Angéline de Montbrun. Laure Conan. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Laure Conan
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066075644
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parlementaires. Mais c'est maintenant le temps des petites: l'esprit de parti a remplacé l'esprit national.

      Non, le patriotisme, cette noble fleur, ne se trouve guère dans la politique, cette arène souillée. Je serais heureux de me tromper; mais à part quelques exceptions bien rares, je crois nos hommes d'État beaucoup plus occupés d'eux-mêmes que de la patrie.

      Je les ai vus à l'oeuvre, et ces ambitions misérables qui se heurtent, ces vils intérêts, ces étroits calculs, tout ce triste assemblage de petitesses, de faussetés, de vilenies, m'a fait monter au coeur un immense dégoût, et dans ma douleur amère, j'ai dit: Ô mon pays, laisse-moi t'aimer, laisse-moi te servir en cultivant ton sol sacré!

      Je ne veux pas dire que vous deviez faire comme moi. Et dans quelques années, si la vie publique vous attire invinciblement, entrez-y. Mais j'ai vu bien des fiertés, bien des délicatesses y faire naufrage, et d'avance je vous dis: Que ce qui est grand reste grand, que ce qui est pur reste pur.

      Cette lettre est grave, mais la circonstance l'est aussi. Je sais qu'un amoureux envisage le mariage sans effroi; et pourtant, en vous mariant, vous contractez de grands et difficiles devoirs.

      Il vous en coûtera, Maurice, pour ne pas donner à votre femme, ardemment aimée, la folle tendresse qui, en méconnaissant sa dignité et la vôtre, vous préparerait à tous d'eux d'infaillibles regrets. Il vous en coûtera, soyez-en sûr, pour exercer votre autorité, sans la mettre jamais au service de votre égoïsme et de vos caprices.

      Le sacrifice est au fond de tout devoir bien rempli; mais savoir se renoncer, n'est-ce pas la vraie grandeur? Comme disait Lacordaire, dont vous aimez l'ardente parole: «Si vous voulez connaître la valeur d'un homme, mettez-le à l'épreuve, et s'il ne vous rend pas le son du sacrifice, quelle que soit la pourpre qui le couvre, détournez la tête et passez.»

      Mon cher Maurice, j'ai fini. Comme vous voyez, je vous ai parlé avec une liberté grande; mais je m'y crois doublement autorisé, car vous êtes le fils de mon meilleur ami, et ensuite, vous voulez être le mien.

      Mes hommages à Mlle Darville. Puisqu'elle doit venir, pourquoi ne l'accompagneriez-vous pas? Vous en avez ma cordiale invitation, et les vacances sont proches.

      À bientôt. Je m'en vais rejoindre ma fille qui m'attend. Ah! si je pouvais en vous serrant sur mon coeur, vous donner l'amour que je voudrais que vous eussiez pour elle!

      C. de Montbrun.

      (Maurice Darville à Charles de Montbrun)

      Monsieur,

      Jamais je ne pourrai m'acquitter envers vous; mais je vous promets de la rendre heureuse, je vous promets que vous serez content de moi.

      Il y a dans votre virile parole quelque chose qui m'atteint au-dedans; vous savez vous emparer du côté généreux de la nature humaine, et encore une fois vous serez content de moi. Que vous avez bien fait de ne vous reposer sur personne du soin de former votre fille! Aucune autre éducation ne l'aurait faite celle qu'elle est.

      Quant à votre invitation, je l'accepte avec transport, et pourtant, il me semble que vous me verrez arriver sans plaisir. Mais vous avez l'âme généreuse, et j'aurai toujours pour vous les sentiments du plus tendre fils.

      Non, je n'aurais pas ce triste courage de mettre une main souillée dans la sienne!

      Votre fils de coeur,

      Maurice Darville.

      (Maurice Darville à Angéline de Montbrun)

      Mademoiselle,

      Je vous remercie simplement. Ni le bonheur, ni l'amour ne se disent. Du coeur ému dans ses divines profondeurs, ce sont des larmes qui jaillissent. Dieu veuille qu'un jour vous connaissiez l'ineffable douceur de ces larmes.

      Mademoiselle, puissiez-vous m'aimer un jour comme je vous aime.

      Vôtre à jamais,

      Maurice Darville.

      (Angéline de Montbrun à Mina Darville)

      Chère Mina,

      Si vous saviez comme je vous désire, au lieu de prendre le bateau comme tout le monde, vous vous embarqueriez sur l'aile des vents. J'aurai tant de plaisir à vous démondaniser!

      Mon père dit qu'on ne réussit pas tous les jours à des opérations comme celle-là. Les hommes, vous le savez, se font des difficultés sur tout et n'entendent rien aux miracles.

      Mais n'importe, je suis pleine de confiance Je changerai la reine de la mode en fleur des prés, et cette grande métamorphose opérée, vous serez bien contente.

      Tout sceptre pèse, j'en suis convaincue, et pourtant—voyez l'inconséquence humaine—je songe à reconquérir mon royaume, et veux vous prendre pour alliée.

      Mina, ma maison, que vous croyez si paisible, est en proie aux factions.

      Ma vieille Monique oublie que sa régence est finie, et ne veut pas lâcher les rênes du pouvoir, ce qui lui donne un trait de ressemblance avec bien des ministres.

      Si vous venez à mon secours, je finirai comme les rois fainéants. Je pourrais, il est vrai, protester au nom de l'ordre et du droit, mais je risque de m'y échauffer, et mon père dit qu'il ne faut pas crier, à moins que le feu ne prenne à la maison.

      Je me suis décidée à vous attendre, et lorsqu'on oublie trop que c'est à moi de commander, je prends des airs dignes.

      Chère Mina, je vous trouve bien heureuse de venir chez nous. Il me semble que c'est une assez belle chose de voir le maître des céans tous les jours.

      Croyez-moi, quand vous l'aurez observé dans son intimité, vous aurez envie de faire comme la reine de Saba, qui proclamait bienheureux les serviteurs de Salomon.

      Mme Swetchine a écrit quelque part que la bienveillance de certains coeurs est plus douce que l'affection de beaucoup d'autres; comme la lune de Naples est plus brillante que bien des soleils. Cette pensée me revient souvent lorsque je le vois au milieu de ses domestiques. Chère Mina, j'aimerais mieux être sa servante que la fille de l'homme le plus en vue du pays.

      Votre frère assure qu'entre nous la ressemblance morale est encore plus grande que la ressemblance physique. C'est une honte de savoir si bien flatter, et vous devriez l'en faire rougir. Moi, quand j'essaie, il me dit: «Mais, puisque vous avez la plus étroite parenté du sang, pourquoi n'auriez-vous pas celle de l'âme? Ignorez-vous à quel point vous lui ressemblez?»

      Cette question me fait toujours rire, car depuis que je suis au monde, j'entends dire que je lui ressemble, et toute petite je le faisais placer devant une glace, pour étudier avec lui cette ressemblance qui ne lui est pas moins douce qu'à moi. Délicieuse étude que nous reprenons encore souvent.

      Que j'ai hâte de vous voir ici où tout sourit, tout embaume et tout bruit! il me semble qu'il y a tant de plaisir à se sentir vivre et que le grand air est si bon! Je veux vous réformer complètement. Hélas! je crains beaucoup de rester toujours campagnarde jusqu'au fond de l'âme. Ici tout est si calme, si frais, si pur, si beau! Quel plaisir j'aurai à vous montrer mes bois, mon jardin et ma maison, mon nid de mousse où bientôt vous chanterez Home, sweet home. Vous verrez si ma chambre est jolie.

      «Elle est belle, elle est gentille,

       Toute bleue.»

      comme celle que Mlle Henriette Chauveau a chantée. Quand vous l'aurez vue, vous jugerez s'il m'est possible de ne pas l'aimer,

      «Ainsi que fait l'alouette

       Et chaque gentil oiseau,

       Pour le petit nid d'herbette

       Qui fut hier son berceau.»

      J'ai mis tous mes soins à préparer la vôtre, et j'espère qu'elle vous plaira. Le soleil y rit partout, ma frileuse. J'y vais vingt fois par jour, pour m'assurer qu'elle est charmante, et aussi parce que vous y viendrez bientôt. Jugez de ma conduite