Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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roi trouva plaisant de demander à cette nourrice de qui étaient ces enfants, et si l'on connaissait leur père. La nourrice répondit qu'elle présumait que la dame sa maîtresse en était la mère: ses soins assidus, ses agitations et sa douleur, lorsqu'ils étaient malades, l'indiquent assez; mais quant au père, elle l'ignore: elle pense que ce sont les enfants naturels de quelque duc ou de quelque président au parlement285.

      Ce propos fit rire le roi et madame de Montespan; mais le roi admira une si généreuse affection, un cœur capable d'un si fort attachement, un secret si bien gardé, tant de constance et de prudence. Cette femme qu'il n'aimait pas, qui fut la protégée de Fouquet, qui porte le nom odieux de l'auteur de la Mazarinade; cette femme qui lui déplaît encore comme une précieuse bel esprit, comme une prude dévote286, il ne peut s'empêcher de lui accorder son estime; et Louis XIV était un de ces hommes chez lesquels l'estime triomphe de toutes les répulsions. Lorsqu'il fut revenu de la campagne de Hollande, non-seulement il ne mit plus aucun obstacle aux entretiens de madame Scarron avec madame de Montespan, mais il aimait à la rencontrer chez elle, parce que, par sa douce gaieté et son esprit, elle faisait distraction aux langueurs qui souvent attiédissent les tête-à-tête de l'amour satisfait. Son âge, un peu au-dessus de celui du roi, et sa dévotion ôtaient alors toute idée de jalousie à madame de Montespan; et peut-être fut-elle la dernière à s'apercevoir qu'alors le roi, lorsqu'il la venait voir, «souffrait impatiemment l'absence de cette gouvernante de ses enfants, qu'il trouvait aimable et de bonne compagnie.» Aussi, lorsque peu après on lui présenta l'état des pensions, et qu'il remarqua le nom de la veuve Scarron porté pour une somme de 2,000 francs, d'après une concession que les importunités des personnes les plus recommandables de la cour avaient eu tant de peine à lui arracher, il raya ce chiffre trop modique, et y substitua, de sa main, celui de 6,000 francs287. Il eut même plus d'une fois occasion de causer avec elle, et, revenu de ses préventions, il finit par désirer sa société288. Il pourvut aux dépenses nécessaires pour qu'elle eût un plus grand nombre de domestiques, un carrosse et un train conforme à celui de gouvernante des enfants d'un roi. C'est en cet état que madame de Sévigné nous la dépeint, lorsque, dans sa lettre du 4 décembre 1673, elle écrit à sa fille: «Nous soupâmes encore hier, avec madame Scarron et l'abbé Têtu, chez madame de Coulanges: nous causâmes fort; vous n'êtes jamais oubliée. Nous trouvâmes plaisant d'aller ramener madame Scarron, à minuit, au fond du faubourg Saint-Germain, fort au delà de madame de la Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne; une belle et grande maison, où l'on n'entre point; il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements: elle a un carrosse, des gens et des chevaux; elle est habillée modestement et magnifiquement, comme une femme qui passe sa vie avec des personnes de qualité; elle est aimable, belle, bonne, et négligée; on cause fort bien avec elle. Nous revînmes gaiement à la faveur des lanternes, et dans la sûreté des voleurs289

      Louis XIV, en voyant plus souvent les enfants qu'il avait confiés à madame Scarron, conçut pour eux une vive tendresse, et il voulut les avoir près de lui. Ce fut ainsi qu'à la grande satisfaction de madame de Montespan madame Scarron fut appelée à la cour pour y demeurer près d'elle, et, par elle, introduite dans la société intime du roi.

      CHAPITRE IV.

      1671-1677

      Madame de Sévigné s'inquiète sur son fils.—Elle ne fréquentait que des sociétés de cour.—Son fils recherchait des sociétés de ville, indépendantes de la cour.—Détails sur madame Dufresnoy et sur Louvois.—Réflexions sur ce qui procure le plus de jouissances dans les réunions et dans les fêtes.—Des femmes que Sévigné voyait.—Détails sur chacune d'elles.—Détails sur mademoiselle Raymond, sur les dames de Salins, de Montsoreau, de la Sablière et sur Ninon de Lenclos.—Sévigné devient amoureux d'elle, et lui sacrifie la Champmeslé.—Ninon n'est point satisfaite du baron de Sévigné, et lui donne son congé comme amant; mais elle le garde comme ami.—Madame de Sévigné emmène son fils en Bretagne.—Il retourne à Paris.—Il s'y serait dérangé de nouveau; mais la campagne contre la Hollande va s'ouvrir, et Sévigné part pour l'armée.

      Madame de Grignan et les affaires qui la concernaient, les états de Provence et ceux de Bretagne, n'étaient pas alors ce qui occupait le plus les pensées de madame de Sévigné. Son fils avait tout ce qui rend aimable, tout ce qui peut mériter l'estime: une figure agréable, une gaieté charmante, un bon cœur, de l'esprit et de l'instruction; mais, depuis son retour de Candie, son penchant pour les femmes, son oubli de tout devoir religieux290 inquiétaient sa mère: non qu'il fût né avec des passions très-vives; mais le pouvoir de l'exemple, la facilité de son caractère lui avaient inspiré un goût prononcé pour les plaisirs. Il était parvenu à un âge où le fils le plus respectueux et le plus reconnaissant éprouve le besoin de s'affranchir de la tutelle d'une mère. Madame de Sévigné comprit cela; et, pour conserver sur son fils un peu de l'ascendant qu'elle avait eu jusqu'alors, elle changea de rôle. Au lieu d'une mère, Sévigné trouva en elle une sœur, une confidente; au lieu de lui montrer un visage sévère, elle parut se plaire avec lui plus qu'elle n'avait fait jusqu'alors; au lieu de lui adresser des réprimandes, elle lui donna des conseils. Ce fut ainsi qu'elle obtint toute sa confiance, et qu'il s'accoutuma à lui tout dire. Sans doute elle eut à supporter d'étranges confidences, de nature à lui donner des scrupules, et à lui faire douter si elle ne poussait pas trop loin la condescendance maternelle. Mais cette violence qu'elle se fit lui réussit; elle parvint à accroître encore l'amour et la vénération que son fils avait pour elle. Ce sentiment devint un heureux contre-poids à d'autres sentiments moins purs. Elle ne put, il est vrai, garantir Sévigné de dangereuses séductions; mais elle parvint du moins à les rendre passagères, à empêcher qu'elles n'eussent des résultats désastreux pour sa santé et sa fortune.

      Sévigné, avant le départ de sa mère pour les Rochers, avait quitté son régiment à Nancy, parce qu'une dame291, qui lui plaisait, n'était plus dans cette ville. Il se rendit à Saint-Germain en Laye, où était la cour, revint ensuite à Paris, prit pour maîtresse une jeune et célèbre actrice; et, ce qui effraya le plus madame de Sévigné, il se laissa séduire par Ninon de Lenclos. Ce fut pour le soustraire à l'influence de cette enchanteresse que madame de Sévigné, comme nous l'avons dit, entraîna son fils aux Rochers, lors de la tenue des états de Bretagne; mais, comme il n'avait pas encore atteint l'âge où il devait en faire partie, les visites à faire292, les grands repas, les assemblées lui firent regretter Paris et les liaisons qu'il y avait formées293. Il quitta donc sa mère avant la fin des états. «Mon fils partit hier, écrit madame de Sévigné à sa fille. Il n'y a rien de bon, ni de droit, ni de noble que je ne tâche de lui inspirer ni de lui confirmer: il entre avec douceur et approbation dans tout ce qu'on lui dit; mais vous connaissez la faiblesse humaine. Ainsi je mets tout entre les mains de la Providence, et me réserve seulement de n'avoir rien à me reprocher sur son sujet294

      Ce n'est pas que le baron de Sévigné ne vît, du reste, aussi bonne société que celle que fréquentait sa mère; mais cette société était différente. Toutes les personnes que voyait madame de Sévigné, tant ses anciennes que ses nouvelles connaissances, tenaient plus ou moins à la cour. La gloire du monarque, qui rejaillissait sur cette cour, et l'ambition du grand nombre de ceux qui aspiraient à s'élever jusqu'à elle par les hauts grades ou les honneurs, en avaient fait un monde à part, et absolvaient tacitement, dans l'opinion publique, les travers et même les vices de ceux qui en faisaient partie.

      Le duc de la Rochefoucauld ne paraissait plus à cette cour, à cause de son âge et de ses infirmités: cependant, par son fils le prince de Marsillac, favori du roi, il y tenait encore, et la société qui se réunissait chez lui était une société de cour. Comme lui et madame de la Fayette, son amie, s'étaient fait un nom dans les lettres, beaucoup d'auteurs avaient


<p>285</p>

LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon, t. II, p. 11, et t. VI, p. 213 (XIe entretien).—Madame SCARRON (Lettre à mademoiselle d'Heudicourt, du 24 décembre 1672), t. I, p. 52 de l'édit. de Sautereau de Marsy; 1806, in-12.

<p>286</p>

CHOISY, Mémoires, dans Petitot, t. LXVI, p. 393-395.

<p>287</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (20 mars 1673, Lettre de madame de Coulanges), t. III, p. 146, édit. G.; t. III, p. 75 et 76, édit. M.

<p>288</p>

MADAME DE COULANGES, Lettres (20 mars 1673).

<p>289</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 décembre 1673), t. III, p. 248, édit. G.; t. III, p. 158, édit. M.

<p>290</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 avril 1671), t. II, p. 23, édit. G.; t. II, p. 19, édit. M.

<p>291</p>

Madame de Sévigné nomme cette dame Madruche; mais elle souligne ce nom, qui en cache évidemment un autre qu'elle n'a pas voulu mettre. SÉVIGNÉ, Lettres (25 février 1671), t. I, p. 344.

<p>292</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (10 juin 1671), t. I, p. 95, édit. G.

<p>293</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (24 et 28 juin 1671), t. II, p. 109 et 113, édit. G.

<p>294</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 juillet 1671), t. II, p. 125, édit. G.; t. II, p. 104, édit M.