Avecq un voile quarré estendu avec quattre perches égalles et ayant attaché quatre cordes aux quattre coings, un homme sans danger se pourra jeter du haut d'une tour ou de quelque autre lieu éminent; car encore que, à l'heure, il n'aye pas de vent, l'effort de celui qui tombera apportera du vent qui retiendra la voile, de peur qu'il ne tombe violement, mais petit à petit descende. L'homme doncq se doit mesurer avec la grandeur de la voile.
Fig. 7—Le parachute de Venise (1617), d'après une gravure du temps.
Il est impossible de donner plus nettement le principe du parachute, et l'appareil se trouve si clairement expliqué qu'il nous semble difficile que l'expérience indiquée successivement par Léonard de Vinci et par Fauste Veranzio n'ait pas été essayée. On voit qu'elle a pu être faite deux cents ans avant celle de Garnerin.
En 1768, plus d'un siècle après la publication de l'ouvrage de Fauste Veranzio, un savant mathématicien, Paucton, a esquissé le projet d'un véritable hélicoptère, qu'il a désigné sous le nom de ptérophore[17].
Un homme, dit Paucton, est capable d'une force suffisante pour vaincre le poids de son corps. Si donc je mets entre les mains de cet homme une machine telle que, par son moyen, il agisse sur l'air avec toute la force dont il est capable et toute l'adresse possible, il s'élèvera à l'aide de ce fluide, comme à l'aide de l'eau, ou même d'un corps solide. Or, il ne paraît pas que dans un ptérophore, adapté verticalement à une chaise, le tout fait de matière légère et soigneusement exécuté, il ne se trouve rien qui l'empêche d'avoir cette propriété dans toute sa perfection. Dans la construction, on aurait soin que la machine produisît le moins de frottement qu'il serait possible; et elle doit naturellement en produire peu, n'étant pas du tout composée. Le nouveau Dédale, assis commodément sur sa chaise, donnerait au ptérophore, par le moyen d'une manivelle, telle vitesse circulaire qu'il jugerait à propos. Ce seul ptérophore l'enlèverait verticalement; mais pour se mouvoir horizontalement, il lui faudrait un gouvernail; ce serait un second ptérophore. Lorsqu'il voudrait se reposer un peu, des clapets ou soupapes, ajustés solidement aux extrémités de secteurs de sciadique, fermeraient d'eux-mêmes les canaux hélices par où l'air coule, et feraient de la base du ptérophore une surface parfaitement pleine qui résisterait au fluide et ralentirait considérablement la chute de la machine.
On voit que Paucton expose nettement un projet d'un appareil d'aviation mû par deux hélices, l'une destinée à l'ascension, l'autre à la propulsion du système. Et cela en 1768!
Il n'y a rien de nouveau sous le soleil!
III
LE PRINCIPE DES BALLONS
Le Père Francesco Lana et son projet de navire aérien en 1670. — Le Brésilien Gusmâo. — Expérience de Lisbonne en 1709. — Le Père Galien et l'art de voyager dans les airs, en 1756.
Si le parachute a été indiqué à la fin du quinzième siècle et nettement décrit au commencement du dix-septième siècle, nous allons voir que l'idée des ballons a été émise vers la fin du dix-septième siècle, en 1670, par Lana. On a beaucoup écrit sur le célèbre jésuite; mais, ici encore, j'ai voulu me reporter au texte original. Après plus de quinze années de recherches, je suis arrivé à me procurer ce livre rare[18], où Francesco Lana a écrit le curieux chapitre intitulé: Fabricare una nave che camini sostentata sopra l'aria a remi et a vele; quale si dimostra poter riuscire nella pratica (Construire un navire qui se soutienne dans l'air et se déplace à l'aide de rames et de voiles; l'on démontre que ce projet est pratiquement réalisable).
Je vais donner ici la traduction de quelques-uns des passages les plus curieux de ce chapitre: ils montreront que les idées de Lana étaient excellentes au point de vue théorique.
Après avoir rappelé la fable de Dédale et le fait de l'expérience de vol de Dante de Pérouse, le savant jésuite s'exprime ainsi qu'il suit:
On n'a jamais cru possible jusqu'ici de construire un navire parcourant les airs, comme s'il était soutenu par de l'eau, parce qu'on n'a jamais jugé que l'on pourrait réaliser une machine plus légère que l'air lui-même: condition nécessaire pour obtenir l'effet voulu. M'étant toujours ingénié à rechercher les inventions des choses les plus difficiles, après de longues études sur ce sujet, je pense avoir trouvé le moyen de construire une machine plus légère en espèce que l'air, qui, non seulement grâce à sa légèreté, se soutienne dans l'air; mais qui encore puisse emporter avec elle des hommes, ou tout autre poids, et je ne crois pas me tromper, car je n'avance rien que je ne démontre par des expériences certaines, et je me base sur une proposition du onzième livre d'Euclide, que tous les mathématiciens admettent comme rigoureusement vraie.
Lana, après ce préambule, entre dans de longues dissertations sur des expériences préliminaires dont la gravure ci-jointe (fig. 8), reproduite pour la première fois de l'original, avec l'exactitude que comporte la photographie, montre le dispositif. L'auteur considère d'abord un vase sphérique de cuivre ou de fer-blanc A (no III de la figure), muni d'une longue tubulure à robinet BC d'au moins 47 palmes romaines de longueur. Il remplit le système d'eau, il bouche l'orifice C et retourne le tout au-dessus de l'eau. Ouvrant alors le robinet B (no V de la figure), il indique que le vase A se vide d'eau, et que le tube restera rempli jusqu'à la hauteur de 46 palmes 26 minutes.
Fig. 8.—Le navire aérien du Père Lana (1670). Reproduction par l'héliogravure de la figure authentique.
Il s'agit là de l'expérience très bien indiquée du baromètre à eau; Lana montre que le vase A se trouve vide d'air et que, dans ces conditions, il a perdu de son poids. Sans entrer dans toutes les démonstrations qu'il fournit à ce sujet, sans parler de la méthode qu'il propose d'employer pour faire le vide, nous dirons seulement qu'il se trouve conduit à imaginer, pour la confection du navire aérien qu'il propose, quatre grandes sphères en cuivre mince A B C D (no IV de la figure), dans lesquelles on aurait fait le vide. Ces sphères ou ces ballons, comme Lana les appelle, seraient plus légers que le volume d'air déplacé; ils s'élèveraient, par conséquent, dans l'atmosphère. Lana imagine de suspendre à ces ballons une barque où se tiendraient les voyageurs, et, tombant dans l'erreur que devaient commettre plus tard les premiers aéronautes qui voulaient diriger les ballons avec des voiles, sans se rendre compte que le vent n'existe pas pour l'aérostat immergé dans l'air, il munit son navire d'une voile de propulsion.
Assurément le projet de Lana est impraticable: le savant jésuite n'a pas prévu que ses ballons de cuivre vides d'air seraient écrasés par la pression atmosphérique extérieure; mais il n'en a pas moins eu une idée très nette et très remarquable pour son époque du principe de la navigation aérienne par les ballons plus légers que le volume d'air qu'ils déplacent. Il termine son long chapitre par quelques considérations très curieuses:
Je ne vois pas d'autres difficultés que l'on puisse opposer à cette idée, si ce n'est une qui me semble plus importante que toutes les autres, et que Dieu veuille ne pas permettre que cette invention soit jamais appliquée avec succès dans la pratique, afin d'empêcher les conséquences qui en résulteraient pour le gouvernement civil et politique des hommes. En effet, qui ne voit qu'il n'y a pas d'État qui serait assuré contre un coup de surprise, car ce navire se dirigerait en droite ligne sur une de ses places fortes, et, y atterrissant,