Nouvelles. Henri Rivière. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Henri Rivière
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066331375
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et de vos sentiments. Vous vous êtes douté parfois que je vous étudiais., que je vous épiais pour ainsi dire. Je ne le nie pas. Eh bien, Victorien, j’ai vécu jusqu’ici dans une trop grande solitude pour connaître les hommes; pourtant je ne crois pas qu’il puisse y en avoir un plus noble, plus généreux et meilleur que vous. J’en ai ressenti une joie tout intérieure et qui sans cesse allait en grandissant; seulement, et c’est là qu’il me faut toute votre indulgence, je la ressentais non pour moi, mais pour une autre femme. J’ignore ce que peut être l’amour, et sans doute je ne le saurai jamais. C’est que toute ma puissance de cœur, depuis que je suis une jeune fille, s’est concentrée sur ma sœur. C’est à elle que je me suis attachée d’une manière exclusive et passionnée. C’est à elle que j’ai pensé quand j’ai découvert en vous, une à une, toutes les qualités qui doivent rendre une femme heureuse. C’est à elle que je vous ai secrètement destiné dans toute l’ardeur de mes espérances et de mes vœux.

      –Mais, s’écria Victorien, qui était loin de s’attendre à de telles confidences, ce n’est point votre sœur que j’aime, Edmée, c’est vous, c’est vous seule.

      –Je le sais bien, reprit-elle avec une coquetterie presque mélancolique. Du moins il en est ainsi maintenant, car vous ne connaissez point Adrienne. Quant à moi, puisque pour vous en ce moment il ne s’agit que de moi, je ne puis vous répondre autrement que je ne le fais, je ne serai point votre femme. Je serai votre sœur aimante et dévouée, si le dessein que j’ai formé se réalise. Je serai, dans tous les cas, votre plus fidèle et votre meilleure amie. Ne me demandez rien de plus, n’insistez pas pour me faire changer de résolution. Ce que je vous dis est irrévocable.

      Victorien se tut. Il était bouleversé de ce qu’il entendait et saisi d’un vrai chagrin. Mademoiselle de Nerteuil lui prit amicalement le bras, le contraignit avec douceur à continuer leur promenade, et parut oublier ce qu’ils venaient de se dire. Elle l’entretint de divers sujets, parlant seule le plus souvent et se montrant enjouée et un peu fébrile. Quand ils furent de retour devant le château, elle lui serra la main avec force et le quitta promptement. Victorien la regarda s’éloigner. Il était d’une façon si soudaine précipité de ses espérances dans la réalité qu’il doutait encore de ce qu’il avait entendu. Il ne comprenait rien à cette fille singulière dont le cœur ne battait point pour son propre compte, qui ajournait de parti pris au profit d’une autre les émotions et les joies de sa jeunesse. Il l’aurait pourtant bien aimée. Qu’allait-il faire: s’acharner à la conquérir malgré elle? Du caractère qu’il lui connaissait, ce n’était pas possible. Elle résisterait non-seulement de toute sa volonté, mais de tout son orgueil. Puis il était aussi timide à concevoir qu’à exécuter un pareil projet. Il se répétait que c’en était fait et qu’il n’avait plus qu’à partir. Dans son découragement, il alla trouver sa mère et lui raconta la conversation qu’il avait eue avec Edmée. La baronne de Sénevère ne parut que médiocrement étonnée, et ne prit pas d’ailleurs cet incident au tragique. N’essayant point encore de consoler son fils, elle se consolait facilement elle-même. Quel était en effet son désir? De marier le jeune baron à une des demoiselles de Nerteuil. A défaut de l’une, l’autre restait, et c’était sa sœur qui l’offrait. En somme, il n’y avait pas grand mal–à cela. Elle insinuait à son fils, qu’en dépit de ses qualités, Edmée n’eût point été peut-être la femme qu’il lui fallait. Elle était d’un caractère noble, sans doute, mais difficile à courber, d’une beauté un peu virile, et déjà d’un âge qui se rapprochait trop de celui de Victorien. Adrienne, au contraire, était le printemps dans sa fleur et d’une nature expansive et vive qui entrerait aisément dans le courant des goûts et des volontés de son mari. Elle l’avait jugée charmante et avait eu, pour sa part, quelque regret que les convenances l’eussent forcée tout d’abord, en ces projets de mariage, à s’adresser à la sœur aînée. Victorien pouvait l’en croire, car les mères ne se trompent pas.

      Victorien ne se sentit pas persuadé. Il aimait Edmée et ne concevait pas qu’il pût accepter ainsi, pour s’incliner à une autre union, le refus de la jeune fille. Avec un courage que lui donna sa tristesse, il essaya en quelques circonstances de faire revenir mademoiselle de Nerteuil sur sa résolution, mais il la trouva si tranquille à cet égard et d’une volonté si froide, qu’il douta de lui avoir jamais inspiré la moindre sympathie tendre. Il n’était point homme à violenter une situation et se replia sur lui-même. Peut-être aussi eut-il la curiosité de voir Adrienne et de tenter auprès d’elle une fortune nouvelle. S’il en était aimé, ne serait-ce pas pour lui tout à la fois une consolation et une sorte de vengeance? car il –ne voulait pas croire, le cas échéant, à la complète impassibilité d’Edmée. Celle-ci pourtant, le voyant plus calme, était redevenue amicale et confiante. Avec un détachement de soi qui n’était pas sans une grâce coquette, elle lui parla sérieusement et la première de son mariage avec Adrienne. Comme autrefois, mais sans embarras, elle la lui vantait, la détaillait dans ses qualités de cœur ou d’esprit et jusqu’à un certain point dans ses perfections féminines. Désintéressée pour sa part de toute prétention, n’ayant plus à redouter un malentendu, elle se trouvait à l’aise pour faire les honneurs de sa sœur. Victorien l’écoutait, légèrement confondu de la liberté qu’elle montrait, de l’autorité même qu’elle prenait sur lui. Comment donc avait-il pu essayer d’émouvoir une telle femme qu’il voyait inaccessible à ce point aux passions de son âge? Il se détachait d’elle comme d’une blanche statue qu’il eût d’abord admirée, mais dont les plus ardents désirs ne peuvent animer la beauté de marbre. Elle n’était point son œuvre d’ailleurs pour qu’il tentât de dérober au ciel l’étincelle sacrée qui l’eût fait vivre. L’égoïsme le ressaisissait ainsi autant par le dépit que par la conviction que tous ses efforts pour être aimé d’Edmée eussent été vains. Mademoiselle de Nerteuil, qui s’était très-franchement confiée à madame de Sénevère, avait une alliée en elle. La baronne, qui l’eût médiocrement goûtée comme belle-fille, prisait fort maintenant sa haute raison et sa décision de caractère. Elle songeait aussi que sans doute Edmée ne se marierait pas, et que sa fortune appartiendrait un jour aux enfants de sa sœur. Les deux femmes, qui s’étaient concertées, annoncèrent à Victorien la prochaine arrivée d’Adrien ne. Une légère indisposition de la jeune fille leur était venue en aide. Elle avait besoin de quitter momentanément le couvent et de respirer l’air de la campagne.

      Victorien ne fut pas surpris, mais il ressentit une émotion indécise. C’était à la fois le désir et la crainte de voir Adrienne. Il n’avait point tellement aimé mademoiselle de Nerteuil qu’il ne pût se rattacher à une espérance nouvelle. Cette espérance toutefois n’allait-elle pas être pour lui une autre déception? S’il n’eût été décidé à chercher le bonheur dans le mariage et à renoncer par une affection sérieuse aux romanesques folies de sa jeunesse, il eût fui cette seconde épreuve en quittant le château. Adrienne arriva enfin. La joie d’Edmée, bien qu’elle s’efforçât de la renfermer en elle, fut si vive qu’elle atteignit presque à la souffrance. Elle se trahissait par d’involontaires mouvements de-tendresse ou par de subites pâleurs. Madame de Sénevère et son fils virent bien qu’il ne pouvait y avoir place dans le cœur d’Edmée pour un autre amour que celui-là. Victorien en fut presque consolé. Il se trouva d’ailleurs d’une façon extraordinaire et soudaine sous le charme d’Adrienne. Il semblait en effet que le bonheur et le soleil fussent entrés en même temps que la jeune fille dans cette maison attristée par les préoccupations de ses hôtes et par les approches de l’hiver. Aussi jolie qu’à son départ, avec une certaine langueur physique qui, par instants, la rendait plus touchante, Adrienne avait gardé toute sa gaieté. Elle était encore un enfant par la transparence et la limpidité du regard, par les notes perlées de sa voix, par le besoin familier et gracieux qu’elle avait d’aimer et d’être aimée. La pleine jeunesse d’Edmée paraissait austère auprès de la sienne. Victorien, qui n’était pas troublé par elle, éprouvait le désir généreux de la protéger et de la chérir. Elle l’avait pris tout aussitôt en affection et s’y voyait encouragée par Edmée, qui le traitait comme un ami et comme un frère. Quand, au bout de quelque temps, mademoiselle de Nerteuilet