Nouvelles. Henri Rivière. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Henri Rivière
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066331375
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imposaient. Elle avait appris à les respecter de loin, et, les voyant de près, se défendait mal de les redouter. D’ailleurs n’étaient-ils point la famille, les protecteurs légaux de sa sœur et les siens? Ils lui parlèrent aussi d’elle-même, de sa vie, qui allait devenir triste et solitaire, et lui proposèrent de partir avec eux. Edmée refusa. Ils n’insistèrent pas, s’imaginant avoir plus facilement gain de cause pour Adrienne. Edmée en effet ne résistait plus qu’à demi, et leur demandait seulement quelques heures de réflexion.

      Mademoiselle de Nerteuil avait son projet. Elle voulait consulter sur ces questions qui la troublaient si fort un homme qu’elle connaissait depuis longtemps et qu’elle aimait autant qu’elle le respectait. C’était l’abbé Daltez, le curé du village. Il lui avait fait accomplir ainsi qu’à sa sœur leurs premiers devoirs religieux, il avait toujours été pour elle indulgent et bienveillant, il paraissait avoir pour Adrienne une affection pleine de sollicitude. S’il jugeait à propos que la jeune fille partît, Edmée y consentirait; s’il lui conseillait au Contraire de la garder auprès d’elle, Edmée aurait le courage de s’opposer jusqu’au bout, et même de tout le pouvoir légal dont elle serait armée aux volontés de ses grands-parents.

      L’abbé Daltez était un prêtre de quarante ans, d’une physionomie grave et douce, froidie en quelque sorte dans l’austérité de ses devoirs. De longs cheveux noirs et bouclés, mélangés de blanc çà et là, encadraient son visage, ses traits respiraient une énergie tranquille et qui s’était volontairement amortie. Il semblait qu’il eût conquis le repos après avoir traversé secrètement les luttes et les passions de la vie. Il était depuis quinze ans dans ce village, perdu plus qu’oublié peut-être dans le silence et dans l’obscurité de ses fonctions. Il avait dû, en sa pleine jeunesse, avoir des aspirations hautes, celles de la propagande, de la science et du martyre. L’impétuosité de son zèle et de sa foi avait sans doute inquiété ses supérieurs; l’Église s’effraie parfois de ces ardeurs de l’imagination et de ces désirs du combat. Elle y devine moins le renoncement que l’inassouvissement de l’âme, et condamne de parti pris aux limbes de la médiocrité ces impatients athlètes. Elle veut ses serviteurs humbles et passifs et ne les reconnaît plus tard ses maîtres que s’ils ont passé, tout-puissants qu’ils soient d’érudition et de génie, à la façon des Sixte-Quint, par la sape souterraine d’un long effacement et d’une infatigable ambition. L’abbé Daltez n’était pas un Machiavel ecclésiastique. Il n’admit pas ces voies tortueuses de la célébrité, cessa de lutter et se résigna. Pendant plusieurs années il s’absorba dans de profondes études de théologie et d’histoire. La vaste instruction qu’il acquit au travers des doutes et des affirmations sans nombre des livres lui montra l’infirmité et presque le puéril néant de la pensée humaine; mais elle lui donna l’impartialité de l’esprit et la sérénité du cœur. A la fin même, il négligea de lire, contempla la nature en ses éternelles beautés, admira Dieu dans sa création et se dévoua au soulagement des souffrances et à l’éducation de ses ouailles. En descendant des sommets qu’il dédaigna, il se sentit presque heureux par les actes de la charité, par la simplicité de la foi. Un sentiment qui lui devint propre lui donna d’ailleurs des joies lentes et rêveuses qui remplacèrent pour lui l’ambition. Il avait préparé mademoiselle de Nerteuil à sa première communion. Il s’éprit paternellement de cette enfant, dont les qualités nobles se développaient par ses soins et sous ses yeux. Il la vit grandir en beauté, en grâce et en générosité d’âme. Une affection toute chrétienne l’unit à elle sàns qu’elle s’en doutât; il cachait cette affection au fond de son cœur comme un parfum précieux dans un vase fermé. Comme elle il aima sa jeune sœur, mais moins qu’il aimait Edmée; peut-être inconsciemment était-il jaloux d’Adrienne. Elle lui semblait du reste une de ces femmes qui naissent pour être heureuses, que leur faiblesse, un égoïsme séduisant et leur grâce protégent ainsi qu’un bouclier de diamant et auxquelles ceux qui les aiment se sacrifient jusqu’à en mourir.

      Lorsque mademoiselle de Nerteuil se rendit chez l’abbé Daltez pour le consulter, celui-ci était assis à la fenêtre de la salle basse du presbytère. Cette salle, toute lambrissée de chêne, était obscure, fraîche et profonde, tandis que la fenêtre s’encadrait en pleine lumière dans les pousses du lierre et dans les fleurs de volubilis. L’abbé rêvait ou méditait. Une brise légère lui apportait les senteurs de la campagne. Dans le lointain, il apercevait le château de Nerteuil. Sa pensée était là. Que s’y passait-il? Que s’y passerait-il surtout le lendemain? Il savait Edmée assez énergique et assez vaillante pour ne point s’effrayer de cette demi-solitude où elle était tombée. Elle resterait aux lieux qui l’avaient vue naître, avec sa sœur qu’elle continuerait d’élever, qu’elle aimerait plus encore qu’elle ne le faisait. Il vivrait donc dans son intimité, l’aiderait de ses conseils et de son affection. Quoique cette pensée sourît à l’abbé Daltez, il ne s’y abandonnait qu’avec crainte. Cette destinée si calme ne pouvait suffire à l’horizon des deux sœurs. Elles en sortiraient tôt ou tard pour se marier, Adrienne tout au moins. Que deviendrait alors Edmée? Mais c’était encore si éloigné! Il se reprenait à sourire avec un secret égoïsme de cœur qu’il se reprochait. Puis de nouveau il s’alarmait. Les grands-parents, qui étaient venus, avaient peut-être des projets qu’ils étaient en droit de réaliser. Quels étaient-ils? Il y avait trois jours qu’il n’avait vu Edmée et alors elle ne lui avait rien appris; mais depuis? Tout à coup il vit mademoiselle de Nerteuil qui se dirigeait vers le presbytère. Elle marchait d’un pas vif et léger à la clarté du soleil couchant, qui jetait ses rayons autour d’elle. Elle lui apparut plus touchante et un peu pâlie en ses vêtements de deuil. L’abbé involontairement ému, sortit au-devant d’elle, lui prit les mains et, marchant à ses côtés, l’amena au presbytère.

      –Mon bon abbé, lui dit Edmée en s’asseyant, je suis profondément troublée, très-indécise de ce que je dois faire, et je viens vous consulter.

      –Je m’en doutais, mon enfant, répondit l’abbé, car de mon côté je songeais à vous. Parlez donc bien vite et dites-moi ce qui vous tourmente.

      Mademoiselle de Nerteuil lui raconta la conversation qu’elle avait eue avec le comte de Rétheville et la baronne de Sénevère, et l’intention où ils étaient d’emmener Adrienne. Qu’allait-elle faire? Fallait-il qu’elle résistât ou devait-elle se résigner et céder?

      –Vos grands-parents, ont raison, lui dit l’abbé Daltez. Tant que votre sœur était une enfant, elle était bien sous votre garde. Vous lui avez appris les joies et les plaisirs, les étonnements et les émotions de son âge. Elle a grandi sous votre regard sans qu’une mauvaise pensée l’effleurât, car elle n’a jamais vu que le bien autour d’elle; mais aussi, elle n’a jamais lutté, et les sentiers où elle a marché lui ont été faciles, trop faciles peut-être. Elle a vu tous ses désirs accomplis, ses volontés enfantines caressées et respectées. Son bon naturel, ses exquises qualités de cœur, l’ont préservée de tout danger. Elle est aussi aimable que naïve; mais aujourd’hui elle a seize ans. Vous ne prétendez pas la garder toujours auprès de vous, n’est-ce pas? Elle est destinée à être une femme du monde, il est donc nécessaire qu’elle le devienne. Il faut qu’elle puisse goûter au fruit défendu des vanités mondaines, afin de ne s’en point exagérer le décevant aspect et d’en deviner l’amertume. Ce n’est pas tout, continua-t-il en regardant Edmée, et je dois vous parler plus sérieusement encore. Ce n’est pas seulement de votre sœur qu’il s’agit; il s’agit de vous, de vous surtout, pour qui cette séparation doit s’accomplir.

      –De moi! s’écria-t-elle avec surprise.

      –De vous. Laissez-moi m’expliquer, mon enfant. Vous vous êtes dévouée à votre sœur si complétement et avec un tel oubli de vous-même que vous n’avez pu réfléchir sur ce dévoûment ni sur cette abnégation. Peut-être ne doit-on aimer personne, pas même Dieu, de cette façon. L’amour, quel qu’il soit, doit avoir son indépendance et sa dignité, qui le sauvegardent et l’élèvent, et vous aimez votre sœur sans restrictions et sans mesure, jusqu’à l’anéantissement de vous-même. Vous n’en avez pas le droit. Un jour,–le plus