–Bons, pour autant que je sache. Quelques discussions, oui… Qui n'en a pas? Bien sûr, je le voyais un peu tendu ces derniers temps, mais je pense que c'était pour des raisons financières.
–Lindsay avait quelqu'un qui lui tournait autour?
Michael bougea sur sa chaise.
–Je ne crois pas, mais elle était très réservée et parlait peu d'elle. Elle ne m'a jamais semblé du genre à se laisser emporter par la passion.»
Loreley le vit regarder l'horloge à balancier contre le mur, une pièce d'antiquité, et comprit que le moment de prendre congé était venu.
Elle se leva du canapé. «Bien, j'arrête de vous déranger. Merci du temps que vous m'avez consacré.» Elle reprit son sac et sa veste et sortit.
10
Le lendemain matin, Loreley envoya une requête pour un entretien avec Peter Wallace. Elle en savait un peu plus sur lui désormais, mais rien de pertinent pour le procès. Elle avait besoin d'autres informations concernant Lindsay et leur vie ensemble.
Cette fois, elle ne laisserait pas tomber sans avoir d'abord obtenu des réponses plus que satisfaisantes. L'image qu'elle s'était faite de sa personnalité ne reflétait pas celle d'un homme irascible et violent; mais si elle ne parvenait pas à en savoir plus, il faudrait un miracle pour le démontrer.
Quand Sarah lui demanda des nouvelles de Hans, alors qu'elles déjeunaient ensemble, elle se rappela qu'elle devait passer chez lui, comme elle le lui avait promis. Elle sortit du bureau en fin d'après-midi et prit un taxi.
Durant le trajet, elle ne répondit aux tentatives du chauffeur d'établir une conversation par des questions banales que par monosyllabes et une série de marmonnements: elle était trop occupée à réfléchir à ses problèmes avec John pour penser à autre chose. Le chauffeur bavard finit par hausser les épaules en grognant.
Loreley secoua la tête. Elle avait l'impression d'avoir un aimant qui n'attirait que les chauffeurs bizarres. Ou c'était elle qui avait un problème avec eux tous? Elle ne perdit pas de temps à chercher une réponse. Elle haussa les épaules et se remit à regarder par la fenêtre les files de voitures et de passants, et leurs ombres allongées qui disparaissaient, englouties par celles des immeubles de Tribeca.
Chez Hans, par chance, on respirait une atmosphère sereine et accueillante. Les deux jeunes époux s'échangeaient des attentions, chose qui lui provoqua un petit pincement au coeur: Johnny et elle n'avaient jamais été aussi proches, même dans les meilleurs moments.
Ces tristes pensées la poursuivirent durant tout le dîner et se reflétaient sur son visage, parce qu'Ester finit à un certain point par poser une main sur la sienne.
«Qu'est-ce qui ne va pas, Loreley?
–Rien, je suis seulement fatiguée. Elle avait perdu le compte des fois où elle avait utilisé cette excuse pour justifier son état d'âme ces derniers temps.
–Ce n'est pas de la fatigue, intervint son frère. Dis-moi ce qu'il t'arrive; ne tergiverse pas et ne vexe pas mon intelligence avec d'autres excuses du genre» lui dit-il de son ton brutal coutumier.
Hans arrivait à devenir un sacré emmerdeur quand il décidait de jouer les grands frères. Loreley n'avait aucune possibilité de détourner la conversation, il ne le lui permettrait pas. Elle baissa les yeux vers son assiette d'ailes de poulet frites: l'heure de dire la vérité était venue. Une demi-vérité du moins.
«Johnny et moi avons eu une vilaine dispute… Et il a quitté la maison.
–Vraiment? demanda son frère surpris. Et depuis quand?
–Quelques jours. Elle évita de le regarder en face.
–Je suis désolée, lui dit Ester en lui serrant la main. Tu verras qu'il reviendra: on se dispute souvent, et puis on fait la paix.
Elle secoua la tête.
–Le sujet est trop sérieux! D'un côté, je voudrais aller lui parler, de l'autre j'ai vraiment envie de l'envoyer au diable et de poursuivre ma route; mais je n'y arrive pas.
–S'il compte pour toi, mettez les choses au clair, déclara Hans.
–Je devrais voler jusqu'au Pacifique pour le faire.
Hans soupira.
–Il est de nouveau parti à Los Angeles? Éviter les problèmes au lieu de les affronter ne sert à rien. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais si John s'obstine à rester loin, ou tu vas le voir et tu tentes de sauver votre couple, ou tu mets fin à l'histoire, immédiatement.
Si elle avait été la seule concernée, ce serait déjà fait depuis des jours!
–Loreley, ne prends pas de décisions trop rapide, intervint Ester en lançant un regard de reproche à son mari.
–Je suis perdue… Indécise en fait. Elle posa sa fourchette: elle n'arrivait pas à manger le poulet. Elle regarda sa belle-soeur d'un air d'excuse.
–Ne t'inquiète pas! Tu peux venir me donner un coup de main par là?» demanda Ester en se levant. Elle la prit par la main pour l'entraîner avec elle, sans écouter ses protestations.
Une fois dans la cuisine, Ester se tourna vers elle. «Écoute, Loreley: je sais que ce ne sont pas mes affaires, mais je t'apprécie beaucoup. Je suis une romantique et donc, j'aime les histoires qui finissent bien. Elle lui sourit. Maintenant qu'on est seules, tu peux me dire pourquoi vous vous êtes disputés?
–Je n'ai pas envie d'en parler, excuse-moi.
–Le problème est plus grave que je ne le pensais dans ce cas. Dis-moi: tu veux que John fasse partie de ta vie? Tu l'aimes encore?»
Elle ne sut quoi répondre à cette question, et se limita à la fixer.
«Je le prendrai pour un oui. Va à Los Angeles et parle-lui: si tu décides d'en finir maintenant, sans même avoir essayé, tu passeras les prochaines années à te demander comment ça se serait passé si tu n'avais pas été si orgueilleuse. Dans le cas où il refuse tout net, tu n'auras plus de doutes ou de regrets à l'avenir.
–Je ferai une tentative» lui dit-elle pour clore rapidement cette conversation. Elle le devait à son enfant.
Avant de partir pour Los Angeles, Loreley demanda à Ethan de l'informer de toutes les nouveautés dans l'affaire Wallace. Elle lui demanda également de lui fournir une copie de tous les examens effectués sur la victime. L'audience était fixée au mois suivant et elle avait tout le temps de rentrer de Los Angeles, aller parler avec son client et étudier à nouveau le dossier complet. Kilmer était une autre paire de manches: elle devait lui demander la permission de s'absenter encore quelques jours du cabinet.
Comme prévu, le patron explosa. Il tempêta une dizaine de minutes et la jeta hors de son bureau; avec la menace que ce seraient ses dernières vacances. Dès qu'elle aurait un peu plus d'expérience, elle ouvrirait un cabinet d'avocats à son propre compte, se repromit-elle après une énième phrase à la chaux vive de la part de Kilmer. D'un point de vue financier, elle pourrait le faire immédiatement, mais l'expérience ne s'achète pas.
Ce soir-là, elle quitta le bureau en programmant chaque étape.
Une fois à la maison, elle fouilla dans les documents que son compagnon avait laissé dans le tiroir, jusqu'à trouver le numéro de téléphone et l'adresse du bureau du père de Johnny sur une carte de visite. Colin Austin aussi était architecte; son fils avait travaillé avec lui avant de déménager à New York. Elle mit la carte dans son portefeuille et prépara un bagage léger avec le strict nécessaire: il ne s'agissait pas de vacances. Si elle avait besoin de quoi que ce soit d'autre, elle l'achèterait à Los Angeles. Le billet d'avion était déjà dans son sac: Sarah avait pensé à tout.
Elle prit une douche pendant que Mira lui préparait à dîner. Si les choses n'évoluaient pas dans le bon sens, elle devrait peut-être lui parler à son retour, et la licencier. Son estomac se retourna à cette idée et le peu de faim