Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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d'annoncer à la duchesse de Richelieu le choix que le roi avait fait d'elle pour occuper la place de dame d'honneur de la reine, qu'avait madame de Montausier266. Madame de Sévigné, par une seule phrase, nous apprend l'activité qu'exigeait cette place de la part de celle qui l'exerçait; et en même temps ce qu'avait été l'hôtel de Rambouillet, et l'opinion qu'on avait de la nouvelle dame d'honneur, comparée à celle qui l'avait précédée267. «Nous parlâmes fort de madame de Richelieu, qui renouvelle de jambes, et qui, n'ayant pas le temps de dormir ni de manger, doit craindre enfin la destinée d'une personne qui avait plus d'esprit qu'elle et plus accoutumée au bruit; car, avant que madame de Montausier fût au Louvre, l'hôtel de Rambouillet était le Louvre: ainsi elle ne faisait que changer d'habitation.»

      Il paraît que c'est à madame Scarron, dont elle avait été une des protectrices, que la duchesse de Richelieu dut d'avoir été nommée dame d'honneur; c'est du moins ce que croyait madame de Sévigné, qui ajoute: «Si cela est ainsi, madame Scarron est digne d'envie; et sa joie est la plus solide qu'on puisse avoir en ce monde268.» Réflexion juste: la plus grande jouissance serait de faire du bien à ceux qui nous en ont fait, si l'on n'en goûtait pas une plus parfaite encore en faisant du bien à ceux qui nous ont fait du mal.

      Ce passage de la lettre de madame de Sévigné est le premier indice du crédit que madame Scarron obtenait à la cour, où cependant elle ne paraissait pas publiquement. Elle avait acquis un grand ascendant sur madame de Montespan, avec laquelle elle s'était liée depuis longtemps. Son esprit, sa prudence, sa discrétion, sa haute raison, son dévouement, et même le redoublement de piété qu'on remarquait en elle depuis quelque temps269, contribuaient à accroître l'estime et l'amitié de madame de Montespan, et affermissaient la confiance qu'elle avait en elle. Malgré le désordre où elle vivait, madame de Montespan, élevée par une mère pieuse, avait, aussi bien que le roi, une foi sincère dans la religion. Selon l'esprit de ce temps, elle croyait atténuer ses torts envers Dieu en se soumettant aux pratiques et aux privations ordonnées par l'Église. Madame de Caylus affirme que madame de Montespan jeûnait austèrement tous les carêmes270.

      Avec l'ardeur et les lumières d'une nouvelle convertie, madame Scarron comprit tout ce que sa vertu lui donnait d'ascendant sur des consciences qui avaient besoin d'être rassurées, sur des âmes qui ne pouvaient se purifier que par le sacrifice de leurs honteuses passions. Les humbles fonctions d'institutrice mettaient au nombre de ses devoirs de chercher à ramener à l'obéissance des lois de l'Église et aux principes de la morale le père et la mère des enfants de race royale271 à l'éducation desquels, avec une tendresse toute maternelle, elle sacrifiait ses plus belles années.

      A cette époque, madame de Montespan avait déjà eu deux enfants du roi272, et cependant sa liaison avec lui semblait encore voilée par la présence de la Vallière. Celle-ci paraissait être la seule maîtresse déclarée. Le roi l'avait titrée273, ses enfants avaient été reconnus et légitimés; ceux de madame de Montespan ne paraissaient pas; leur existence était encore un secret. Dans ses chasses à Fontainebleau ou à Saint-Germain en Laye, lorsque Louis XIV montait en voiture, accompagné de ses deux maîtresses, la place d'honneur était réservée à la Vallière274; de sorte que, depuis qu'elle avait été enlevée du couvent de Chaillot275, on doutait si la tendresse que le monarque avait conservée pour elle ne l'emporterait pas sur sa nouvelle passion. Mais la fierté de Montespan s'irritait de cet humiliant partage, et se vengeait, dans l'intimité, de la contrainte qu'elle éprouvait en public. La Vallière supportait les capricieuses hauteurs et les insultants sarcasmes d'une rivale sans pitié, dans l'espérance que sa soumission, ses humbles complaisances et le spectacle de sa douleur toucheraient un cœur qu'elle était habituée à posséder tout entier, auquel elle se sacrifiait et voulait jusqu'à la fin se sacrifier276.

      Au milieu de ce conflit de rivalités, apparaissait de temps à autre celle qui s'était chargée d'élever pour Dieu et pour le roi les innocents fruits d'un coupable amour. Lorsque madame Scarron allait voir la favorite, par son esprit, son enjouement, elle faisait sur elle diversion aux tristesses et aux ennuis de la cour. Belle et gracieuse, la modeste gouvernante ne semblait vouloir plaire que pour apaiser les orages du cœur et calmer les troubles de l'âme. Son maintien, cet air de satisfaction intérieure, témoignages d'une conscience pure et d'une vie bien réglée, donnaient à toutes ses paroles, à ses conseils salutaires, à ses pieuses réflexions une puissance presque irrésistible. Le roi était contrarié et jaloux des longs entretiens de madame de Montespan avec madame Scarron; il voulut y mettre obstacle, ce qui accrut encore chez la favorite le désir de jouir de la société de madame Scarron277. On sut bientôt l'étroite intimité qui existait entre elles deux. Les personnes qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s'approcher de madame de Montespan recherchèrent madame Scarron. Elle qui, de son propre aveu, était dévorée du désir de s'attirer des louanges et avide de considération et d'estime278, se répandit dans le monde, et fréquenta les personnes les plus estimées, les plus considérées, les plus capables d'apprécier sa vertu et ses qualités personnelles. C'est alors que madame de Sévigné se lia plus particulièrement avec elle; c'est aussi par les lettres de madame de Sévigné que nous pouvons suivre les premiers progrès de l'élévation de cette femme, qui se doutait peu qu'elle deviendrait la compagne d'un roi qui lui adressait si rarement quelques brèves paroles. Mais cependant madame Scarron pouvait déjà prévoir que les enfants que, d'après le désir de madame de Montespan, le roi lui avait confiés, mais dont elle n'avait voulu se charger que par son ordre, seraient un jour pour elle un moyen d'influence279.

      Dans les lettres de madame de Sévigné, nous apprenons que madame Scarron allait souvent chez madame de Coulanges, avec Segrais, Barillon, l'abbé Testu, Guilleragues, les comtes de Brancas et de Caderousse, et madame de la Fayette. Dans ces réunions, l'éloge de madame de Grignan, lorsque sa mère était présente, trouvait souvent sa place280.

      Madame Scarron, pendant quelque temps, soupa presque tous les jours chez madame de Sévigné. «C'est un plaisir, dit celle-ci, de l'entendre raisonner sur les horribles agitations d'un certain pays qu'elle connaît bien; sur les tristes ennuis des dames de Saint-Germain, dont la plus enviée de toutes (madame de Montespan) n'est pas toujours exempte281.» Jamais madame Scarron, quand elle était avec madame de Sévigné, ne laissait échapper l'occasion de louer madame de Grignan282, et de répéter tout ce que madame de Richelieu, la maréchale d'Albret et les autres personnes de la cour avaient dit de flatteur sur le lieutenant général gouverneur de Provence, et sur sa belle épouse. Madame Scarron faisait jouer la petite Blanche lorsqu'elle la rencontrait chez madame de Sévigné, et poussait la complaisance jusqu'à la trouver jolie283.

      Mais bientôt arrive le moment où les enfants que madame Scarron élève dans le plus profond mystère quittent le sein des nourrices, et éprouvent ces alternatives de santé qui menacent sans cesse l'existence du premier âge. Madame Scarron n'hésite pas; elle a compris son rôle et les sacrifices pénibles qu'il exige d'elle. On ne la voit plus ni à l'hôtel d'Albret, ni à l'hôtel de Richelieu, ni chez madame de Coulanges, ni chez madame de Sévigné284. Elle est dans Paris, et on l'ignore. Le petit nombre de personnes avec lesquelles elle communique par lettres ne répondent à aucune des questions qu'une légitime curiosité suggère à tous ceux qui la connaissent; elle ne sort que rarement de la retraite qu'elle s'est choisie, et seulement pour de pieux devoirs. Hors de chez elle, elle n'ôte


<p>266</p>

Recueil des gazettes nouvelles, ordinaires et extraordinaires, 1672, in-4o, p. 1120 (21 novembre 1671).—LOUIS XIV, Œuvres, t. V, p. 489 (Lettre du roi à la duchesse de Richelieu, datée de Versailles le 16 novembre 1671). Ainsi cette lettre de nomination est du lendemain même de la mort de la duchesse de Montausier.

<p>267</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (12 janvier 1680), t. VI, p. 297, édit. G.; t. VI, p. 103, édit. M.

<p>268</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 décembre 1671), t. II, p. 305, édit. G.; t. II, p. 259, édit. M.

<p>269</p>

Conférez la 3e partie de ces Mémoires, p. 94 et 95, chap. V.—CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 382.—LA BEAUMELLE, Mémoires de madame de Maintenon, chap. I et II, p. 1-18.

<p>270</p>

CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 388.

<p>271</p>

Le premier mourut à l'âge de trois ans; le second, Auguste de Bourbon, depuis duc du Maine, était né le 31 mars 1670. Conférez CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 384, et la 3e partie de ces Mémoires, chap. XII, p. 208 à 213.

<p>272</p>

Anne-Marie de Bourbon, dite mademoiselle de Blois, naquit à Vincennes le 2 octobre 1666, et Louis de Bourbon, comte de Vermandois, naquit un an après, le 2 octobre 1667.

<p>273</p>

La terre de Vaujour et la baronnie de Saint-Christophe furent érigées en duché-pairie par lettres patentes données à Saint-Germain en Laye au mois de mai 1667.

<p>274</p>

Mémoires de François DE MAUCROIX; 1842, in-12, p. 32 et 33 chap. XX.

<p>275</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, p. 209, chap. XII.

<p>276</p>

CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 379.—Lettres de madame DE MAINTENON, édit. de Sautereau de Marsy, t. I, p. 50 (Lettre à mademoiselle d'Heudicourt, 24 mars 1669).—LA BEAUMELLE, édit. de 1756, t. I, p. 48.—BOSSUET, Œuvres, édit. de Versailles, t. XXXVII, p. 57, 59, 65 (Lettre au maréchal de Bellefonds, 25 décembre 1673).—DE BAUSSET, Hist. de Bossuet, liv. VI, t. II, p. 30-35.

<p>277</p>

LA BEAUMELLE, Mémoires de Maintenon, t. VI, p. 210 (1er entretien).

<p>278</p>

LA BEAUMELLE, Mémoires pour servir à l'histoire, t. I, p. 151.

<p>279</p>

MAINTENON, Lettres, t. I, p. 50 (Lettre du 24 mars 1669), édition 1806, in-12; t. I, p. 48, édit. 1756, in-8o. Conférez la 1re partie de ces Mémoires, p. 467, 2e édition, et 2e partie, p. 451 de la 1re édition.

<p>280</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (6 janvier 1672), t. II, p. 338, édit. G; t. II, p. 286, édit. M.

<p>281</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (25 décembre 1671), t. II, p. 325, édit. G.; t. II, p. 275, édit. M.—(13 janvier 1672), t. II, p. 342, édit. G.; t. II, p. 290, édit. M.

<p>282</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (9 mars 1672), t. II, p. 421, édit. G.; t. II, p. 358, édit. M.

<p>283</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (26 février 1672), t. II, p. 400, édit. G.; t. II, p. 339, édit. M.

<p>284</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (26 décembre 1672, Lettre de madame de Coulanges), t. III, p. 64.