses yeux

      Avec des cils noirs bordés d’argent.

21 septembre 2019

      mains ciel lacet pleuvoir

      Début de l’automne.

      Les mains de ma fille de trois ans sont froides.

      Le ciel est bleu, même s’il vient de pleuvoir avec force :

      En Sibérie le temps change brusquement.

      Je renoue le lacet de la petite bottine de ma fille.

      Je n’ai encore aucune idée de ce que me réserve l’avenir.

22 septembre 2019

      peinture vestibule libellule voix

      J’étais sorti de l’hôpital psychiatrique

      Au milieu de l’hiver sibérien

      Avec ses gelées impitoyables.

      J’avais vingt ans.

      Mon histoire était un mélange

      D’éléments divers : mon incapacité

      À faire face aux problèmes de l’âge adulte,

      Dépression et surmenage au travail.

      S’y rajoutaient certaines circonstances politiques

      De cette époque difficile.

      Après m’avoir libéré, on m’enjoignit

      De me présenter au dispensaire de la ville

      Afin de recevoir

      Une assistance médicale supplémentaire.

      Le vestibule du dispensaire était décoré

      D’une peinture murale : lac aux libellules.

      La couleur du lac était verte, apaisante.

      La tension nerveuse m’abandonna peu à peu.

      La jeune femme médecin au cabinet

      Feuilleta mon dossier médical

      Et fronça ses sourcils noirs.

      « Je ne comprends pas, dit-elle

      D’une voix mélodique et grave,

      Pourquoi vous ont-ils prescrit tout cela,

      Ces médicaments puissants aux effets incertains ?

      J’ai pourtant l’impression

      Que vous êtes un jeune homme

      Parfaitement normal. Vous souffrez juste

      De surmenage et de stress.

      Tout ce dont vous avez besoin

      C’est d’une bonne psychothérapie.

      Voici les coordonnées du thérapeute à l’université.

      Allez le voir. »

      Je remerciai la jeune femme

      Et descendis dans le hall aux libellules.

      Ce furent les premières paroles

      D’humanité et de compassion

      Qui m’eussent été adressées

      Depuis si longtemps.

23 septembre 2019

      insectes porte étang d’où

      Au centre de loisirs

      La porte du sauna donnait directement

      Sur la jetée en planches de bois

      D’où l’on pouvait


<p>2</p>

Sergueï Essenine (1895 – 1925) – poète russe, chantre de la vie rurale. Sa poésie au lyrisme sublime et aux métaphores osées est largement connue et appréciée même en dehors des milieux littéraires ; elle fait partie des programmes scolaires en Russie. Son destin fut tragique : ayant sombré dans l’alcoolisme et sévèrement critiqué dans la presse, Sergueï Essenine se suicida à l’âge de trente ans.

<p>3</p>

Vassili Choukchine (1929 – 1974) – écrivain, acteur et réalisateur de cinéma russe, originaire d’un petit village en Sibérie occidentale. Outre ses remarquables réalisations cinématographiques, il est connu comme l’auteur de nombreux récits et nouvelles décrivant la vie des paysans sibériens dans les années 1950 et 60, l’exode rural, l’adaptation difficile à l’existence dans une grande ville. Ses œuvres sont imprégnées d’une profonde humanité et présentent un large panneau de personnages et situations. Vassili Choukchine jouit d’un véritable culte en Russie, et plus particulièrement en Sibérie.