Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Louis Constant Wairy
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: История
Год издания: 0
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prononçant ces paroles délicates et généreuses, passer sa main dans les cheveux de la pauvre petite, comme elle venait de l'appeler, et la baiser au front avec une bonté de mère. M. et madame Pillet se retirèrent on ne peut plus attendris de cette scène touchante.

      CHAPITRE VIII

      Le général Junot nommé ambassadeur en Portugal.—Anecdote sur ce général.—La poudre et la titus.—Le grognard récalcitrant, et Junot faisant l'office de perruquier.—Emportemens de Junot.—Junot, gouverneur de Paris, bat les employés d'une maison de jeu.—L'empereur le réprimande dans des termes de mauvais augure.—Adresse de Junot au pistolet.—La pipe coupée, etc.—La belle Louise, maîtresse de Junot.—La femme de chambre de madame Bonaparte rivale de sa maîtresse.—Indulgence de Joséphine.—Brutalité d'un jockey anglais.—Napoléon, roi d'italie.—Second voyage de Constant en Lombardie.—Contraste entre ce voyage et le premier.—Baptême du second fils du prince Louis.—Les trois fils d'Hortense, filleuls de l'empereur.—L'impératrice aimant à suivre l'empereur dans ses voyages.—Anecdote à ce sujet.—L'empereur obligé malgré lui d'emmener l'impératrice.—Joséphine à peine vêtue dans la voiture de l'empereur.—Séjour de l'empereur à Brienne.—Mesdames de Brienne et de Loménie.—Souvenirs d'enfance de l'empereur.—Le dîner, wisk, etc.—Le champ de la Rothière.—L'empereur se plaisant à dire le nom de chaque localité.—Le paysan de Brienne et l'empereur.—La mère Marguerite.—L'empereur lui rend visite, cause avec elle et lui demande à déjeuner.—Scène de bonhomie et de bonheur.—Nouvelle anecdote sur le duc d'Abrantès.—Junot et son ancien maître d'école.—L'empereur et son ancien préfet des études.—Bienfaits de l'empereur à Brienne.—Passage par Troyes.—Détresse de la veuve d'un officier-général de l'ancien régime.—L'empereur accorde à cette dame une pension de mille écus.—Séjour à Lyon.—Soins délicats, mais non désintéressés, du cardinal Fesch.—Générosité de son éminence bien rétribuée.—Passage du Mont-Cénis.—Litières de Leurs Majestés.—Halte à l'hospice.—Bienfaits accordés par l'empereur aux religieux.—Séjour à Stupinigi.—Visite du pape.—Présens de Leurs Majestés au pape et aux cardinaux romains.—Arrivée à Alexandrie.—Revue dans la plaine de Marengo.—L'habit et le chapeau de Marengo.—Le costume de l'empereur à Marengo, prêté à David pour un de ses tableaux.—Description de la revue.—Le nom du général Desaix.—Souvenir triste et glorieux.—Entrevue de l'empereur et du prince Jérôme.—Cause du mécontentement de l'empereur.—Jérôme et Miss Paterson.—Le prince Jérôme va délivrer des Génois prisonniers à Alger.—Affection de Napoléon pour Jérôme.

      Lorsque le général Junot fut nommé ambassadeur en Portugal, je me rappelai une anecdote passablement comique et qui avait fort égayé l'empereur. Au camp de Boulogne, l'empereur avait fait mettre à l'ordre du jour que tout militaire ait à quitter la poudre et à se coiffer à la Titus. Beaucoup murmurèrent, mais tous finirent par se soumettre à l'ordre du chef, hormis un vieux grenadier appartenant au corps commandé par le général Junot. Ne pouvant se décider au sacrifice de ses cadenettes et de sa queue, ce brave jura qu'il ne s'y résignerait que dans le cas où son général voudrait bien lui-même couper la première mèche. Tous les officiers qui s'employèrent dans cette affaire ne pouvant obtenir d'autre réponse, la rapportèrent au général. «Qu'à cela ne tienne, répondit celui-ci; faites-moi venir ce drôle.» Le grenadier fut appelé, et le général Junot porta sur une tresse grasse et poudrée le premier coup de ciseaux; puis il donna vingt francs au grognard, qui s'en alla content faire achever l'opération chez le barbier du régiment.

      L'empereur ayant appris cette aventure en rit de tout son cœur, et approuva fort le général Junot, à qui il fit compliment de sa condescendance.

      On pourrait citer mille traits pareils de la bonté mêlée de brusquerie militaire qui caractérisait le général Junot. On en pourrait citer aussi d'une autre espèce et qui feraient moins d'honneur à sa tête. Le peu d'habitude qu'il avait de se contraindre le jetait parfois dans des emportemens dont le résultat le plus ordinaire était l'oubli de son rang et de la réserve qu'il aurait dû lui imposer. Tout le monde sait son aventure de la maison de jeu dont il déchira les cartes, bouleversa les meubles et rossa banquiers et croupiers, pour se dédommager de la perte de son argent. Le pis est qu'il était alors gouverneur de Paris. L'empereur, informé de cet esclandre, l'avait fait venir et lui avait demandé, fort en colère, s'il avait juré de vivre et de mourir fou. Cela aurait pu, dans la suite, être pris pour une prédiction, lorsque le malheureux général mourut dans des accès d'aliénation mentale. Il répondit avec peu de mesure aux réprimandes de l'empereur, et fut envoyé, peut-être pour avoir le temps de se calmer, à l'armée d'Angleterre. Ce n'était pas seulement dans les maisons de jeu que le gouverneur de Paris compromettait ainsi sa dignité. On m'a conté de lui d'autres aventures d'un genre encore plus gai, mais dont je dois m'interdire le récit. Le fait est que le général Junot se piquait beaucoup moins de respecter les convenances que d'être un des plus habiles tireurs au pistolet de l'armée. En se promenant dans la campagne, il lui arrivait souvent de lancer son cheval au galop, un pistolet dans chaque main, et il ne manquait jamais d'abattre en passant la tête des canards ou des poules qu'il prenait pour but de ses coups. Il coupait une petite branche d'arbre à vingt-cinq pas, et j'ai même entendu dire (je suis loin de garantir la vérité de ce fait) qu'il avait une fois, avec le consentement de la partie dont son imprudence mettait ainsi la vie en péril, coupé par le milieu du tuyau une pipe en terre, et à peine longue de trois pouces, qu'un soldat tenait entre ses dents.

      Dans le premier voyage qu'avait fait madame Bonaparte en Italie pour rejoindre son mari, elle s'était arrêtée quelque temps à Milan. Elle avait alors à son service une femme de chambre nommée Louise, grande et fort belle, et qui avait des bontés bien payées pour le brave Junot. Sitôt son service fait, Louise, encore plus parée que madame Bonaparte, montait dans un élégant équipage, parcourait la ville et les promenades, et souvent éclipsait la femme du général en chef. De retour à Paris, celui-ci obligea sa femme à congédier la belle Louise, qui, abandonnée de son inconstant amant, tomba dans une grande misère. Je l'ai vue souvent depuis venir chez l'impératrice Joséphine demander des secours qui lui furent toujours accordés avec bonté. Cette jeune femme, qui avait osé rivaliser d'élégance avec madame Bonaparte, a fini, je crois, par épouser un jockey anglais, qui l'a rendue fort malheureuse, et elle est morte dans le plus misérable état.

      Le premier consul de la république française, devenu empereur des Français, ne pouvait plus se contenter en Italie du titre de président. Aussi de nouveaux députés de la république cisalpine passèrent les monts, et réunis à Paris en consulte, ils déférèrent à Sa Majesté le titre de roi d'Italie, qu'elle accepta. Peu de jours après son acceptation l'empereur partit pour Milan, où il devait être couronné. Je retournai avec le plus grand plaisir dans ce beau pays, dont, malgré la fatigue et les dangers de la guerre, il m'était resté les plus agréables souvenirs. Maintenant les circonstances étaient bien différentes. C'était comme souverain que l'empereur allait traverser les Alpes, le Piémont et la Lombardie, dont il avait fallu, à notre premier voyage, emporter militairement chaque gorge, chaque rivière et chaque défilé. En 1800, l'escorte du premier consul était une armée; en 1805, ce fut un cortége tout pacifique de chambellans, de pages, de dames d'honneur et d'officiers du palais.

      Avant son départ, l'empereur tint à Saint-Cloud, sur les fonts baptismaux, avec Madame-mère, le prince Napoléon-Louis, second fils du prince Louis, frère de Sa Majesté. Les trois fils de la reine Hortense eurent, si je ne me trompe, l'empereur pour parrain. Mais celui qu'il affectionnait le plus était l'aîné des trois, le prince Napoléon-Charles, qui est mort à cinq ans, prince royal de Hollande. Je parlerai plus tard de cet aimable enfant, dont la mort fit le désespoir de son père et de sa mère, fut un des plus grands chagrins de l'empereur, et peut être considérée comme la cause des plus graves événemens.

      Après les fêtes du baptême, nous partîmes pour l'Italie. L'impératrice Joséphine était du voyage. Toutes les fois que cela se pouvait, l'empereur aimait à l'emmener avec lui. Pour elle, elle aurait voulu toujours accompagner son mari, que cela fût possible ou non. L'empereur tenait le plus souvent ses voyages fort secrets jusqu'au moment du départ,