Pie IX, le 8 août, choisit pour secrétaire d’Etat le cardinal Gizzi, le représentant véritable des idées libérales dans le sacré collège. Sur ses conseils, il changea les cardinaux des légations, diminua les dépenses de la cour, imposa le clergé et nomma une commission de jurisconsultes, mêlée de laïcs, pour la réforme des lois civiles, criminelles et pénales des États romains, d’autres pour toutes les branches de l’administration. Il demanda aux corps municipaux et ecclésiastiques l’indication des moyens d’améliorer l’instruction populaire. Avec le nouveau pape, une ère nouvelle allait-elle commencer pour l’Italie? La parole de vie politique tomberait-elle du Vatican? Tous les esprits, tous les cœurs se tournèrent vers Pie IX, qui parut un instant la réalisation vivante de la pensée de Gioberti; la religion rattachait au mouvement les masses qui sortaient de leur torpeur; elles se précipitèrent avec les classes élevées, libérales, au-devant de Pie IX.
«Si l’Italie est morte,» avait écrit récemment le poète italien Philippe Giusti au poète français Lamartine, «que veulent les armées qui veillent sur elle nuit et jour? Est-ce pour empêcher les morts de se réveiller que l’Allemagne envoie ses soldats camper en Italie?» L’Italie, à la voix de Pie IX, se réveillait en effet. Le bel automne de 1846 versa, pendant deux mois, les rayons d’un soleil, plus brillant que de coutume, sur les fêtes qui se succédaient en l’honneur du pape à Rome, à Tivoli, et sur les espérances qui germèrent dans le reste de l’Italie.
Sous cette unanimité apparente, imprimée un moment à tous les esprits, se cachaient cependant des désirs et des besoins de nature diverse. En premier lieu, ce que nul n’osait contester, même parmi les rétrogrades, les Sanfédistes, les Grégoriens, comme on les appelait encore, c’était la nécessité de certaines réformes, d’améliorations administratives, judiciaires, matérielles, dont le défaut mettait l’Italie au-dessous de tous les peuples. Les autres souverains ne reculaient pas non plus devant ces réformes, qu’ils laissaient demander, en Piémont, en Toscane particulièrement. Mais l’aristocratie, - la haute bourgeoisie, fort éclairées en Italie, et pénétrées de sentiments libéraux, ne s’arrêtaient pas là : elles ne regardaient ces réformes que comme un acheminement vers des institutions politiques, constitutionnelles, qui leur donneraient la part légitime d’influence que méritaient leurs lumières et leurs richesses. Le comte Balbo, dans ses Speranze d’Italia, cherchant à réconcilier les princes avec le libéralisme, attendait au moins de leur générosité les constitutions qu’on avait autrefois, en 1821, en 1831, voulu leur arracher. Le professeur Montanelli, en Toscane, avait demandé déjà que le grand-duc, Léopold II, ajoutât à la douceur de son gouvernement le bienfait d’institutions constitutionnelles et libérales. Mamiani et Leopardi, réfugiés à Paris, étaient d’accord avec eux. A Rome, la noblesse romaine, la haute bourgeoisie, à qui toute carrière, militaire, administrative, politique, était fermée, brûlaient de remplacer ces prélats et monseigneurs, et leurs clients et leurs serviteurs, qui leur avaient barré le chemin, et qui les avaient dispersées ou décimées devant leurs tribunaux. Toutes ces classes élevées, riches, cultivées, en visant à être dirigeantes, voulaient unir toutes les forces vives du pays, la religion, les princes, le peuple, dans l’espoir d’arriver par la liberté à l’indépendance; car elles ne perdaient point de vue ce but suprême. Mais elles prétendaient mettre ces réformes sous la protection des constitutions libérales. C’était le vœu qu’exprimait ouvertement l’école politique italienne formée sous l’inspiration du gouvernement de la France de 1830.
Il ne fallait pas se le dissimuler pourtant, les nombreux affiliés de la Société de la Jeune Italie, fondée en France par les exilés de 1831, et dirigée par le plus célèbre d’entre eux, Mazzini, pouvaient ne point partager ces sentiments conciliants. Il n’y avait pas longtemps que celui-ci, particulièrement, rompant avec la papauté, avec la royauté, avec les aristocraties, avec tout le passé, avait mis pour lui et ses adeptes, à la place du catholicisme, une sorte de théophilanthropie, dont Dio e popolo étaient les deux termes, et émis la prétention de délivrer et de reconstituer l’Italie sans pape et sans princes dans l’unité nationale et démocratique d’une république indivisible, dont Rome serait la clef de voûte. Homme d’action en même temps que mystique rêveur, élève de l’école républicaine d’opposition à la monarchie de juillet, il avait englobé dans une seule société secrète les débris du carbonarisme, les sectes diverses qui se partageaient les esprits exaltés; et l’insurrection qu’il avait déjà tentée par deux fois précédemment, était son levier, quoiqu’il parût s’adoucir assez quelquefois pour se rapprocher des libéraux. Grâce à la haine de l’étranger, du Tedesco, de l’Autrichien, alors le véritable et le seul maître, par le Lombard-Vénitien, de la Péninsule, ce parti radical, conduit par les comités de Malte et de Londres surtout, avait une puissante influence sur l’instinct national. Car, après tout, ce que tous, lettrés et ignorants, nobles et peuple, voyaient au bout du mouvement, et comme dernier résultat, c’était la lutte contre l’étranger, la conquête de l’indépendance; et, si celle-ci ne pouvait être atteinte que par le sacrifice des souverains et l’union de l’Italie entière en un seul État, beaucoup ne reculaient pas, têtes ardentes, au moins, devant cette dernière et suprême lutte. L’indépendance, l’union de la Péninsule, du sommet des Alpes au golfe de Tarente, rêve dans lequel se rencontraient le libéral et le démocrate, le Romain, le Piémontais, le Toscan, et les Lombards et les Vénitiens, sujets de l’étranger, apparaissait en effet comme le but lointain, mais supérieur et suprême, de tous les efforts, l’utopie désirable et réalisable peut-être, le vrai et définitif avenir de l’Italie! But suprême ou utopie brillante, en tous cas, qui pouvait offrir l’avantage d’encourager tous les efforts, comme le péril de compromettre par l’excès toutes les tentatives, mais qui était le plus pur et le plus puissant ferment de la renaissance et de la vie italienne!
Pie IX avait le cœur assez italien pour pressentir cet avenir, et la raison assez saine pour en prévoir les périls; il pensait à réaliser progressivement chez lui et à seconder dans la Péninsule ce qui était dans la mesure du temps, et à ne pas se laisser entraîner au delà. «Il nous faut dix ans,» disait-il, «pour faire pénétrer l’esprit national et politique dans les masses,» et il évitait de toucher à ce qui menait directement à la politique.
Il y avait un prince, en Italie, que son origine, sa jeunesse, ses commencements, ses tendances, son ambition même, semblaient destiner, non-seulement à encourager, mais à devancer Pie IX: c’était le fondateur de la dynastie de la branche cadette des rois de Sardaigne, Charles-Albert, successeur du dernier souverain de la branche aînée, et roi depuis 1831. Né en 1798, élevé dans les écoles militaires françaises, sous le règne du roi Charles-Félix, au temps du carbonarisme, qui était en conspiration permanente contre la maison d’Autriche, et cependant marié à une princesse autrichienne, contemporain dans sa jeunesse des Confalonieri, des Silvio Pellico, des Arrivabene, cette brillante