Le roi de Sardaigne se donne de son côté le plus grand mouvement; il a fait une réquisition de jeunes gens depuis quinze ans.
J'ai trouvé à Oneille des marbres, qui sont évalués quelque argent; j'ai ordonné qu'on en fit l'estimation, et qu'on les mît à l'enchère dans la rivière de Gênes: cela pourra nous donner une somme de trente à quarante mille livres.
La maison Flachat qui a l'entreprise des grains, et la maison Collot, qui a la viande, se conduisent bien: ils nous donnent de très-bons grains, et le soldat commence à avoir de la viande fraîche.
L'armée est dans un dénuement à faire peur; j'ai encore de grands obstacles à surmonter, mais ils sont surmontables: la misère y a autorisé l'indiscipline, et sans discipline point de victoire. J'espère que cela s'arrangera promptement, déjà tout change de face; sous peu de jours nous en serons aux mains.
J'ai fait faire avant-hier une reconnaissance vers Cairo; les avant-postes des ennemis ont été culbutés, nous avons fait quelques prisonniers.
L'armée piémontaise est forte de cinquante mille hommes d'infanterie et de cinq mille de cavalerie; je n'ai de disponible que quarante-cinq mille hommes, tout compris. On m'a retenu beaucoup de troupes sur les derrières, et au-delà du Rhône.
Chauvet, ordonnateur en chef, est mort à Gênes: c'est une perte réelle pour l'armée; il était actif, entreprenant. L'armée a donné une larme à sa mémoire.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Albenga, le 19 germinal an 4 (8 avril 1796).
Au directoire exécutif.
J'ai reçu une lettre que m'a écrite le général Colli, qui commande l'armée du roi de Sardaigne, j'espère que la réponse que je lui ai faite (Voy. pag. 13) sera conforme à vos intentions. La trésorerie nous envoie souvent des lettres de change, qui sont protestées: une de 162,800 liv., qui était sur Cadix, vient de l'être; ce qui augmente nos embarras.
J'ai trouvé cette armée, non-seulement dénuée de tout, mais sans discipline, dans une insubordination perpétuelle. Le mécontentement était tel, que les malveillans s'en étaient emparés: l'on avait formé une compagnie du Dauphin, et l'on chantait des chansons contre-révolutionnaires. J'ai fait traduire à un conseil militaire deux officiers prévenus d'avoir crié Vive le roi. Je suppose que la mission du citoyen Moulin, comme parlementaire, était relative à des trames de cette nature, dont je cherche le fil avec opiniâtreté. Soyez sûr que la paix et l'ordre s'y rétabliront; tout se prépare ici. Je viens de faire occuper la position importante de....
Lorsque vous lirez cette lettre, nous nous serons déjà battus. La trésorerie n'a pas tenu parole: au lieu de 500,000 liv., elle n'en a envoyé que 300,000, et nous n'avons pas entendu parler d'une somme de 600,000, qui nous était annoncée; mais, malgré tout cela, nous irons.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Lascar, le 26 germinal an 4 (15 avril 1796).
Au directoire exécutif.
Je vous ai rendu compte que la campagne avait été ouverte le 20 mars, et de la victoire signalée que l'armée d'Italie a remportée aux champs de Montenotte:8 j'ai aujourd'hui à vous rendre compte de la bataille de Millesime.
Après la bataille de Montenotte, je transportai mon quartier-général à Lascar; j'ordonnai au général divisionnaire de se porter sur Santa-Zello, pour menacer d'enlever les huit bataillons que l'ennemi avait dans cette ville, et de se porter le lendemain, par une marche cachée et rapide, dans la ville de Cairo. Le général Masséna se porta, avec sa division, sur les hauteurs de Dego; le général divisionnaire Augereau, qui était en marche depuis deux jours, attaqua, avec les soixante-neuvième et trente-neuvième demi-brigades, dans la plaine de Lascar; le général de brigade Ménard occupa les hauteurs de Biestros; le général de brigade Joubert, avec la première brigade d'infanterie légère, occupa la position intéressante de Sainte-Marguerite.
Le 21, à la pointe du jour, le général Augereau, avec sa division, force les gorges de Millésimo, tandis que les généraux Ménard et Joubert chassent l'ennemi de toutes les positions environnantes, enveloppent, par une manoeuvre prompte et hardie, un corps de quinze cents grenadiers autrichiens, à la tête desquels se trouvait le général Provera, chevalier de l'ordre de Marie-Thérèse, qui, loin de poser les armes et de se rendre prisonnier de guerre, se retira sur le sommet de la montagne de Cossaria, et se retrancha dans les ruines d'un vieux château, extrêmement fort par sa position.
Le général Augereau fit avancer son artillerie, on, se canonna pendant plusieurs heures, A onze heures du matin, ennuyé de voir ma marche arrêtée par une poignée d'hommes, je fis sommer le général Provera de se rendre: le général Provera demanda à me parler; mais une canonnade vive qui s'engageait vers ma droite m'engagea à m'y transporter, Il parlementa avec le général Augereau pendant plusieurs heures; mais les conditions qu'il voulait n'étant pas raisonnables, le général Augereau fit former quatre colonnes, et marcha sur le château de Cossaria, Déjà l'intrépide général Joubert, grenadier pour le courage, et bon général par ses connaissances et ses talens militaires, avait passé avec sept hommes dans les retranchemens ennemis; mais, blessé à la tête, il fut renversé par terre; ses soldats le crurent mort, et le mouvement de sa colonne se ralentit. Sa blessure n'est pas dangereuse.
La seconde colonne, commandée par le général Bonel, marchait avec un silence morne et l'arme au bras, lorsque ce brave général fut tué au pied des retranchemens ennemis.
La troisième colonne, commandée par l'adjudant-général Guérin, fut également déconcertée dans sa marche, une balle ayant tué cet officier général. Toute l'armée a vivement regretté la perte de ces deux braves officiers.
La nuit, qui arriva sur ces entrefaites, me fit craindre que l'ennemi ne cherchât à se faire jour l'épée à la main. Je fis réunir tous les bataillons, et je fis faire des épaulemens en tonneaux, et des barrures d'obusiers, à demi-portée de fusil.
Le 25, à la pointe du jour, l'armée sarde et autrichienne et l'armée française se trouvèrent en présence; ma gauche, commandée par le général Augereau, tenait bloqué le général Provera. Plusieurs régimens ennemis, où se trouvait entre autres le régiment Beljioso, essayèrent de percer mon centre. Le général de brigade Ménard les repoussa vivement, je lui ordonnai aussitôt de se replier sur ma droite; et, avant une heure après midi, le général Masséna déborda la gauche de l'ennemi, qui occupait, avec de forts retranchemens et de vigoureuses batteries, le village de Dego. Nous poussâmes nos troupes légères jusqu'au chemin de Dego a Spino. Le général Laharpe marcha avec sa division sur trois colonnes serrées en masse; celle de gauche, commandée par le général Causse, passa la Bormida sous le feu de l'ennemi, ayant de l'eau jusqu'au milieu du corps, et attaqua l'aile gauche de l'ennemi, par la droite. Le général Servoni, à la tête de la deuxième colonne, traversa aussi la Bormida sous la protection d'une de nos batteries, et marcha droit à l'ennemi. La troisième colonne, commandée par l'adjudant-général Boyer, tourna un ravin, et coupa la retraite à l'ennemi.
Tous ces travaux, secondés par l'intrépidité des troupes et les talens des différens généraux, remplirent le but qu'on en attendait. Le sang-froid est le résultat du courage, et le courage est l'apanage des Français.
L'ennemi, enveloppé de tous les côtés, n'eut pas le temps de capituler; nos colonnes y semèrent la mort, l'épouvante et la fuite.
Pendant que, sur notre droite, nous faisions les dispositions pour l'attaque de la gauche de l'ennemi, le général Provera, avec le corps de troupes qu'il commandait à Cossaria, se rendit prisonnier de guerre.
Nos troupes s'acharnèrent de tous les côtés a la poursuite de l'ennemi. Le général Laharpe se mit