Nouvelles. Henri Rivière. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Henri Rivière
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066331375
Скачать книгу
mais songez à vous-même; vous vous devez, aussi bien qu’elle au mariage, à la maternité, à votre pleine destinée de femme ici-bas. N’affichez dans votre for intérieur ni l’orgueil du renoncement ni le détachement de vous-même. Il y a des châtiments pour quiconque méconnaît les lois éternelles de la nature et de l’humanité.

      L’abbé Daltez se tut un moment. Il se tenait la tête dans les mains, soit qu’il fît sur lui un pénible retour, soit qu’il adressât à Dieu pour la jeune fille quelque muette prière. Edmée, grave et recueillie, le cœur légèrement serré, l’écoutait. Avait-elle déjà entrevu pour son compte ces profondeurs qu’il lui montrait et se prenait-elle à les redouter? L’abbé releva le front, et d’une voix douce et calme, fixant sur elle un regard caressant et plein de sérénité, il lui dit:–Croyez-moi, laissez partir votre sœur et soyez forte. Il se fera en vous un grand déchirement, mais Dieu guérit les blessures qu’on élargit soi-même, il y met le baume de sa miséricorde et de sa pitié. Vous souffrirez sans nul doute,–vous étiez-vous donc imaginé de ne jamais souffrir?–cependant vous aurez la consolation, digne de vous, d’une conscience sans remords et du devoir accompli.

      –Je vous remercie, mon père, dit Edmée, je ne sais si j’aurai le courage de suivre vos conseils. Cela ne dépend pas tout à fait de moi. Je vais aviser à ce que je dois faire.

      En ce qui la concernait pourtant, elle était résolue à se sacrifier, mais auparavant elle voulait savoir comment Adrienne accueillerait la nouvelle de cette séparation. Si c’était là , pour elle un trop grand chagrin, si la jeune fille, aux premiers mots qu’elle prononcerait, se jetait dans ses bras en la suppliant de ne la pas quitter, elle ne la laisserait pas partir, la garderait à tout prix. La jugeant d’après elle-même, elle la voyait déjà tout en larmes et se suspendant à son cou, et par contre elle la rassurait et la serrait sur son cœur. Elle s’exaltait un peu. Qui donc avait pu songer à les séparer? elles s’aimaient si bien, étaient si étroitement unies l’une à l’autre! Cependant de loin elle vit Àdrienne qui venait à sa rencontre, et le doute la prit. L’oublieuse jeunesse triomphait déjà chez sa sœur des deuils récents qui les avaient frappées. Un peu pâle encore des pleurs qu’elle avait versés, son visage reprenait toutefois des teintes roses et vivaces. Elle avait le sourire épanoui de la mélancolie. D’un élan affectueux, elle s’en fut à Edmée. Celle-ci la baisa au front, la retint tout près d’elle, lui dit d’une voix tremblante le dessein qu’on méditait. Le premier mouvement d’Adrienne fut un étonnement mêlé de crainte, elle frissonnait à l’idée d’un départ; mais, comme Edmée, croyant l’avoir conquise, s’empressait en lui ouvrant ses bras de la rassurer, elle ne répondit que faiblement à cette vive étreinte. La peur avait disparu en elle, la curiosité s’éveillait. Qu’avait–elle donc à faire là-bas? Pourquoi l’emmenait-on? Le fallait-il absolument? Puis, tandis qu’Edmée interdite lui répondait à peine, elle s’enquérait de cette existence nouvelle qui serait la sienne, s’en effrayait en priant sa grande sœur de ne la point abandonner, et de nouveau s’y aventurait par ses questions presque semblables à des désirs. Alors, bien qu’elle se sentît le cœur oppressé, ce fut Edmée qui doucement, par des sourires, par ses conseils, par ses caresses, encouragea la jeune fille à subir cette séparation, qui leur serait si pénible à toutes les deux, mais qui était nécessaire. Il fallait en effet ne point mécontenter ces grands-parents qui étaient désormais leur seule famille. Il était bon qu’Adrienne complétât les études diverses qu’elle n’avait pu qu’ébaucher dans la solitude de Nerteuil et qui sont l’ornement de l’esprit et la grâce de la vie mondaine. Ce fut Adrienne qui se rendit, qui se crut presque forcée par sa sœur à cette résolution soudaine. Elle l’embrassa, indécise si elle devait se réjouir ou s’attrister, pendant qu’Edmée, refoulant ses larmes au fond de son cœur, lui montrait un visage souriant et tranquille.

      Quand Edmée les eut informés de son consentement au départ d’Adrien ne, M. de Rétheville et madame de Sénevère la félicitèrent hautement, et se disposèrent d’ailleurs aussitôt à retourner à Paris. Toutefois au moment des adieux la baronne prit Edmée à l’écart et lui annonça, non sans quelque mystère, qu’elle avait des intentions sur elle et qu’elle ne tarderait pas à revenir à Nerteuil, autant pour lui en faire part que pour ne point la laisser au chagrin de sa solitude et de l’absence de sa sœur. Edmée l’entendait à peine, car à ce moment-là elle ne quittait point Adrienne des yeux. Elle embrassa la jeune fille une dernière fois, vit la voiture s’ébranler et disparaître bruyamment au détour de la route. Edmée revint lentement et tout anéantie vers le château. Elle ne voyait qu’une consolation à sa douleur, c’était de pleurer à son aise et sans témoins la chère absente, de s’enfoncer dans les regrets du passé, dans les espérances si lointaines du retour. Ce fut alors qu’elle se rappela ce que lui avait dit madame de Sénevère et qu’elle s’irrita sourdement à la pensée de la recevoir. Ce n’était donc point assez de lui avoir pris sa sœur, on allait lui ravir la liberté de sa souffrance et l’indépendance de son isolement. Elle en arrivait par l’impatience et le courroux à regarder comme un répit à une situation plus cruelle encore que celle où elle se trouvait les quelques jours qui lui restaient à s’appartenir tout entière.

      II

      Madame de Sénevère ne tarda pas à tenir sa promesse. Elle écrivit à Edmée pour la prévenir de son arrivée et de celle de son fils. Elle lui demandait de faire à ce dernier un bon accueil et espérait qu’il lui plairait. Elle songeait en effet à le lui donner pour mari. Tout cela était dit d’une façon très-franche et qui ne paraissait point douter du résultat. Mademoiselle de Nerteuil demeura stupéfaite. Ainsi, après avoir disposé de sa sœur, on disposait d’elle-même. Cela ne serait pas, elle y mettrait bon ordre. Néanmoins le respect de la famille était assez grand chez elle pour qu’elle ne témoignât rien de son déplaisir. Elle répondit poliment à madame de Sénevère qu’elle l’attendait.

      La baronne et son fils arrivèrent presque aussitôt. Ils apportaient des nouvelles et des lettres d’Adrienne; c’était assez pour qu’Edmée n’eût plus la force de leur en vouloir. Ils avaient vu la jeune fille, l’avaient embrassée, lui avaient parlé. Elle les écoutait tout en lisant les lettres, se faisait expliquer par eux ce qu’elle ne comprenait pas bien, leur demandait mille détails auxquels ils répondaient de leur mieux. En somme, malgré son regret d’un éloignement subit, malgré les tendresses qu’elle envoyait à sa sœur, Adrienne était heureuse. Edmée soupira, ne lui en voulut point. Ce qui importait, c’est que le chagrin de cette absence fût tout entier pour elle. N’eût-elle pas souffert bien davantage, si Adrienne se fût lamentée là-bas, loin d’elle et sans l’espérance immédiate du retour! Elle fit à ses hôtes avec une dignité juvénile les honneurs de Nerteuil. Ils venaient s’y installer pour y passer l’automne. Elle voulut qu’ils en emportassent un bon souvenir, et qu’Adrienne se rappelât à leurs récits les années qui s’y étaient écoulées pour elle et qu’elle oubliait peut-être.

      Victorin de Sénevère était encore un jeune homme; il avait trente ans à peine. Sa jeunesse s’était passée en des plaisirs élégants et de bonne compagnie. Ne s’étant, heurté à aucune passion forte, il avait gardé à l’endroit des femmes une tendresse de cœur indécise et rêveuse. Il n’avait en quelque sorte trouvé en elles que la menue monnaie de l’idéal qu’il poursuivait. Elles lui avaient été complaisantes et faciles plutôt qu’elles ne s’étaient sincèrement éprises de lui. Soit qu’il les aimât trop ou qu’il ne sût point les aimer à leur guise, elles l’avaient quitté parfois plus qu’il ne leur avait été infidèle. Il était de ces’ hommes faibles qu’il est aussi aisé de prendre que de garder. Un peu de mélancolie s’ensuivait pour lui. Il méritait mieux que les entraînements passagers auxquels il se livrait de bonne foi et dont il subissait le caprice. Depuis quelque temps, mécontent et dédaigneux de son passé, il se préoccupait d’un avenir plus sérieux. Après être entré dans la diplomatie et s’être promené çà et là en quelques ambassades, il envisageait, avec le désir de s’y faire un nom, le côté viril de sa carrière. Il lui semblait que tout