Mais nous devons d'abord dire quel était le motif qui avait fait adopter ces grandes baies circulaires. Lorsque l'école laïque inaugura son système d'architecture pendant la seconde moitié du XIIe siècle, elle s'était principalement préoccupée de la structure des voûtes. Elle avait admis que la voûte en arcs d'ogives reportant toutes ses charges sur les sommiers, et par conséquent sur les piles, les murs devenaient inutiles. Si, à la cathédrale de Paris, les fenêtres hautes primitives ne remplissent pas exactement tout l'espace laissé sous les formerets des voûtes, s'il y a quelque peu d'hésitation dans la structure de ces baies, et si l'on voit encore des restes de tympans, ces restes sont tellement réduits, que l'on comprend comment ils devaient bientôt disparaître et comment les formerets eux-mêmes allaient devenir les archivoltes des fenêtres. Si l'on vidait ainsi, par suite d'un raisonnement très-juste, tous les tympans sous les formerets, si l'on supprimait les murs latéralement, il était logique de les supprimer sous les grands formerets des façades donnant la projection des arcs-doubleaux. Mais ces arcs-doubleaux étaient en tiers-points, étaient des arcs brisés. Les architectes prirent alors le parti de ne point faire du formeret de face la projection des arcs-doubleaux. Pour ces formerets ils adoptèrent le plein cintre: ainsi ils obtenaient un demi-cercle au lieu d'un arc brisé, ce qui d'ailleurs ne pouvait les gêner pour la structure des voûtes; et, complétant ce demi-cercle, ils ouvrirent un grand jour circulaire prenant toute la largeur de la voûte, donnant à l'extérieur sa projection. Il ne s'agissait plus alors que de remplir ce grand vide circulaire par un châssis de pierre permettant de poser des vitraux. C'est ce jour circulaire que Villard de Honnecourt appelle une reonde verrière.
Bien que les arcs-doubleaux des grandes voûtes des cathédrales de Paris et de Laon, de l'église de Mantes, de celle abbatiale de Braisne, soient en tiers-point, les formerets de ces voûtes joignant les murs pignons sont plein cintre, afin de pouvoir inscrire une rose circulaire sous ces formerets, qui deviennent de grands arcs de décharge.
Voici l'histoire des transformations des grandes roses tracée en quelques lignes (fig. 2).
D'abord, ainsi que nous venons de le dire (exemple A), la projection de la voûte intérieure se traduit par un plein cintre, quoique les arcs-doubleaux de cette voûte soient des tiers-points. Vers le milieu du XIIIe siècle cependant, il semble que dans la Champagne, province où l'on poussait les conséquences de l'architecture laïque à outrance, on voulut éviter ce mélange du plein cintre et de l'arc brisé, ou plutôt ce qu'il y avait d'illogique à donner extérieurement un plein cintre comme projection d'une voûte en tiers-point. L'architecte de la cathédrale de Reims inscrit les grandes roses sous un arc en tiers-point, ainsi que le montre l'exemple B; et comme pour mieux faire sentir la projection des arcs-doubleaux de la voûte, l'espace a est ajouré. La reonde verrière n'est plus alors qu'une immense fenêtre ouverte sous le grand formeret. Ce n'est plus la rose de l'Île-de-France. Dans cette dernière province, berceau de l'école laïque du XIIIe siècle, la rose, jusqu'à la fin du XIIIe siècle, reste la reonde verrière, c'est-à-dire qu'elle demeure circonscrite par un formeret plein cintre. Telles sont les roses des pignons du transsept de la cathédrale de Paris, qui datent de 1257. Mais, à cette époque, ce cercle de la rose s'inscrit dans un carré, comme le montre l'exemple C. Les écoinçons b sont aveugles et les écoinçons inférieurs c ajourés au-dessus d'une claire-voie dont nous parlerons tout à l'heure. À la même époque on va plus loin: on isole le formeret de la voûte, qui devient un dernier arc-doubleau. On laisse entre ce dernier arc et la rose un espace, et l'on met à jour non-seulement la reonde verrière, mais les écoinçons b supérieurs. Telle est construite la rose de la sainte Chapelle du château de Saint-Germain en Laye que nous décrirons en détail.
Reprenons l'ordre chronologique, et examinons les premières grandes roses qui nous sont restées.
Nous l'avons dit tout à l'heure, une des plus anciennes est celle qui s'ouvre sur la face occidentale de l'église de Mantes. La structure de cette rose remonte aux dernières années du XIIe siècle, c'est dire qu'elle est contemporaine, ou peu s'en faut, de la petite rose du triforium de Notre-Dame de Paris que nous avons donnée figure 1.
Encore une observation avant de nous occuper de la rose occidentale de Mantes. La division principale des châssis de pierre qui garnissent ces roses procède, sauf de rares exceptions, du dodécagone, c'est-à-dire que les compartiments principaux de l'armature de pierre forment douze coins et douze rayons, ainsi que l'indiquent les exemples A et C (fig. 2). Dans les roses primitives, les vides se trouvent sur les axes, comme dans l'exemple A, tandis que dans les roses composées depuis le milieu du XIIIe siècle, ce sont les rayons qui, le plus habituellement, sont posés sur les axes, comme dans l'exemple C.
Voici donc (fig. 3) le tracé de la rose occidentale de Notre-Dame de Mantes. C'est encore le système de rayons étrésillonnants qui domine ici. Les colonnettes de l'ordre extérieur sont tournées la base vers la circonférence. Ces colonnettes reçoivent des arcs qui à leur sommet portent l'ordre intérieur des colonnettes, dont les chapiteaux sont de même tournés vers l'oeil central. Cet oeil, qui subit une grande pression, est plus épais que les rayons, ce qui est bien raisonné. L'armature de fer du vitrail n'est point engagée en feuillure à mi-épaisseur de pierre, mais est scellée intérieurement, comme l'indique la section A, et des pitons scellés aussi dans la pierre maintiennent les panneaux contre celle-ci. C'est encore suivant ce système que la rose de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris est combinée. Cette rose est postérieure à celle de Notre-Dame de Mantes: elle date de 1220 environ; sa composition est déjà plus savante en présentant des compartiments mieux entendus et d'un aspect plus gracieux. Le problème consistait à disposer les compartiments de pierre de manière à laisser, pour les panneaux des vitraux, des espaces à peu près égaux. On voit que dans la rose de Mantes les vides joignant la circonférence sont, relativement aux vides intérieurs, démesurément larges. On avait suppléé à l'étendue des vides extérieurs par l'armature de fer; mais les panneaux maintenus par les grands cercles de fer B avaient une surface trop considérable, relativement aux panneaux C, et nécessitaient l'adjonction de nombreuses tringlettes ou barres secondaires, qui ne présentaient pas une résistance suffisante à l'effort des vents. De plus, le poids des châssis de pierre se reportait tout entier sur les deux colonnettes inférieures, ce qui présentait un danger, car la solidité de la rose était fort compromise. La composition de la rose de Mantes, très-hardie déjà pour un vide de 8 mètres de diamètre, devenait d'une exécution impossible si ce diamètre était augmenté. Or, le diamètre du vide de la rose occidentale de Notre-Dame de Paris est de 9m,60. L'architecte prétendit donner à son réseau de pierre à la fois plus de solidité et plus de légèreté.
En conséquence (fig. 4), il divisa le cercle en vingt-quatre parties pour la zone extérieure, en douze parties pour la zone intérieure. Il retourna les colonnettes, c'est-à-dire qu'il plaça leurs bases vers le centre et leurs chapiteaux vers la circonférence. Il posa sur les chapiteaux des colonnettes de la zone extérieure une arcature robuste, plus épaisse que les colonnettes, et qui à elle seule formait déjà un clavage complet, pouvant se maintenir comme les claveaux d'un arc par leur coupe. Dès lors il diminuait le diamètre du réseau de plus d'un mètre. Entre les deux zones de colonnettes, il posa une seconde arcature robuste qui formait un second cercle clavé; puis l'oeil renforcé également clavé. Les colonnettes n'étaient plus que des étrésillons rendant ces trois cercles solidaires. Elles n'avaient à subir qu'une assez faible pression, aussi les fit-il très-légères. Il est difficile, le problème d'un grand châssis circulaire de pierre étant posé, de le résoudre d'une manière plus heureuse et plus savante.
Dans cette composition, l'armature de fer nécessaire pour maintenir les panneaux des vitraux n'avait plus qu'une importance nulle au point de vue de la solidité du système. Cette armature était scellée avec grand soin au plomb, ainsi que les pitons; car dans cette rose, comme dans celle de Mantes,