Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Техническая литература
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à des pressions entre le tablier et les arcs d'un pont, il ne faisait, à tout prendre, qu'appliquer un principe qui avait été employé six siècles avant lui. On vanta, et avec raison, le système nouveau ou plutôt renouvelé, mais personne ne songea à tourner les yeux vers la cathédrale de Paris et bien d'autres édifices du XIIIe siècle, dans lesquels on avait si souvent et si heureusement employé les cercles comme moyen de résistance opposé à des pressions. Dans les deux roses du transsept de Notre-Dame de Paris, il n'était pas possible de trouver un moyen plus efficace pour résister à la pression qui s'exerce sur le côté curviligne de ces triangles que le cercle de pierre B, étrésillonné lui-même puissamment par les petits triangles curvilignes R. Les crochets-étrésillons S complètent le système des résistances. N'oublions pas que cette énorme claire-voie circulaire ne pose pas sur un mur plein, mais sur une galerie ajourée elle-même, d'une extrême délicatesse; que pour ne pas écraser les colonnettes et prismes de cette galerie, il fallait que la rose exerçât sur ces frêles points d'appui une pression également répartie; car si les points d'appui verticaux de cette galerie ont une résistance considérable ensemble, ils n'en ont qu'une assez faible pris isolément. Le problème consistait donc à faire de la rose une armature homogène, n'appuyant pas plus sur un point que sur un autre. Les écoinçons ajourés, avec leur grand cercle B, leurs triangles curvilignes R et leurs crochets S, répartissent les pesanteurs sur l'assise inférieure T, de telle sorte que tous les points de cette assise se trouvent également chargés. D'ailleurs les deux parois ajourées X, Y, de la galerie, formant chevalement, décomposent les pressions au moyen de l'arcature C, qui forme une suite d'étrésillons remplaçant des croix de Saint-André en charpente. La preuve que le moyen adopté est bon, c'est que, malgré les restaurations maladroites du dernier siècle, malgré l'écartement des contre-forts, aucune des pilettes de cette galerie n'était brisée. L'arcature C elle-même avait très-peu souffert 29. Pour diviser les pressions, pour arriver à faire de ce châssis de pierre une surface homogène, le maître de l'oeuvre, Jean de Chelles, avait d'abord ses douze rayons rectilignes principaux étrésillonnés à moitié de leur longueur par les arcs l, contre-étrésillonnés eux-mêmes par les douze rayons secondaires m. À ce point, le réseau s'épanouit, se divise, répartit ses charges par une suite de courbes et de contre-courbes sur vingt-quatre rayons aboutissant au cercle principal, qui est doublé. Un de ces rayons porte sur l'axe de la galerie; les dix autres, à droite et à gauche de l'axe, ont leurs pressions décomposées par les écoinçons armés de leurs cercles et de leurs triangles curvilignes. Ces charges sont si bien divisées, décomposées, que des membres entiers de cette rose pourraient être enlevés sans que l'ensemble en souffrît. C'était donc un raisonnement juste qui avait conduit à adopter ces réseaux avec courbes et contre-courbes. Dans les roses primitives, comme celles de Braisne ou de la façade occidentale de la cathédrale de Paris, si un rayon, un membre venait à manquer, toute l'économie du système était compromise; tandis qu'ici les chances de conservation étaient multiples, et, en effet, beaucoup de ces roses, qui ont six siècles d'existence, qui ont subi des déformations notables ou des mutilations, sont cependant restées entières, comme un large treillis de bois pouvant impunément être déchiré partiellement sans tomber en morceaux.

      Il y a autre chose, dans ces compositions, que le capricieux dévergondage d'une imagination encore un peu barbare; il y a une profonde expérience, un calcul judicieux, un savoir étendu et une bien rare intelligence de l'application des nécessités de la structure à l'effet décoratif.

      Nous donnons ici le cube de pierre employé dans ce réseau, à partir du niveau de la galerie à jour.

      La surface de cette rose ayant 143m,00, le cube de pierre par mètre superficiel est de 0m,38; cube très-supérieur à celui de la rose occidentale.

      Il nous faut maintenant examiner les sections des différents membres de cette rose (fig. 8). Le profil dont l'axe est en A est la section sur ab (voy. la fig. 7), sur les membres principaux de la rose. Le profil dont l'axe est en B est la section sur les membres secondaires c, d. Le profil dont l'axe est en C est la section sur les membres tertiaires, qui sont les redents. La section totale EF, comprenant les deux gros boudins principaux a, A, est faite sur ot, le profil se simplifiant à l'extrados comme il est marqué en G. Enfin le profil ee ee' est la section sur fg (de l'ensemble), c'est-à-dire la section sur le grand cercle de l'écoinçon. La circonférence de la rose est donc formée des deux gros boudins principaux a, A, et en dedans du grand cercle de l'écoinçon qui subit une forte pression, il y a un supplément de force fe'; le boudin C du membre composant le redent étant reculé en c et relié au gros boudin par le biseau hh. À l'intérieur, le profil est simplifié comme le marque notre tracé en I. Ici les armatures de fer et vitraux ne sont plus posés contre le parement intérieur du réseau de pierre, mais pris en feuillure en V, de façon à mieux calfeutrer les panneaux et à empêcher les eaux pluviales de pénétrer à l'intérieur. En L, sont tracés les chapiteaux et bases des rayons principaux dont les gros boudins forment colonnettes; la saillie des bases étant portée par un congé M sur la face, afin que le lit inférieur de cette base puisse tomber au nu du boudin ik.

      Dans les deux roses nord et sud du transsept de Notre-Dame de Paris, les deux écoinçons supérieurs sont aveugles, le formeret de la voûte joignant la partie supérieure de la circonférence de la rose. Si le cercle est compris dans un carré, dans une sorte de cadre enclavé entre les contre-forts latéraux, la partie ajourée, le châssis vitré, se termine par le cintre de la rose elle-même. Cependant, dès 1240, des maîtres avaient jugé à propos d'ajourer non-seulement les écoinçons intérieurs mais aussi les écoinçons supérieurs des roses. Ce fut à cette époque que l'on construisit la chapelle du château de Saint-Germain en Laye 30. Cet édifice, dont la structure est des plus remarquables, tient autant aux écoles champenoise et bourguignonne qu'à celle de l'Île-de-France. L'architecte ne pouvait manquer d'appliquer ce système de fenestrage à la rose. Cette chapelle, depuis les travaux entrepris dans le château sous Louis XIV, était complétement engagée sous un enduit de plâtre. La restauration de cet édifice ayant été confiée à l'un de nos plus habiles architectes, M. Millet, celui-ci reconnut bien vite l'importance de la sainte Chapelle de Saint-Germain en Laye; il s'empressa de la débarrasser des malencontreux embellissements qu'on lui avait fait subir, il retrouva l'arcature inférieure en rétablissant l'ancien sol, et fit tomber le plâtrage qui masquait la rose. Or, cette rose, une des plus belles que nous connaissions, est inscrite dans un carré complétement ajouré.

      Son ensemble, tracé en A (fig. 9), se compose de douze rayons principaux, les quatre écoinçons étant à jour et vitrés. L'architecte a voulu prendre le plus de lumière possible, car les piles d'angles qui portent les voûtes (voy. le plan partiel B) font saillie sur le diamètre de la rose; le formeret portant sur les colonnettes a laisse entre lui et la rose l'espace b, et le linteau qui réunit la pile à l'angle de la chapelle est biaisé, ainsi que l'indique la ligne ponctuée c, afin de dégager cette rose.

      Pour indiquer plus clairement le tracé de la rose de la sainte Chapelle de Saint-Germain en Laye, nous n'en donnons qu'un des quatre angles, avec un de ses écoinçons ajourés, à l'échelle de 0m,02 pour mètre. On remarquera qu'ici encore, conformément aux dispositions des premières roses, les colonnettes sont dirigées, les chapiteaux vers le centre. Les douze rayons principaux, étrésillonnés par les cercles intermédiaires D, offrent une résistance considérable. À leur tour, ces cercles intermédiaires sont étrésillonnés par les arcatures F et par des colonnettes intermédiaires. Quatre de ces colonnettes secondaires sont parfaitement butées par les grands cercles G des écoinçons, les huit autres butent contre le châssis. Quant aux rayons principaux E, quatre butent suivant les deux axes, et les huit autres sont maintenus par les trèfles H qui, à leur tour, étrésillonnent les grands cercles d'écoinçons G. L'appareil


<p>29</p>

Les pilettes principales h n'ont que 0m,20 sur 0m,36 de section en moyenne; les pilettes intermédiaires i n'ont que 0m,10 sur 0m,15. Elles sont taillées dans du cliquart de la butte Saint-Jacques. Lorsqu'on les frappe, ces pilettes résonnent comme du métal.

<p>30</p>

Voyez CHAPELLE, fig. 4, 5 et 6.