Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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est-ce que vous allez me prendre à partie, vous aussi?.. Vous ai-je, par hasard, enlevé vos maîtresses?..

      – Milord!.. milord!.. interrompit Roger dont la colère faisait bouillir le sang, la moquerie est de trop, je vous jure… et notre vengeance n'a pas besoin d'aiguillon!

      Montalt ouvrit ses bras, et fit ce geste de l'homme qui tombe des nues.

      – Ma foi!.. dit-il, je crois que c'est une gageure!.. J'ai donc deviné juste, messieurs… Vous venez me chercher querelle?

      Roger ouvrit la bouche pour répondre. Étienne l'arrêta:

      – Milord, dit-il d'une voix lente et triste, nous vous aimions d'une affection pleine de reconnaissance et de respect… Vous-même, je crois que vous aviez pour nous de la tendresse… Les apparences trompent parfois…

      – Les apparences!.. répéta Roger en haussant les épaules; quand on a vu, de ses yeux vu!..

      Étienne lui demanda le silence d'un geste.

      – Je voudrais tant m'être trompé!.. reprit-il. Milord, il s'agit ici, non pas seulement de vous, mais de deux jeunes filles…

      – Deux… interrompit Montalt en souriant, cela fait quatre.

      Un peu de sang monta aux joues pâles du jeune peintre.

      Il poursuivit pourtant avec le même calme:

      – Il s'agit du bonheur de ma vie… et du bonheur de Roger… Nous deux, milord, que vous avez traités en frères… en fils chéris… nous n'avions qu'un seul espoir et qu'un seul amour, vous le savez…

      – Mademoiselle Diane et mademoiselle Cyprienne… grommela Montalt; je n'ai pas l'avantage de les connaître.

      – Vous ne les connaissez pas… vous?.. s'écria Roger impétueusement; par le nom de Dieu, vous mentez, milord!

      Les sourcils de Montalt se froncèrent légèrement.

      – Il est clair comme le jour, murmura-t-il, que mes deux jeunes frères… mes fils chéris, pour parler comme M. Étienne… sont décidés à me couper la gorge… Je n'y puis absolument rien!

      Étienne fixait toujours sur lui son regard douloureux.

      – Je ne vous insulte pas, moi, milord… poursuivit-il d'une voix que l'émotion faisait trembler… et je vous prie de pardonner à mon ami… Il est bien malheureux!.. Si vous pouviez savoir tout ce que nous souffrons depuis hier!

      Montalt fit un geste d'impatience.

      Peut-être que, dès ce moment, la complète ignorance qu'il affectait de montrer n'était plus très-sincère.

      Peut-être que, malgré ces noms de Berthe et de Louise que les deux filles de l'oncle Jean avaient pris auprès de lui, soupçonnait-il déjà vaguement la vérité. Mais l'élément contrariant et fantasque de son caractère était vivement excité; il recevait depuis le matin piqûres sur piqûres, et il n'en fallait pas tant pour faire regimber son orgueil.

      Désormais, il n'y avait plus de côté par où le prendre. Il redevenait cet homme dur, intraitable, irascible, répondant aux prières parties du cœur par la raillerie froide, et s'obstinant, à plaisir, dans son rôle impitoyable.

      Roger supportait à grand'peine les ménagements pris par le jeune peintre; mais celui-ci retardait l'heure de la colère, non pas tant pour Montalt que pour Diane elle-même, qu'il eût fallu croire perdue.

      Il hésitait tant qu'il pouvait; il se forçait à douter; sa confiance était grande comme son amour.

      – Je vous en prie!.. dit-il encore, ne faites attention qu'à notre souffrance, et répondez-nous… Dites-nous que nous nous sommes trompés… donnez nous une preuve, la moindre…

      Berry Montalt bâilla.

      La rage étouffait Roger.

      – Parfois… poursuivit Étienne, fantaisie vous prend, nous le savons, de cacher votre bonté sous des apparences de rudesse affectée… Mais vous nous voyez devant vous, le cœur brisé… Ne jouez pas avec notre torture!

      Le nabab bâilla de nouveau.

      – Messieurs, dit-il suivant l'impulsion de sa nature qui, une fois lancée dans la voie mauvaise, exagérait le mal comme le bien, j'ai connu beaucoup de jeunes filles en ma vie, brunes, blondes et d'autres couleurs… J'ai tâché de me divertir du mieux que j'ai pu… et s'il fallait, pour châtiment de chaque bonne fortune, subir des sermons pareils, j'y renoncerais.

      – Alors, dit Étienne dont la tête calme et sévère se redressa, vous refusez toute explication, milord?

      – J'aime encore mieux me battre, monsieur!

      – Choisissez donc entre nous, dit Étienne d'une voix basse et sombre, et que ce soit un combat à mort!

      – Moi!.. s'écria Roger, c'est moi que vous choisirez, car je vous dis que vous êtes un lâche et un infâme!.. Je ne voulais pas croire le monde qui vous accusait de pousser vos débauches jusqu'aux excès les plus honteux… Mais maintenant, j'ai vu, Berry Montalt!.. vous êtes un misérable sans cœur, ni honneur!.. Et si je n'ai pas votre vie demain, c'est que vous me tuerez!

      Le nabab avait tiré de sa poche le fatal calepin.

      – Ni l'un, ni l'autre… murmura-t-il en traçant quelques mots au crayon; je vous ferai la mauvaise plaisanterie de vous épargner, mes jeunes camarades.

      La rage étouffa la voix de Roger.

      – Eh bien!.. dit Étienne, lequel choisissez-vous?

      – Tous les deux, mon jeune ami, savoir: M. Étienne Moreau à six heures et un quart… M. Roger de Launoy à six heures et demie… Je vous demande pardon de fixer l'heure moi-même… mais vous n'êtes pas venus les premiers.

      Étienne, depuis quelques secondes, tenait le bras de Roger pour l'empêcher de se ruer sur le nabab.

      Celui-ci salua et s'éloigna en disant:

      – Bois de Boulogne, porte d'Orléans… Messieurs, au plaisir de vous revoir!

      La scène s'était passée à l'une des extrémités de la salle. Montalt gagna la table de jeu et s'assit parmi les joueurs.

      Il plaça devant lui un paquet de billets de banque.

      Jamais peut-être on n'avait pu voir sa belle figure aussi indifférente et aussi froide.

      Étienne avait entraîné Roger hors du club.

      Il y avait un quart d'heure environ que le nabab était assis devant le tapis vert et perdait, suivant son habitude, avec un magnifique stoïcisme, lorsqu'on entendit une vague rumeur dans l'antichambre.

      Après quelques secondes de pourparlers assez bruyants, la porte s'ouvrit, et un personnage, comme on n'en avait peut-être jamais vu au Cercle des Étrangers, fit son entrée dans la salle.

      Les domestiques lui avaient refusé longtemps le passage, et pour qu'on l'introduisît enfin dans la noble assemblée, il n'avait fallu rien moins que le nom de Berry Montalt, prononcé avec autorité. Mais le nabab était une excellente pratique, et sa protection eût servi de passe-port à un mendiant.

      Il n'y avait point, du reste, au moins en apparence, une différence appréciable entre un mendiant et le personnage dont nous avons annoncé l'entrée.

      C'était un vieillard de grande taille, dont la tête courbée sur sa poitrine se couronnait de rares cheveux, blancs comme neige. Il portait des vêtements villageois de forme antique, usés jusqu'à la corde; sa chaussure consistait en de gros sabots, bourrés de paille.

      Le bruit inusité que produisait sa marche sur le parquet de la salle fit tourner la tête à tout le monde. Montalt seul ne daigna point prendre garde.

      Chacun se demandait ce que voulait dire cette mascarade.

      Nos trois gentilshommes, aux aguets derrière la porte de la chambre voisine où le jeu ne fonctionnait point encore, auraient seuls pu donner le mot de l'énigme.

      Le