« Quelle routine ? »
Elle haussa les épaules et mit son livre de côté. « Vivre une vie aussi domestiquée. Être attaché, avec des contraintes. Aller travailler, rentrer à la maison, dîner, regarder la télé, éventuellement faire l’amour, puis aller dormir. »
« Si ça, c’est la routine, c’est plutôt pas mal du tout. Mais évite peut-être de mentionner le éventuellement avant la partie concernant le sexe. Pourquoi me poses-tu cette question ? Est-ce que la routine t’ennuie ? »
« Ce n’est pas que ça m’ennuie, » dit-elle. « C’est juste… que ça fait bizarre. Ça me donne l’impression de ne rien faire. Comme si j’étais devenue paresseuse ou passive concernant…. et bien, concernant quelque chose sur lequel je n’arrive pas vraiment à mettre des mots. »
« Peut-être que ça à voir avec le fait que tu aies enfin résolu l’enquête sur la mort de ton père ? » demanda-t-il.
« Peut-être. »
Mais il y avait également autre chose. Et ce n’était pas quelque chose dont elle pouvait lui parler. Elle savait qu’il était assez difficile de lui faire de la peine mais elle n’avait pas envie de prendre le risque. Ce qu’elle gardait pour elle, c’était le fait que maintenant qu’ils avaient emménagé ensemble, qu’ils flottaient sur un nuage de bonheur et qu’ils géraient tout ça comme des pros, ça voulait dire qu’il ne leur restait vraiment plus qu’une dernière étape à franchir. C’était une chose dont ils n’avaient jamais parlé et, franchement, ce n’était pas un sujet que Mackenzie avait envie d’aborder.
Le mariage. Elle espérait qu’Ellington n’était pas encore arrivé à cette étape non plus. Ça n’avait rien à voir avec l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Mais après ça… et bien, qu’est-ce qu’il restait ?
« Alors, laisse-moi te poser une question, » dit Ellington. « Est-ce que tu es heureuse ? Là, maintenant, à ce moment précis, en sachant que demain sera plus que probablement identique au jour d’aujourd’hui. Est-ce que tu es heureuse ? »
La question était toute simple mais elle se sentit tout de même mal à l’aise. « Oui, » dit-elle.
« Alors, pourquoi se poser des questions ? »
Elle hocha la tête. Il avait raison et elle se demanda si ce n’était pas juste elle qui cherchait à compliquer les choses. Elle allait avoir trente ans dans quelques semaines, alors peut-être que c’était ça, une vie normale. Une fois que tous les démons et fantômes du passé avaient été enterrés, peut-être que la vie était sensée être comme ça.
Et elle imaginait que c’était très bien comme ça. Mais il y avait quand même quelque chose dans tout ça qui lui semblait figé et statique. Et elle se demanda si elle allait vraiment un jour se permettre d’être heureuse, tout simplement.
CHAPITRE DEUX
Le travail ne l’aidait pas à rompre la monotonie de ce que Mackenzie commençait à appeler mentalement La Routine – avec un L et un R majuscules. Au cours des deux derniers mois, depuis les événements du Nebraska, le travail de Mackenzie avait consisté à surveiller un groupe d’hommes soupçonnés de trafic sexuel – elle avait passé ses journées assise dans une voiture ou dans des édifices abandonnés, à écouter des conversations crues qui finirent par ne mener à rien. Elle avait également travaillé avec Yardley et Harrison sur une enquête impliquant une cellule terroriste présumée dans l’Iowa – qui s’était également avéré ne mener à rien.
Le jour après leur conversation tendue concernant le bonheur, Mackenzie se trouvait assise à son bureau, à faire des recherches sur l’un des hommes qu’elle surveillait pour trafic sexuel. Il ne faisait pas partie d’un réseau à proprement parler, mais il était plus que probable qu’il soit impliqué dans une sorte d’organisation liée à la prostitution. Il lui semblait difficile de croire qu’elle était qualifiée pour porter une arme, traquer des meurtriers et sauver des vies. Elle commençait à avoir l’impression d’être une employée plastique, quelqu’un qui n’avait pas de réelle utilité.
Frustrée, elle se leva pour aller chercher un café. Elle n’avait jamais été du genre à souhaiter du mal à quelqu’un, mais elle commençait à se demander si les choses allaient vraiment aussi bien dans ce pays pour qu’on n’ait besoin de ses services nulle part.
Au moment où elle se dirigea vers le petit vestibule qui abritait les machines à café, elle vit Ellington qui s’emparait d’une tasse. Il la vit venir vers lui et attendit qu’elle arrive, bien qu’elle devine par son attitude qu’il avait l’air pressé.
« J’espère que ta journée est plus passionnante que la mienne, » dit Mackenzie.
« On va voir, » dit-il. « Pose-moi à nouveau la question dans une demi-heure. McGrath vient juste de me convoquer dans son bureau. »
« Pourquoi ? » demanda Mackenzie.
« Aucune idée. Il ne t’a pas appelée ? »
« Non, » dit-elle, en se demandant ce qui pouvait bien se passer. Bien qu’ils n’aient pas eu de conversation directe à ce sujet avec McGrath depuis l’enquête au Nebraska, elle avait tout simplement supposé qu’elle et Ellington continueraient à être partenaires. Elle se demanda si le département avait peut-être fini par prendre la décision de les séparer du fait de leur relation sentimentale. Si c’était le cas, elle comprenait la décision bien qu’elle ne l’apprécie pas forcément.
« Je commence à en avoir marre d’être clouée à mon bureau, » dit-elle, en se versant une tasse de café. « Tu peux me rendre service et voir si tu peux me faire bosser sur ce qu’il va t’assigner ? »
« Avec plaisir, » dit-il. « Je te tiens informée. »
Elle retourna à son bureau en se demandant si cette petite interruption dans le quotidien pourrait être ce qu’elle attendait – la fissure qui permettrait d’ébranler cette routine qu’elle ressentait comme un poids. Il était très rare que McGrath ne convoque que l’un d’entre eux à son bureau – enfin, pas récemment, en tout cas. Elle se demanda du coup si elle n’était pas mise en examen sans le savoir. Est-ce que McGrath cherchait à creuser plus profondément concernant l’enquête au Nebraska pour s’assurer qu’elle ait tout fait dans les règles ? Si c’était le cas, alors il se pourrait qu’elle ait quelques ennuis car elle n’avait définitivement pas suivi toutes les règles dans cette enquête.
S’interroger sur les raisons de cette réunion entre Ellington et McGrath était la chose la plus intéressante qui lui soit arrivée depuis au moins une semaine et c’était bien triste. C’était ce qui lui occupait l’esprit au moment où elle se rassit devant son ordinateur, en ayant de nouveau l’impression de n’être rien de plus qu’un rouage dans la machine.
***
Elle entendit des bruits de pas quinze minutes plus tard. Ça n’avait rien d’étonnant ; elle travaillait avec la porte de son bureau ouverte et elle voyait des gens circuler dans le couloir toute la journée. Mais là, c’était différent. On aurait dit le bruit de pas de plusieurs personnes marchant à l’unisson. Il y avait également une sorte de silence bizarre – une tension feutrée semblable à l’atmosphère juste avant un violent orage d’été.
Curieuse, Mackenzie leva les yeux de son ordinateur. Les bruits de pas se rapprochèrent et elle vit Ellington. Il lui jeta un rapide coup d’œil à travers la porte. Son visage reflétait une émotion qu’elle ne parvint pas à identifier. Il portait une caisse et deux agents de sécurité le suivaient de très près.
Mais c’est quoi, cette histoire ?
Mackenzie se leva