De tristes pressentiments venaient nous assaillir, lorsque nos yeux mesuraient la vaste plaine aride qui s'etendait a l'infini devant nous. Nous ne craignions pas les Apaches. La nature elle-meme etait notre plus redoutable ennemi. Nous marchions en suivant les traces des wagons. La preoccupation nous rendait muets. Les montagnes de Cristobal s'abaissaient derriere et nous avions presque perdu la terre de vue. Nous apercevions bien les sommets de la Sierra-Blanca, au loin, tout au loin a l'est; mais devant nous, au sud, l'oeil n'etait arrete par aucun point saillant, par aucune limite. La chaleur commencait a etre excessive. J'avais prevu cela au moment du depart, sentant que la matinee avait ete tres-froide, et voyant la riviere couverte de brouillards. Dans tout le cours de mes voyages a travers toutes sortes de climats, j'ai remarque que de telles matinees pronostiquent des heures brulantes pour le milieu du jour. Les rayons du soleil deviennent de plus en plus torrides a mesure qu'il s'eleve. Un vent violent souffle, mais il n'apporte aucune fraicheur. Au contraire; il souleve des nuages de sable brulant et nous les lance a la face. Il est midi. Le soleil est au zenith. Nous marchons peniblement a travers le sable mouvant. Pendant plusieurs milles nous n'apercevons aucun signe de vegetation. Les traces des wagons ne peuvent plus nous guider: le vent les a effacees.
Nous entrons dans une plaine couverte d'artemisia et de hideux buissons de plantes grasses. Les branches tordues et entrelacees entravent notre marche. Pendant plusieurs heures, nous chevauchons a travers des fourres de sauge amere, et nous atteignons enfin une autre region, une plaine sablonneuse et ondulee. De longs chainons arides descendent des montagnes et semblent s'enfoncer dans les vagues du sable amoncele de chaque cote. Nous ne sommes plus entraves par les feuilles argentees de l'artemisia. Nous ne voyons devant nous que l'espace sans limite, sans chemins traces et sans arbres. La reverberation de la lumiere par la surface unie du sol nous aveugle. Le vent souffle moins fort, et de noirs nuages flottant dans l'air s'eloignent lentement. Tout a coup nous nous arretons frappes d'etonnement. Une scene etrange nous environne. D'enormes colonnes de sable souleve par des tourbillons de vent s'elevent verticalement jusqu'aux nuages. Ces colonnes se meuvent ca et la a travers la plaine. Elles sont jaunes et lumineuses. Le soleil brille a travers les cristaux voltigeants. Elles se meuvent lentement, mais s'approchent incessamment de nous. Je les considere avec un sentiment de terreur. J'ai entendu raconter que des voyageurs, enleves dans leur tourbillonnement rapide, ont ete precipites de hauteurs effrayantes sur le sol. La mule de bagages, effrayee du phenomene, brise son licol et s'echappe vers les hauteurs. Gode s'elance a sa poursuite. Je reste seul. Neuf ou dix gigantesques colonnes se montrent a present, rasant la plaine, et m'environnent de leur cercle. Il semble que ce soient des etres surnaturels, creatures d'un monde de fantomes, animes par le demon. Deux d'entre elles s'approchent l'une de l'autre. Un choc court et violent provoque leur mutuelle destruction; le sable retombe sur la terre, et un nuage de poussiere flotte au-dessus, se dissipant peu a peu. Plusieurs se sont rapprochees de moi et me touchent presque. Mon chien hurle et aboie. Le cheval souffle avec effroi et frissonne entre mes jambes, en proie a une profonde terreur. Interdit, incertain, je reste sur ma selle, attendant l'evenement avec une anxiete inexprimable. Mes oreilles sont remplies d'un bourdonnement pareil au bruit d'une grande machine; mes yeux sont frappes d'eblouissements au milieu desquels se melent toutes les couleurs; mon cerveau est en ebullition. D'etranges apparitions voltigent devant moi. J'ai le delire de la fievre. Les courants charges se rencontrent et se heurtent dans leur terrible tourbillonnement. Je me sens saisi par une force invincible et arrache de ma selle. Mes yeux, ma bouche, mes oreilles sont remplis de poussiere. Le sable, les pierres et les branches d'arbres me fouettent la figure, je suis lance avec violence contre le sol.
Un moment, je reste immobile, a moitie enseveli et aveugle. Je sens que d'epais nuages de sable roulent au-dessus de moi. Je ne suis ni blesse, ni contusionne; j'essaie de regarder autour de moi, mais il m'est impossible de rien distinguer; je ne puis ouvrir mes yeux, qui me font horriblement souffrir. J'etends les bras, cherchant apres mon cheval. Je l'appelle par son nom. Un petit cri plaintif me repond. Je me dirige du cote d'ou vient ce cri, et je pose ma main sur l'animal. Il git couche sur le flanc. Je saisis la bride et il se releve; mais je sens qu'il tremble comme la feuille. Pendant pres d'une demi-heure, je reste aupres de sa tete, debarrassant mes yeux du sable qui les remplit, et attendant que le simoun soit passe. Enfin l'atmosphere s'eclaircit, et le ciel se degage; mais le sable, encore agite le long des collines, me cache la surface de la plaine. Gode a disparu. Sans doute il est dans les environs; je l'appelle a haute voix; j'ecoute, pas de reponse. De nouveau j'appelle avec plus de force… rien; rien que le sifflement du vent. Aucun indice de la direction qu'il a pu prendre! Je remonte a cheval et parcours la plaine dans tous les sens. Je decrivis un cercle d'un mille environ, en l'appelant a chaque instant. Partout le silence et aucune trace sur le sol. Je courus pendant une heure, galopant d'une colline a l'autre, mais sans apercevoir aucun vestige de mon camarade ou des mules. J'etais desespere. J'avais crie jusqu'a extinction. Je ne pouvais pas pousser plus loin mes recherches. Ma gorge etait en feu; je voulus boire! Mon Dieu! ma gourde etait brisee, et la mule de bagage avait emporte les outres. Les morceaux de la calebasse pendaient encore apres la courroie, et les dernieres gouttes de l'eau qu'elle avait contenue coulaient le long des flancs de mon cheval. Et j'etais a cinquante milles de l'eau!
Vous ne pouvez comprendre toute l'horreur de cette situation, vous qui vivez dans des contrees septentrionales, sur une terre remplie de lacs, de rivieres et de sources limpides. Vous n'avez jamais ressenti la soif. Vous ne savez pas ce que c'est que d'etre prive d'eau! Elle coule pour vous de toutes les hauteurs, et vous etes blase sur ses qualites. Elle est trop crue; elle est trop fade; elle n'est pas assez limpide. Il n'en est pas ainsi pour l'habitant du desert, pour celui qui voyage a travers l'ocean des prairies. L'eau est le principal objet de ses soins, de son eternelle inquietude: l'eau est la divinite qu'il adore. Il peut lutter contre la faim tant qu'il lui reste un lambeau de ses vetements de cuir. Si le gibier manque, il peut attraper des marmottes, chasser le lezard et ramasser les grillons de la prairie. Il peut se procurer toutes sortes d'aliments. Donnez-lui de l'eau, il pourra vivre et se tirer d'affaire; avec du temps il atteindra la limite du desert. Prive d'eau, il essayera de macher une bille ou une pierre de calcedoine; ouvrira les cactus spheroidaux et fouillera les entrailles du buffalo sanglant; mais il finira toujours par mourir. Sans eau, eut-il d'ailleurs des provisions en abondance, il faut qu'il meure. Ah vous ne savez pas ce que c'est que la soif! C'est une terrible chose. Dans les sauvages deserts de l'ouest c'est la soif qui tue.
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