Angéline de Montbrun. Laure Conan. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Laure Conan
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066075644
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de rendre compte de vous que je n'aie fait parler.

      Vous êtes à peu près ce que vous devriez être; je l'ai constaté avec bonheur, et comme on ne peut guère exiger davantage de l'humaine nature, j'ai laissé ma fille parfaitement libre de vous accepter. Elle n'a pas refusé, mais elle déclare qu'elle ne consentira jamais à se séparer de moi. Faites vos réflexions, mon cher, et voyez si vous avez quelque objection à m'épouser.

      Vous dites qu'en vous donnant ma fille, je gagnerai un fils et ne la perdrai pas. Je vous avoue que je pense un peu différemment, mais je serais bien égoïste si j'oubliais son avenir pour le bonheur de la garder toute à moi.

      Vous en êtes amoureux, Maurice, ce qui ne veut pas dire que vous puissiez comprendre ce qu'elle m'est, ce qu'elle m'a été depuis le jour si triste, où revenant chez moi, après les funérailles de ma femme, je pris dans mes, bras ma pauvre petite orpheline, qui demandait sa mère en pleurant. Vous le savez, je ne me suis déchargé sur personne du soin de son éducation. Je croyais que nul n'y mettrait autant de sollicitude, autant d'amour. Je voulais qu'elle fût la fille de mon âme comme de mon sang, et qui pourrait dire jusqu'à quel point cette double parenté nous attache l'un à l'autre?

      Vous ne l'ignorez pas, d'ordinaire on aime ses enfants plus qu'on n'en est aimé. Mais d'Angéline à moi il y a parfait retour, et son attachement sans bornes, sa passionnée tendresse me rendrait le plus heureux des hommes, si je pensais moins souvent à ce qu'elle souffrira en me voyant mourir.

      J'ai à peine quarante-deux ans; de ma vie, je n'ai été malade. Pourtant cette pensée me tourmente. Il faut qu'elle ait d'autres devoirs, d'autres affections, je le comprends. Maurice, prenez ma place dans son coeur, et Dieu veuille que ma mort ne lui soit pas l'inconsolable douleur.

      Dans ce qui m'a été dit sur votre compte, une chose surtout m'a fait plaisir: c'est l'unanime témoignage qu'on rend à votre franchise.

      Ceci me rappelle que l'an dernier, un de vos anciens maîtres me disait, en parlant de vous: «Je crois que ce garçon-là ne mentirait pas pour sauver sa vie.» À ce propos, il raconta certains traits de votre temps d'écolier qui prouvent un respect admirable pour la vérité. «Alors, dit quelqu'un, pourquoi veut-il être avocat?» Et il assura avoir fait un avocat de son pupille, parce qu'il avait toujours été un petit menteur.

      Glissons sur cette marque de vocation. Votre père était l'homme le plus loyal, le plus vrai que j'aie connu, et je suis heureux qu'il vous ait passé une qualité si noble et si belle. J'espère que toujours vous serez, comme lui, un homme d'honneur dans la magnifique étendue du mot.

      Mon cher Maurice, vous savez quel intérêt je vous ai toujours porté, surtout depuis que vous êtes orphelin. Naturellement, cet intérêt se double depuis que je vois en vous le futur mari de ma fille. Mais avant d'aller plus loin, j'attendrai de savoir si vous acceptez nos conditions.

      C. de Montbrun.

      (Maurice Darville à Charles de Montbrun)

      Monsieur,

      Je n'essaierai pas de vous remercier. Sans cesse, je relis votre lettre pour me convaincre de mon bonheur.

      Mademoiselle votre fille peut-elle croire que je veuille la séparer de vous? Non, mille fois non, je ne veux pas la faire souffrir. D'ailleurs, sans flatterie aucune, votre compagnie m'est délicieuse.

      Et pourquoi, s'il vous plaît, ne serais-je pas vraiment un fils pour vous? Je l'avoue humblement, je me suis parfois surpris à être jaloux de vous; je trouvais qu'elle vous aimait trop. Mais maintenant je ne demande qu'à m'associer à son culte; il faudra bien que vous finissiez par nous confondre un peu dans votre coeur.

      Vous dites, Monsieur, que mon père était l'homme le plus loyal, le plus franc que vous ayez connu. J'en suis heureux et j'en suis fier. Si j'ai le bonheur de lui ressembler en cela, c'est bien à lui que je le dois.

      Je me rappelle parfaitement son mépris pour tout mensonge, et je puis vous affirmer que sa main tendrement sévère le punissait fort bien. «Celui qui se souille d'un mensonge, me disait-il alors, toutes les eaux de la terre ne le laveront jamais.»

      Cette parole me frappait beaucoup, et faisait rêver mon jeune esprit, quand je m'arrêtais à regarder le Saint-Laurent.

      Je vous en prie, prenez la direction de toute ma vie, et veuillez faire agréer à Mlle de Montbrun, avec mes hommages les plus respectueux, l'assurance de ma reconnaissance sans bornes.

      Monsieur, je voudrais pouvoir vous dire mon bonheur et ma gratitude.

      Maurice Darville.

      (Charles de Montbrun à Maurice Darville)

      Merci de m'accepter si volontiers. Vous ai-je dit que je ne consentirais pas au mariage d'Angéline avant qu'elle ait vingt ans accomplis? mais je n'ai pas d'objections à ce qu'elle vous donne sa parole dès maintenant, et puisque nous en sommes là, je m'en vais vous demander votre attention la plus sérieuse.

      Et d'abord, Maurice, voulez-vous conserver les généreuses aspirations, les nobles élans, le chaste enthousiasme de vos vingt ans? Voulez-vous aimer longtemps et être aimé toujours? «Gardez votre coeur, gardez-le avec toutes sortes de soins, parce que de lui procède la vie.» Faut-il vous dire que vous ne sauriez faire rien de plus grand ni de plus difficile? «Montrez-moi, disait un saint évêque, montrez-moi un homme qui s'est conservé pur, et j'irai me prosterner devant lui.» Parole aussi touchante que noble!

      Hé! mon Dieu, la science, le génie, la gloire et tout ce que le monde admire, qu'est-ce que cela, comparé à la splendeur d'un coeur pur? D'ailleurs, il n'y a pas deux sources de bonheur. Aimer ou être heureux, c'est absolument la même chose; mais il faut la pureté pour comprendre l'amour.

      Ô mon fils, ne négligez rien pour garder dans sa beauté la divine source de tout ce qu'il y a d'élevé et de tendre dans votre âme. Mais en cela l'homme ne peut pas grand chose par lui-même. À genoux, Maurice, et demandez l'ardeur qui combat et la force qui triomphe. Ce n'est pas en vain, soyez-en sûr, que l'Écriture appelle la prière le tout de l'homme, et souvenez-vous que pour ne pas s'accorder ce qui est défendu, il faut savoir se refuser souvent et très souvent ce qui est permis.

      Voilà le grand mot et le moins entendu peut-être de l'éducation que chacun se doit à soi-même. Dieu veuille que vous l'entendiez.

      Je vous en conjure, sachez aussi être fort contre le respect humain. Et vous pouvez m'en croire, ce n'est pas très difficile. Dites-moi, si quelqu'un voulait vous faire rougir de votre nationalité, vous ririez de mépris, n'est-ce pas?

      Certes, j'admire et j'honore la fierté nationale, mais au-dessus je mets la fierté de la foi. Sachez-le bien, la foi est la plus grande des forces morales. Vivifiez-la donc par la pratique de tout ce qu'elle commande, et développez-la par l'étude sérieuse. J'ai connu des hommes qui disaient n'avoir pas besoin de religion, que l'honneur était leur dieu, mais il est avec l'honneur, celui-là, du moins, bien des compromis, et si vous n'aviez pas d'autre culte, très certainement, vous n'auriez pas ma fille.

      Mon cher Maurice, il est aussi d'une souveraine importance que vous acceptiez, que vous accomplissiez dans toute son étendue la grande loi du travail, loi qui oblige surtout les jeunes, surtout les forts.

      Et, à propos, ne donnez-vous pas trop de temps à la musique? Non que je blâme la culture de votre beau talent, mais enfin, la musique ne doit être pour vous que le plus agréable des délassements, et si vous voulez goûter les fortes joies de l'étude, il faut vous y livrer.

      Encore une observation. Je n'approuve pas que vous vous mêliez d'élections.

      On m'a dit que vous avez quelques beaux discours sur la conscience… Je veux être bon prince, mais, je vous en avertis charitablement, s'il vous arrive encore d'aller, vous, étudiant de vingt ans, éclairer les électeurs sur leurs droits et leurs devoirs, je mettrai Angéline et Mina à se moquer de vous.

      D'ailleurs, pourquoi épouser si chaudement les intérêts d'un tel ou d'un autre? Croyez-vous que