J’avais du mal à m’endormir
Dans ces conditions
Et longtemps je suivais des yeux
Les lumières des autos
Qui tournaient devant le barrage
Avec un bruit propre à cette époque-là
Et les images difformes des rideaux tricotés
Qui couraient le long des murs et du plafond.
plis feuilles froid campagne
En Sibérie la fin de l’automne tombe en octobre.
Il neige souvent le jour de mon anniversaire.
Ce n’est pas encore de la neige permanente,
Elle fondra.
Mais aujourd’hui les plis des feuilles mortes
Sont remplis de cristaux blancs.
Je marche sur les feuilles.
Elles craquent sous mes bottes en caoutchouc,
Et je réfléchis distraitement
Qui de mes camarades de classe
Viendra me rendre visite ce soir,
Et puis je pense
Comme il doit faire bon par ce temps
D’être à la campagne.
Je n’ai jamais vécu dans un vrai village.
Je me l’imagine
D’après les poèmes de Sergueï Essenine2
Ou les nouvelles de Vassili Choukchine3.
Mais j’aimerais tellement qu’il y ait un village
Avec ses huttes, ses clôtures,
Avec l’or des bouleaux et des trembles
Sur les berges d’une rivière ou d’un étang
Un jour neigeux d’octobre.
Ce serait ma fête secrète.
crépuscule cœur froid argent
Ce fut un crépuscule d’hiver.
Mon cœur bondissait de joie :
Natacha, la fille dont j’étais amoureux,
S’était inscrite aux cours de tennis.
Les cours se passaient le soir
Et elle m’avait autorisé à la raccompagner
Jusqu’à l’entrée de son immeuble.
Je vins en avance et je l’attendis dans le froid.
Lors de cette attente, je ne voyais rien autour de moi,
Fixant la porte du gymnase.
Mais quand enfin elle sortit,
Tout devint d’un coup argenté :
Et les monceaux de neige
Et les réverbères
Et la légère vapeur de son souffle
Et le motif brodé de ses mitaines en laine
Avec lesquelles elle protégeait le visage
De telle façon qu’on ne pouvait voir
Que ses yeux
Avec des cils noirs bordés d’argent.
mains ciel lacet pleuvoir
Début de l’automne.
Les mains de ma fille de trois ans sont froides.
Le ciel est bleu, même s’il vient de pleuvoir avec force :
En Sibérie le temps change brusquement.
Je renoue le lacet de la petite bottine de ma fille.
Je n’ai encore aucune idée de ce que me réserve l’avenir.
peinture vestibule libellule voix
J’étais sorti de l’hôpital psychiatrique
Au milieu de l’hiver sibérien
Avec ses gelées impitoyables.
J’avais vingt ans.
Mon histoire était un mélange
D’éléments divers : mon incapacité
À faire face aux problèmes de l’âge adulte,
Dépression et surmenage au travail.
S’y rajoutaient certaines circonstances politiques
De cette époque difficile.
Après m’avoir libéré, on m’enjoignit
De me présenter au dispensaire de la ville
Afin de recevoir
Une assistance médicale supplémentaire.
Le vestibule du dispensaire était décoré
D’une peinture murale : lac aux libellules.
La couleur du lac était verte, apaisante.
La tension nerveuse m’abandonna peu à peu.
La jeune femme médecin au cabinet
Feuilleta mon dossier médical
Et fronça ses sourcils noirs.
« Je ne comprends pas, dit-elle
D’une voix mélodique et grave,
Pourquoi vous ont-ils prescrit tout cela,
Ces médicaments puissants aux effets incertains ?
J’ai pourtant l’impression
Que vous êtes un jeune homme
Parfaitement normal. Vous souffrez juste
De surmenage et de stress.
Tout ce dont vous avez besoin
C’est d’une bonne psychothérapie.
Voici les coordonnées du thérapeute à l’université.
Allez le voir. »
Je remerciai la jeune femme
Et descendis dans le hall aux libellules.
Ce furent les premières paroles
D’humanité et de compassion
Qui m’eussent été adressées
Depuis si longtemps.
insectes porte étang d’où
Au centre de loisirs
La porte du sauna donnait directement
Sur la jetée en planches de bois
D’où l’on pouvait