Angéline de Montbrun. Laure Conan. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Laure Conan
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066075644
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une joie ardente éclatait dans mon coeur, et je restais là à me répéter: «Elle sait, elle sait que je l'aime.»

      J'avais complètement oublié que son père m'attendait, et j'en fus bien mortifié quand on vint me le rappeler. Cette fois, je me rendis sans encombre. Il m'invita d'un geste à m'asseoir près de lui.

      —Eh! bien, me dit-il en roulant ma lettre entre ses doigts, voilà donc l'explication des sottises que vous nous contez depuis quelque temps.

      Je ne répondis rien, et comme il restait silencieux, je pris sa main et lui dis que j'en perdrais la tête ou que j'en mourrais.

      —Mettons que vous auriez une terrible migraine, me répondit-il.

      Le plus difficile était fait. Je lui parlai sans contrainte en toute confiance. Je lui dis bien des choses, et il me semble que je ne parlai pas mal. Il avait l'air tout près d'être ému, et tu l'aurais trouvé parfaitement charmant; mais je n'en pus tirer d'autres réponses que: «J'y songerai.» D'ailleurs, ajouta-t-il, rien ne presse. Vous êtes bien jeune.

      Je lui dis:

      —J'ai vingt-et-un ans.

      —Angéline en a dix-huit, reprit-il, mais c'est une enfant, et je désire beaucoup qu'elle reste enfant aussi longtemps que possible.

      Cela me rappela que j'avais abusé de son hospitalité et je me sentis rougir. Il s'en aperçut, et me dit très doucement:

      —Si vous voyez dans mes paroles une leçon indirecte, vous vous trompez. Je crois à votre délicatesse.

      Ces mots m'humilièrent plus que n'importe quels reproches. Ma foi, je n'y tins pas et malgré le risque terrible de baisser dans son estime, je lui fis l'aveu de ma belle conduite.

      —A-t-elle ri? me demanda-t-il.

      La question me parut cruelle, et malgré tout je fus charmé de répondre qu'elle n'avait point ri. Sa figure se rembrunit beaucoup, et il me dit très froidement:

      —Je regrette votre indiscrétion plus que vous ne sauriez croire.

      J'étais à peu près aussi mal à l'aise qu'on peut l'être. On sonna le souper, ce qui lui rappela sans doute que je suis son hôte, car il redevint lui-même, et m'invita gracieusement à me rendre à table.

      Nous y trouvâmes, avec les dames, un vieux prêtre, curé du voisinage, qui, pendant le repas, nous raconta fort gentiment les travaux d'un bouvreuil, en frais de se construire un nid dans un rosier de son jardin.

      Évidemment ces aimables propos s'adressaient à Mlle de Montbrun, mais pour cette fois, elle ne parut guère plus intéressée que Mme W… aux histoires de son mari, quand elles durent plus de trois quarts d'heure. Ce que voyant, le bon prêtre s'informa poliment du cygne. Elle rougit divinement, et répondit je ne sais quoi que personne ne comprit.

      M. l'abbé, tout perplexe, regardait M. de Montbrun avec un air qui semblait dire: «M'expliquerez-vous ceci?»

      Après le souper, il désira voir Friby,—Friby, c'est un joli écureuil parfaitement apprivoisé, qui ouvre lui-même la porte de sa cage. M. le curé assure qu'un marguillier en charge n'ouvre pas mieux la porte du banc d' oeuvre.

      Angéline, qui a coutume de s'amuser tant des gentillesses de l'écureuil, se contenta de lui jeter quelques noix d'une main distraite. Elle se tenait silencieuse à l'écart. Son père l'observait sans qu'il y parut, et me jetait de temps à autre un regard qui disait, si je ne me trompe: «Que le diable vous emporte avec vos extravagances. Comment avez-vous osé troubler cette enfant?»

      Mina, ma contrition avait disparu comme la neige au soleil du moins s'il m'en restait, ce n'était pas sensible. Tu le sais

      Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées,

       Ne voilaient son regard…

      Maintenant elle n'ose plus me regarder; et te dire ce que j'éprouve en la voyant troublée et rougissante devant moi! Oui, elle m'aimera! Entends-tu, Mina? Je te dis qu'elle m'aimera!

      Ma petite soeur, je te chéris, mais je n'ai pas le temps de te l'écrire. Je m'en vais finir la soirée sur la mousse, à l'endroit où je lui ai dit: «Je vous aime.»

      Maurice.

      (Mina Darville à son frère)

      Je te le disais bien que tu finirais par faire une folie. Mais au fond tu me parais plus à envier qu'à blâmer. Le premier moment passé, M. de Montbrun doit avoir compris que la faim, l'occasion, l'herbe tendre… D'ailleurs Angéline t'a interrogé. Je ne puis penser sans rire à cette naïveté. J'ai hâte d'en pouvoir parler à M. de Montbrun pour lui dire: «Voyez l'inconvénient de ne jamais lire de romans, et de n'avoir pour amie intime qu'une personne aussi sage que moi!»

      Ainsi, Maurice, tu t'es mis à genoux. Il est vrai que c'était sur la mousse; n'importe, je sais que ces belles choses ne m'arriveront jamais. On me glisse assez volontiers les doux propos mais je n'ai pas le charme souverain qui enlève l'esprit, et l'on ne songe pas du tout à se prosterner.

      Cela n'empêche pas que je ne sois contente qu'Angéline ait appris à baisser les yeux—ces beaux yeux dont je n'ai jamais pu dire au juste la couleur—mais pardon, c'est à toi de les décrire.

      Je t'avouerai que cette histoire de l'étang m'a donné une belle peur. De grâce, qu'allais-tu faire là? Je n'ai pas coutume de critiquer le soleil, mais en pareille circonstance, jeter des gerbes de feu autour d'Angéline, c'était bien imprudent. Au fait, peut-être en as-tu vu plus qu'il n'y en avait. N'importe, tu as bien fait de fermer les yeux.

      Tu dis qu'elle t'aimera. Je l'espère, mon cher, et peut-être t'aimerait-elle déjà si elle aimait moins son père. Cette ardente tendresse l'absorbe. Quant à M. de Montbrun, je l'ai toujours cru favorablement disposé. Si tu ne lui convenais pas ou a peu près, il t'aurait tenu à distance comme il l'a fait pour tant d'autres.

      Je t'approuve fort de lui avoir confessé ton équipée. D'abord la franchise est une belle chose, et ensuite Angéline, qui ne cache jamais rien à son père, n'aurait pas manqué de tout lui dire à la première occasion, ce qui n'eût rien valu.

      Penses-en ce qu'il te plaira, mais si elle est émue, comme tu le crois, je voudrais savoir ce qu'il lui a dit. Cet homme-là a un tact, une délicatesse adorable. Il a du paysan, de l'artiste, surtout du militaire dans sa nature, mais il a aussi quelque chose de la finesse du diplomate et de la tendresse de la femme. Le tout fait un ensemble assez rare. Quel ami tu auras là! et sa fille!…

      Crois-moi, le jour que tu seras accepté, mets-toi à genoux pour remercier Dieu. Je connais beaucoup de jeunes filles, mais entre elles et Angéline il n'y a pas de comparaison possible. Ce qu'elle vaut, je le sais mieux que toi. Son éclatante beauté éblouit trop tes pauvres yeux. Tu ne vois pas la beauté de son âme, et pourtant c'est celle-là qu'il faut aimer.

      À propos, tu sauras que mon révérend admirateur a daigné écrire dans mon album. Ça finit ainsi:

      Calm and holy,

       Thou sittest by the fireside of the heart,

       Feeding its flames.

      Mais il est inutile de chercher à t'ouvrir les yeux sur mes glorieuses destinées. Quel dommage que l'étang soit si loin, je l'engagerais à y aller méditer ses sermons, et ne va pas croire que j'irais jeter du pain au cygne. Non, mon cher, la belle nature le laisse froid, mais il a ou veut avoir le culte de l'antiquité, et j'irais laver mes robes dans l'étang, comme la belle Nausica.

      Faut-il dire que je m'ennuie? que tu me manques? En y réfléchissant, je me suis convaincue que, malgré tes nerfs de vieille duchesse, tu as un caractère aimable. J'espère que le pèlerinage à l'étang s'est accompli heureusement.

      Je t'attends; puisque tu es heureux, arrive en chantant.

      Il me tarde de t'embrasser.

      Mina.

      (Charles