Ainsi, si la garnison de Mantoue a été renforcée à peu près par cinq mille hommes d'infanterie, je calcule que la bataille de Saint-George doit à peu près les lui avoir fait perdre. Quant à la cavalerie, c'est un surcroît d'embarras et de consommation. Je ne doute plus que Wurmser ne tente toute espèce de moyens pour sortir de Mantoue avec elle.
Depuis le 16 de ce mois nous sommes toujours nous battant, et toujours les mêmes hommes contre des troupes nouvelles. L'armée que nous venons presque de détruire était encore formidable; aussi il paraît qu'elle avait des projets hostiles, nous l'avons surprise et prévenue dans le temps qu'elle faisait son mouvement.
Je vous envoie mon aide-de-camp Marmont, porteur de vingt-deux drapeaux pris sur les Autrichiens.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Nous n'avons pas d'autre chose à faire, citoyens directeurs, si nous voulons profiter de notre position actuelle, que de marcher sur Trieste. Nous serons à Botzen dès l'instant que l'armée du Rhin se sera avancée sur Inspruck; mais ce plan, que nous adoptons, et qui était bon au mois de juin, ne vaut plus rien à la fin de septembre. Les neiges vont bientôt rétablir les barrières de la nature, le froid commence déjà à être vif; l'ennemi, qui l'a senti, s'est jeté sur la Brenta pour couvrir Trieste. Je marche aujourd'hui le long de la Brenta, pour attaquer l'ennemi à Bassano, ou pour couper ses derrières s'il fait un mouvement sur Verone. Vous sentez qu'il est impossible que je m'engage dans les montagnes du Tyrol, lorsque toute l'armée ennemie est à Bassano et menace mon flanc et mes derrières. Arrivé à Bassano, je bats l'ennemi: comment voulez-vous qu'alors je le pousse par devant et que je cherche à lui enlever Trieste? Le jour où j'aurais battu l'ennemi à Bassano, et où l'armée du Rhin serait à Inspruck, les quatre mille hommes, débris de la division qui gardait Trente, se retireraient, par Brixen et Lientz, sur le Frioul: alors la communication sera vraiment établie avec l'armée du Rhin, et j'aurai acculé l'ennemi au-delà de Trieste, point essentiel où se nourrit l'armée ennemie. Ensuite, selon la nature des circonstances, je me tiendrai à Trieste ou je retournerai sur l'Adige. Après avoir détruit ce port, et selon la nature des événemens, je dicterai aux Vénitiens les lois que vous m'avez envoyées par vos ultérieures instructions. De là encore il sera facile, si les renforts du général Châteauneuf-Randon arrivent, et si vous me faites fournir dix mille hommes de l'armée des Alpes, d'envoyer une bonne armée jusqu'à Naples. Enfin, citoyens directeurs, voulez-vous cet hiver ne pas avoir la guerre au coeur de l'Italie? Portons-la dans le Frioul.
L'armée du Rhin, occupant Inspruck, garde mon flanc gauche; d'ici à un mois, les neiges et les glaces le feront pour elle, et elle pourra retourner sur le Danube. Vous sentez mieux que moi, sans doute, l'effet que fera la prise de Trieste sur Constantinople, sur la Hongrie et sur toute l'Italie. Au reste, citoyens directeurs, le 22 je serai à Bassano. Si l'ennemi m'y attend, il y aura une bataille qui décidera du sort de tout ce pays-ci; si l'ennemi se recule encore sur Trieste, je ferai ce que les circonstances militaires me feront paraître le plus convenable; mais j'attendrai vos ordres pour savoir si je dois, ou non, me transporter sur Trieste.
Je crois qu'il serait nécessaire de former à Milan trois bataillons de Milanais, qui serviraient à renforcer l'armée qui bloque Mantoue. Si vous adoptez le projet de se porter sur Trieste, je vous prie de me faire connaître de quelle manière vous entendez que je me conduise avec cette ville, dans le cas où l'on jugerait à propos de l'évacuer quelque temps après.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Trente, le 20 fructidor an 4 (6 septembre 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
La division du général Masséna passa l'Adige, le 26, au pont de Golo, suivant le grand chemin du Tyrol: elle est arrivée à Ala, le 17; le même jour, à deux heures après midi, notre cavalerie a sabré les avant-postes ennemis, et leur a pris six chevaux.
La division du général Augereau est partie de Verone dans le même temps, et s'est postée sur les hauteurs qui séparent les états de Venise du Tyrol.
La division du général Vaubois est partie en même temps de Storo, à la gauche du lac de Garda; son avant-garde est arrivée à Torbole, où elle a été jointe par la brigade du général Guieux, qui s'était embarquée à Salo sur le lac de Garda; son avant-garde, commandée par le général de brigade Saint-Hilaire, a culbuté l'ennemi, qu'il a rencontré au pont de la Sarca, et lui a fait cinquante prisonniers.
Le 17, au soir, le général Pigeon, commandant l'infanterie légère de la division du général Masséna, me donne avis que l'ennemi tient en force le village de Serravalle: il reçoit et exécute l'ordre d'attaquer, il force l'ennemi, et lui fait trois cents prisonniers.
Le 18, à la pointe du jour, nous nous trouvons en présence. Une division de l'ennemi gardait les défilés inexpugnables de Marco, une autre division au-delà de l'Adige gardait le camp retranché de Mori. Le général Pigeon, avec une partie de l'infanterie légère, gagne les hauteurs à la gauche de Marco; l'adjudant Sornet, à la tête de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie légère, attaque l'ennemi en tirailleurs; le général de brigade Victor, à la tête de la dix-huitième demi-brigade d'infanterie de bataille en colonne serrée par bataillon, perce par le grand chemin; la résistance de l'ennemi est long-temps opiniâtre: au même instant, le général Vaubois attaque le camp retranché de Mori; après deux heures de combat très-vif, l'ennemi plie partout. Le citoyen Marois, mon aide-de-camp, capitaine, porte l'ordre au général Dubois de faire avancer le premier régiment de hussards, et de poursuivre vivement l'ennemi. Ce même général se met lui-même à la tête, et décide de l'affaire; mais il reçoit trois balles, qui le blessent mortellement. Un de ses aides-de-camp venait d'être tué à ses côtés. Je trouve un instant après ce général expirant. «Je meurs pour la république, faites que j'aie le temps de savoir si la victoire est complette.» Il est mort.
L'ennemi se retire à Roveredo: j'ordonne au général de brigade Rampon de passer avec la trente-deuxième entre cette ville et l'Adige; le général Victor, pendant ce temps-là, entre au pas de charge dans la grande rue; l'ennemi se replie encore en laissant une grande quantité de morts et de prisonniers. Pendant ce temps-là, le général Vaubois a forcé le camp retranché de Mori, et poursuivi l'ennemi sur l'autre rive de l'Adige; il était une heure après-midi; l'ennemi, battu partout, profitait des difficultés du pays, nous tenait tête à tous les défilés, et exécutait sa retraite sur Trente. Nous n'avions encore pris que trois pièces de canon et fait mille prisonniers.
Le général Masséna fait rallier toutes les demi-brigades, et donne un moment de repos à sa division: pendant ce temps, nous allons, avec deux escadrons de cavalerie, reconnaître les mouvemens de retraite de l'ennemi; il s'est rallié en avant de Caliano, pour couvrir Trente, et donner le temps à son quartier-général d'évacuer cette ville. S'il a été battu pendant toute la journée devant Caliano, nulle position n'est inexpugnable. L'Adige touche presque à des montagnes à pic, et forme une gorge qui n'a pas quarante toises de largeur, fermée par un village, un château élevé, une bonne muraille qui joint l'Adige à la montagne, et où il a placé toute son artillerie. Il faut de nouvelles dispositions: le général Dommartin fait avancer huit pièces d'artillerie légère pour commencer la canonnade. Il trouve une bonne position, d'où il prend la gorge en écharpe.
Le général Pigeon passe avec l'infanterie légère sur la droite; trois cents tirailleurs se jettent sur les bords de l'Adige pour commencer la fusillade, et trois demi-brigades en colonne serrée et par bataillon, l'arme au bras, passent