Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes. Louis Nigon De Berty. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Louis Nigon De Berty
Издательство: Bookwire
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Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066325930
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ce droit de voter dans les assemblées pouvait entretenir ses illusions de liberté ; toutefois la nouvelle division des Romains en six classes, établie par Servius Tullius, avait fortement diminué dans les élections l’influence des plébéiens. Depuis ce roi, la quotité de la fortune marquait la place de chaque citoyen; la première classe contenait 98 centuries, tandis que les cinq autres n’en renfermaient que 95; de là dans les assemblées où l’on opinait par centurie, la prépondérance se trouvait par le fait assurée à la première classe composée des patriciens et des Romains les plus riches.

      Sous la république, la liberté politique des Romains ne fut suspendue qu’à de courts intervalles, lorsque des circonstances graves nécessitèrent la nomination d’un dictateur, ou seulement la promulgation du décret caveant consules . Le dictateur n’était point élu suivant les formes ordinaires; un des deux consuls le désignait en vertu de l’autorisation du sénat; dès que son choix était proclamé, le dictateur exerçait sans limite le droit effrayant de vie et de mort sur tous les citoyens; mais son despotisme légal ne durait jamais plus de six mois; il était d’ailleurs obligé de rendre compte de l’usage de ce pouvoir extraordinaire.

      Les plébéiens continuèrent long-tems encore à être éloignés des dignités et des emplois supérieurs. 150 ans après l’établissement du consulat, à force de séditions et d’audace, ils obtinrent enfin la faveur de voir prendre dans leurs rangs les consuls et les censeurs; mais ces élections n’étaient qu’exceptionnelles. Les patriciens accaparèrent presque constamment le monopole des honneurs; la domination du sénat fut arbitraire, comme celle de tout pouvoir oligarchique. Surveillés d’un côté par les censeurs, de l’autre assujettis à l’orgueil fastueux de leurs patrons, les plébéiens végétaient dans une position précaire dont leurs fréquentes insurrections trahissaient la pénible incertitude.

      Pendant long-tems, ils ne purent même se marier suivant les trois modes admis à Rome; il ne leur était permis de légitimer leurs unions que par une cohabitation prolongée durant plus d’une année; espèce de demi-mariages, appelés per usum, les seuls que les esclaves aient jamais pu contracter. Dans le cinquième siècle après la fondation de Rome, une loi fut nécessaire pour interdire l’application au peuple de coups de verges, jusque alors infligés dans certains cas.

      Loin de modifier l’autorité illimitée que Romulus avait abandonnée aux pères, aux maris, aux maîtres, la loi des douze Tables la confirma; elle permit au père de vendre son fils comme esclave; si le jeune homme parvenait à racheter sa liberté, l’auteur de ses jours pouvait jusqu’à trois fois le reduire en servitude . L’arbitraire régnait ainsi dans toutes les familles patriciennes et plébéiennes. Les femmes vivaient dans une dépendance perpétuelle . Lorsqu’elles n’étaient pas soumises, comme épouses, à la puissance conjugale, on les plaçait sous la tutelle fort gênante du plus proche de leurs parens mâles . Chaque citoyen d’ailleurs n’avait pas la permission de donner à son fils l’éducation la mieux appropriée à son caractère; il était contraint, quelles que fussent ses opinions, de se conformer aux lois sur l’enseignement public, et, malgré les répugnances de sa conscience, de suivre aveuglément la religion de l’Etat.

      Ainsi les Romains ne possédaient réellement pas cette indépendance personnelle, cette faculté de disposer de soi, de ses actions, qui constitue chez les modernes la liberté individuelle.

      Comment peindre sous ses véritables couleurs le triste sort des esclaves? Cette classe, si considérable à Rome, renfermait les hommes pris à la guerre, les enfans nés de pères et mères dans la servitude, ou seulement de mères, ceux qu’on achetait dans les marchés, enfin les citoyens libres qui se vendaient à leurs créanciers. Les Romains aimaient à s’entourer d’un grand nombre d’esclaves; quelques - uns en comptaient plus de mille à leur suite, c’était pour eux un objet de luxe et d’ostentation. Chaque esclave avait un emploi particulier soit dans la maison du maître, soit à la campagne; dès que sa tâche était terminée, il pouvait travailler pour son compte. Les profits de son industrie, réunis aux cinq deniers et aux quatre boisseaux de blé qu’on lui remettait par chaque mois pour sa nourriture, formaient son pécule; mais il ne pouvait en disposer que de son vivant; faire un testament était le privilège du citoyen.

      Les maîtres avaient sur leurs esclaves les droits les plus étendus; il leur était permis de les châtier, de les maltraiter, de les tuer même selon leur caprice; un esclave de Védius Pollion brisait-il un vase par accident? ce barbare Romain le faisait jeter dans un vivier, et son corps allait engraisser les murènes favorites . Cicéron rapporte qu’un esclave fut mis à mort pour avoir percé un sanglier avec une arme dont il ne devait pas se servir . Le châtiment ordinaire était le fouet; des lanières de cuir, sans cesse suspendues à la porte de l’escalier de chaque habitation semblaient une menace perpétuelle qui rappelait à l’esclave et son malheur et ses devoirs. Considéré comme une propriété vivante, il était plus ou moins bien traité selon sa valeur intrinsèque; s’il tombait malade ou infirme, souvent on ne lui donnait aucun soin, et l’infortuné mendiait dans les rues quelque soulagement à ses souffrances. Plusieurs Romains se contentaient d’envoyer leurs esclaves dans une île du Tibre, nommée l’île d’Esculape, et de les y abandonner, sans ressources, sous la stérile protection du Dieu de la médecine; c’est ainsi que Caton d’Utique, dont la vertu est tant vantée, soignait les siens.

      Si le maître périssait victime d’un assassinat, les esclaves alors à son service, les affranchis mêmes qui habitaient sa maison au moment du crime, tous étaient condamnés à mort. Si un maître avait été tué dans un voyage, on égorgeait ceux qui étaient restés avec lui et ceux qui avaient pris la fuite. Lorsque les esclaves appartenaient par indivis à plusieurs propriétaires, le meurtre de chacun des maîtres entrainait la peine capitale de tous les esclaves. Il semble difficile de pousser plus loin la rigueur; cependant on alla jusqu’à prescrire cette horrible boucherie, en cas d’homicide des enfans du maître, de son gendre, de son père, de sa femme, et même de son fils adoptif ; obliger les esclaves à veiller tous à la sureté de leurs maîtres, tel était le but de ces lois sanguinaires. Comme s’il n’existait pas encore assez de causes de mort pour les esclaves, on inventa les combats de gladiateurs. Ces malheureux hommes s’y massacraient entr’eux pour distraire le peuple .

      Quelle effroyable condition que celle des esclaves romains! Il leur restait du moins l’espérance de recouvrer un jour la liberté. Sous la république, l’affranchi montait au rang de citoyen, il usait de ses principaux droits; mais maintenu par l’opinion publique dans une position inférieure, il né pouvait servir dans les légions, ni parvenir aux hautes dignités, et reprenait ses chaînes s’il manquait aux obligations de dépendance et de respect qui le liaient encore à ses anciens maîtres.

      Les esclaves goûtaient aussi quelques instans de repos pendant les Saturnales. Ces fêtes, instituées en mémoire de l’égalité qui avait régné, disait-on, parmi les hommes du tems de Saturne, se célébraient chaque année le 17 décembre. Durant trois jours, la puissance des maîtres restait suspendue; les esclaves pouvaient dire et faire impunément tout ce qui leur plaisait . Tous mangeaient ensemble; quelquefois même les maîtres les servaient, et changeaient avec eux de vêtemens. Peut-être ces trois jours de liberté n’avaient-ils d’autre résultat que de faire sentir plus vivement encore aux esclaves toute l’horreur de leur position!

      L’organisation judiciaire varia plusieurs fois à Rome. Souvent éloignés de cette ville par la guerre, les consuls déléguèrent aux préteurs le soin de juger les crimes. A chaque affaire un peu importante, ces derniers magistrats composaient le tribunal qui statuait sur le point de fait, puis ils prononçaient soit par eux mêmes, soit par un magistrat, nommé judex quæstionis, sur l’application de la peine.

      Les préteurs choisirent d’abord les juges seulement parmi les sénateurs; ensuite, d’après la loi Sempronia rendue en 630, parmi les chevaliers; sous Pompée, parmi les gardes du trésor ( tribunii ærarii); sous César, parmi les centurions; enfin, sous Antoine, parmi les simples soldats. Cette magistrature mobile, qui se recrutait dans toutes les classes, ne montra point cette indépendance justement regardée comme la plus ferme garantie des droits des citoyens. Les gardes