Voilà donc les Autrichiens entièrement expulsés de l'Italie. Nos avant-postes sont sur les montagnes de l'Allemagne. Je ne vous citerai pas tous les hommes qui se sont signalés par des traits de bravoure, il faudrait nommer tous les grenadiers et carabiniers de l'avant-garde; ils jouent et rient avec la mort. Ils sont aujourd'hui parfaitement accoutumés avec la cavalerie, dont ils se moquent. Rien n'égale leur intrépidité, si ce n'est la gaieté avec laquelle ils font les marches les plus forcées. Ils servent tour à tour la patrie et l'amour.
Vous croiriez qu'arrivés au bivouac ils doivent au moins dormir? Point du tout: chacun fait son conte ou son plan d'opérations du lendemain, et souvent on en voit qui rencontrent très-juste. L'autre jour, je voyais défiler une demi-brigade, un chasseur s'approcha de mon cheval: «Général, me dit-il, il faut faire cela! Malheureux! lui dis-je, veux-tu bien te taire.» Il disparaît à l'instant. Je l'ai fait en vain chercher; c'était justement ce que j'avais ordonné que l'on fît.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Peschiera, le 13 prairial an 4 (1er juin 1796).
Au directoire exécutif.
Citoyens directeurs,
La république de Venise a laissé occuper par les Impériaux Peschiera, qui est une place forte; mais, grâce à la victoire de Borgetto, nous nous en sommes emparés, et je vous écris aujourd'hui de cette ville.
Le général Masséna occupe, avec sa division, Vérone, belle et grande ville qui a deux ponts sur l'Adige.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Roverbello, le 15 prairial an 4 (3 juin 1796).
A monsieur le duc d'Aoste.
J'ai reçu, monsieur, votre courrier; la conduite du roi à l'occasion de M. Bounnafier est digne de lui.
Je vais prendre des mesures pour que, pendant le peu de temps que la police de la ville d'Alba appartiendra à l'armée, il ne se commette aucun trouble; mais j'espère que nous hâterons, le plus que possible, le moment de l'exécution du traité, afin de voir consolidée la paix qui doit désormais unir les deux puissances.
J'ai ordonné au commandant de la place d'Alba de faire relâcher différens particuliers, sujets du roi, qui avaient été arrêtés, pour je ne sais pas trop quelle espèce de représailles.
Je me flatte que vous êtes persuadé que je n'oublierai rien de ce qui pourra vous être agréable, me mériter votre estime, et vous convaincre des sentimens de considération, etc.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Roverbello, le 16 prairial an 4 (4 juin 1796).
Au ministre de la république à Venise.
Le sénat m'a envoyé deux sages du conseil; il est nécessaire que vous lui témoigniez le mécontentement de la république de ce que Peschiera a été livrée aux Autrichiens. Le sang français a coulé pour la reprendre. Il ne faut pas cependant nous brouiller avec une république dont l'alliance nous est utile.
J'ai parlé aux sages de la cocarde nationale; je crois que vous devez fortement tenir pour que les Français la portent, et que l'injure qui a été faite soit réparée.
Tenez-moi instruit de tout en détail. Je pars à l'instant pour Milan, adressez-moi là vos nouvelles; ne me laissez pas ignorer ce que fait Beaulieu et le mouvement des troupes en Bavière.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).
Au directoire exécutif.
Par l'armistice conclu entre les deux armées française et napolitaine, nous obtenons les résultats suivans: 1°. Nous ôtons deux mille quatre cents hommes de cavalerie à l'armée autrichienne, et nous les plaçons dans un lieu où ils sont à notre disposition. 2°. Nous ôtons aux Anglais cinq vaisseaux de guerre et plusieurs frégates. 3°. Nous continuons à mettre les coalitions en déroute.
Si vous faites la paix avec Naples, la suspension aura été utile, en ce qu'elle aura affaibli de suite l'armée allemande. Si, au contraire, vous ne faites pas la paix avec Naples, la suspension aura encore été utile, en ce qu'elle me mettra à même de prendre prisonniers les deux mille quatre cents hommes de cavalerie napolitaine, et que le roi de Naples aura fait une démarche qui n'aura pas plu à la coalition. Cela me porte à traiter la question militaire: pouvons-nous et devons-nous aller à Naples?
Le siège du château de Milan, la garde du Milanais et la garnison des places conquises, demandent quinze mille hommes.
La garde de l'Adige et des positions du Tyrol, vingt mille hommes.
Il ne reste, compris les secours qui arrivent de l'armée des Alpes, que six mille hommes.
Mais, eussions-nous vingt mille hommes, il ne nous conviendrait pas de faire vingt-cinq jours de marche, dans les mois de juillet et d'août, pour chercher la maladie et la mort. Pendant ce temps-là, Beaulieu repose son armée dans le Tyrol, la recrute, la renforce de secours qui lui arrivent tous les jours, et nous reprendra dans l'automne ce que nous lui avons pris dans le printemps. Moyennant cet armistice avec Naples, nous sommes à même de dicter à Rome toutes les conditions qu'il nous plaira; déjà, dans ce moment-ci, la cour de Rome est occupée à faire une bulle contre ceux qui prêchent en France la guerre civile, sous prétexte de religion.
Par la conversation que j'ai eue ce matin avec M. Azara, ministre d'Espagne, envoyé par le pape, il m'a paru qu'il avait ordre de nous offrir des contributions. Je serai bientôt à Bologne. Voulez-vous que j'accepte alors, pour accorder un armistice au pape, vingt-cinq millions de contributions en argent, cinq millions en denrées, trois cents cadres, des statues et des manuscrits en proportion, et que je fasse mettre en liberté tous les patriotes arrêtés pour faits de la révolution? J'aurai au reste le temps de recevoir vos ordres là-dessus, puisque je ne crois pas être à Bologne avant dix ou quinze jours. Alors, si les six mille hommes que commande le général Châteauneuf-Randon arrivent, il n'y aura pas d'inconvénient de se porter de Bologne jusqu'à Rome. Au reste, je vous prie de rester persuadé que lorsqu'une fois vous m'avez fait connaître positivement vos intentions, il faudrait qu'elles fussent bien difficiles, pour que je ne puisse pas les exécuter.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 19 prairial an 4 (7 juin 1796).
Au directoire exécutif.
Lorsque M. Beaulieu sut que nous marchions pour passer le Mincio, il s'empara de la forteresse de Peschiera, qui appartient aux Vénitiens. Cette forteresse, située sur le lac de Garda, à la naissance du Mincio, a une enceinte bastionnée en très-bon état, et quatre-vingt pièces de canon, qui, à la vérité, n'étaient pas montées.
M. le provéditeur général, qui était à Vérone avec deux mille hommes, aurait donc bien pu faire en sorte que cette place ne fût pas occupée par les Autrichiens, qui y sont entrés sans aucune espèce de résistance, lorsque j'étais arrivé à Brescia, c'est-à-dire à une journée de-là.
Dès que j'appris que les Autrichiens étaient à Peschiera, je sentis qu'il ne fallait pas perdre un instant à investir cette place, afin d'ôter à l'ennemi les moyens de l'approvisionner. Quelques jours de retard