Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances. Albert Robida. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Albert Robida
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066074562
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aux Champs-Elysées par un beau jour de soleil et dites-moi si vous n'avez point par moments des visions de la cour des Valois, devant certaines toilettes contemporaines, manches bouffantes Renaissance, collerettes Renaissance, étoffes à dessins Renaissance...

      —Ou des illusions de Longchamps 1810 devant les robes Empire, les épaules bouffantes, le drapé des jupes, et les dessins, palmettes, grecques et autres ornements...

      —Et les dames Louis XVI, ou moyen âge, ou Louis XV... Je déclare Monsieur, qu'une femme de n'importe quelle époque, des âges révolus, écoulés et enfoncés aussi loin que vous voudrez dans la nuit des temps, peut revenir et se montrer parmi nos contemporaines, et se trouver parfaitement à la mode, moyennant seulement quelques petites modifications à son costume antique... Oui, tenez, qu'Agnès Sorel ou Marguerite de Bourgogne daignent reparaître en costumes de leur temps et je leur changerai seulement leurs chapeaux, et l'on dira devant elles: «Jolie toilette de vernissage! Délicieux costume pour le Grand-Prix!»

      —Arrêtez! n'exagérez-vous pas quelque peu, mon cher monsieur?

      XVIe siècle.

      —Aucunement. Je vous dis que des mérovingiennes ou même des dames de l'âge de pierre, avec quelques petits arrangements de toilette, n'étonneraient pas trop les femmes actuelles qui les prendraient tout simplement pour des mondaines excentriques... La mode d'aujourd'hui, Monsieur, ce sont les modes d'autrefois reprises et refondues par le goût de l'heure présente. L'aiguille de la mode tourne comme l'aiguille d'une pendule toujours dans le même cercle, mais plus capricieusement, en avant ou en arrière, en sautant, en virant, en faisant des bonds soudains, d'un côté ou de l'autre... Quelle heure est-il à l'horloge de la mode? Six heures du matin ou huit heures du soir, peut-être toutes les heures à la fois comme en ce moment... Mais n'importe, c'est toujours une heure charmante.

      La plus jolie mode, il n'y a pas à en douter et tout le monde est d'accord là-dessus, c'est toujours celle du temps présent, et il y a pour cela une raison bien simple: les modes passées ne sont que des souvenirs décolorés, dès qu'elles ne sont plus portées, nous apercevons facilement leurs défauts et leurs ridicules, nos yeux, indulgents quand elles régnaient, sont devenus froids et sévères, tandis que, sans peine, la mode d'aujourd'hui triomphe... Ce qui charme et séduit tout le monde, ce que nous apercevons en elle, Monsieur, ce qui nous semble si ravissant, c'est le rayonnement de la grâce féminine, c'est la femme elle-même.—Non, jamais on ne s'est mieux habillé qu'aujourd'hui! A toutes les époques, pour toutes les modes, les femmes l'ont déclaré de bonne foi en se regardant dans leur miroir, et les hommes, juges quelquefois difficiles, l'ont pensé aussi.

      Notre aïeule de l'âge de pierre vêtue de peaux de bêtes trouvait son costume très seyant et souriait un peu de sa grand'mère habillée d'un vertugadin de sauvage. Ses contemporaines, les farouches habitantes des cavernes, pensaient de même.

      La plus jolie mode, c'est celle qui s'épanouit aujourd'hui; il n'y a eu pour s'inscrire en faux contre cette formelle allégation de tous les temps, il n'y a eu, à toutes les époques également, que les messieurs d'un certain âge, tout à fait d'un certain âge, les vétérans ayant dépassé la soixantaine. Ceux-ci ont toujours protesté par une autre allégation:

      —Les modes d'aujourd'hui sont ridicules, disent-ils en chœur, on ne s'habille plus comme de notre temps! C'est alors,—en 1830,—ou en 1730, en 1630, en 1530, etc., en l'an 30—que les modes étaient gracieuses, seyantes, élégantes, distinguées, charmantes... ah, 1830!—ou 1730, 1630, 1530 ou l'an 30!—Quelle belle époque!

      —Il nous la baille belle le chœur des sexagénaires! oui, quelle belle époque! parce que c'était l'heureux temps où ces messieurs étaient jeunes, où le soleil leur semblait plus chaud, n'est-ce pas? le printemps plus verdoyant et les modes plus belles! Mais il n'importe, malgré tout ce que diront les vétérans et ce que nous dirons nous-mêmes plus tard, l'axiome suivant sera toujours proclamé:

      —Jamais on ne s'est mieux habillé qu'aujourd'hui!

      Mais puisque rien ne passe tout à fait et que dans le cercle que parcourt l'aiguille au cadran de la mode les heures passées peuvent renaître, il suffit peut-être, pour connaître les modes de demain, d'étudier tout simplement celles d'hier.

      Fouillons donc ce passé disparu et donnons-nous ce plaisir, qui ne va pas sans quelque mélancolie, d'évoquer les élégances et les beautés d'autrefois, les lointaines élégances ensevelies sous des siècles d'inventions et de nouveautés accumulées, délaissées et oubliées, et les élégances toutes récentes et non moins oubliées des bonnes grand'mamans actuelles, qui, dans leurs songeries au fond de leurs grands fauteuils, sont seules à se revoir en fermant les yeux, brunes ou blondes, pimpantes et légères, dans les atours de leur bel âge... Chères grand'mamans!

      Grande toilette. XVe siècle.

      Mais ce passé qui nous semble si lointain l'est-il tant que cela? Les grand'mères de nos grand'mères sont nées sous Louis XV au temps de la poudre et des falbalas.

      Sept ou huit grand'mères additionnées, si nous osons nous permettre cette opération, nous conduisent au temps d'Agnès Sorel et des dames à grands hennins. C'était hier. Vous le voyez bien!

      Un point qu'il faut établir d'abord, c'est que l'art de la toilette et l'art de construire sont de très proche parenté. Mode et architecture sont sœurs, mais la mode est peut-être bien l'aînée.

      La maison est un vêtement, un habillement de pierre ou de bois que nous passons par-dessus l'habillement de toile, de laine, de velours ou de soie, pour nous protéger mieux contre les intempéries des saisons; c'est un second vêtement qui doit se plier à la forme du premier, à moins que ce ne soit le premier qui s'adapte aux nécessités du second.

      En tout cas, sans remonter plus haut que le déluge, est-ce que les robes historiées et armoriées, les costumes tailladés et déchiquetés du moyen âge, ne sont pas de l'architecture gothique et de la plus flamboyante, de même que les modes plus simples et plus rudes de l'époque précédente tiennent du rude et sévère style roman.

      Quand la pierre se découpe, se tord, flamboie presque en magnifiques efflorescences sculptées, l'étoffe plus souple se découpe, se tord et flamboie aussi. Les hautes coiffures que nous qualifions d'extravagantes, ce sont les toits effilés des tourelles qui montent partout vers le ciel. Tout est multicolore, les gens d'alors aiment les couleurs gaies, toute la gamme des jaunes, des rouges, des verts est employée.

      Plus tard le costume se met plus au large en même temps que l'architecture. C'est la Renaissance et ses modes plus amples et plus molles; on cherche du nouveau dans le vieux, l'Italie influe sur les toilettes comme sur les édifices, il n'est pas jusqu'aux armures de guerre ou de parade des princes, aux vêtements de fer des riches seigneurs, qui ne recherchent quelques formes antiques et ne se couvrent de rinceaux, ou d'ornements à la romaine.

      La sévérité, nous pouvons dire la maussaderie des modes de la fin du XVIe siècle, ne se retrouve-t-elle pas dans les édifices d'une époque assombrie par tant de troubles?

      Renaissance.

      L'énormément ennuyeux et somptueux palais de Versailles, les grands hôtels solennels d'une architecture pleine de morgue, ce sont bien vraiment les couvercles qui convenaient aux énormes et solennelles perruques du grand Roi, aux corsages guindés et empesés, aux raides cornettes de madame de Maintenon. Et le XVIIIe