Comment, c’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien.
Ah! c’est qu’au temps de ma jeunesse je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose.»
Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. Léon embrassa le petit Jacques, qui lui demanda tout bas pardon. «Tais-toi, lui répondit Léon, rougissant légèrement: ne parlons plus de cela.» C’est que Léon sentait que l’observation de Jacques avait été vraie. Et il se promit de ne plus la mériter à l’avenir.
Il s’agissait maintenant de meubler les maisons; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés[36]. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons.
«Venez voir, criait Léon, le beau tapis que nous avons sous notre table.
– Et nous, au lieu de tapis, nous avons une toile cirée, répondait Sophie.
– Venez essayer notre banc: il est aussi commode que les fauteuils du salon, disait Jean.
– Venez voir notre armoire pleine de tasses, de verres et d’assiettes, disait Marguerite.
– Voyez notre coffre plein de provisions: il y a des confitures, du sucre, des biscuits, des cerises, du chocolat, disait Camille.
– Et voyez comme nous avons été gens sages, nous autres, disait Jacques; pendant que vous nous faites mal au cœur avec vos sucreries, nous nous fortifions l’estomac avec nos provisions: pain, fromage, jambon, beurre, œufs, vin.
– Ah! tant mieux, s’écria Madeleine; lorsque nous vous inviterons à déjeuner ou à goûter, vous apporterez le salé et nous le sucré.»
Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au-dedans et au-dehors. À la fin des vacances elles étaient devenues de charmantes maisonnettes; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au-dedans comme au-dehors; les fenêtres étaient garnies de rideaux; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas[37]. Le terrain avait été recouvert de sable fin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois: on n’était encore qu’au troisième jour et l’on avait le temps de s’amuser.
III. Visite au moulin
«Je propose une grande promenade au moulin, par les bois, dit M. de Rugès. Nous irons voir la nouvelle mécanique établie par ma sœur de Fleurville, et pendant que nous examinerons les machines, vous autres enfants vous jouerez sur l’herbe, où l’on vous préparera un bon goûter de campagne: pain bis, crème fraîche, lait caillé[38], fromage, beurre et galette de ménage. Que ceux qui m’aiment me suivent![39]»
Tous l’entourèrent au même instant.
«Il paraît que tout le monde m’aime, reprit M. de Rugès en riant. Allons, marchons en avant!
– Hé, hé, pas si vite, les petits! Nous autres gens sages et essoufflés, nous serions trop humiliés de rester en arrière.»
Les enfants, qui étaient partis au galop, revinrent sur leurs pas et se groupèrent autour de leurs parents.
La promenade fut charmante, la fraîcheur du bois tempérait la chaleur du soleil; de temps en temps on s’asseyait, on causait, on cueillait des fleurs, on trouvait quelques fraises.
«Nous voici près du fameux chêne où j’ai laissé ma poupée, dit Marguerite; je n’oublierai jamais le chagrin que j’ai éprouvé lorsque, en me couchant, je me suis aperçue que ma poupée, ma jolie poupée, était restée dans le bois pendant l’orage.
– Quelle poupée? dit Jean; je ne connais pas cette histoire-là.
– Il y a longtemps de cela, dit Marguerite. La méchante Jeannette me l’avait volée.
Jeannette la meunière?
Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.
Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»
Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.
«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?
Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.
Maman dit que c’est une voleuse.
Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.
Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.
Comment le sais-tu?
Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air[40] quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.
Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.
Et que lui a dit la mère Léonard?
Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.
Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle?[41] Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»
Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée[42] et sa Jeannette aussi.
Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle[43] avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.
Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate[44], va! Je l’aurais mise en marmelade[45] en moins de deux minutes.
Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé[46].
Rossé! moi! veux-tu que je te