Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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la route de Bretagne!

      Il franchit la porte et disparut.

      Lola sortit à son tour pour exécuter sa promesse.

      Sa tâche n'était pas fort malaisée. Le jeune Pontalès se laissait dominer par elle complétement et l'aimait en esclave. Depuis qu'il avait quitté la Bretagne pour la suivre, sa passion avait grandi, et bien qu'il connût le passé de Lola mieux que personne, il s'aveuglait à plaisir, et n'était point éloigné de croire sincèrement qu'il possédait les bonnes grâces d'une grande dame.

      L'Endormeur et Bibandier, restés seuls, sonnèrent le déjeuner. Ils se sentaient tout ragaillardis, et sans savoir encore quel était le plan de Robert, ils avaient confiance.

      Cette confiance, ils l'auraient perdue peut-être s'ils avaient pu voir, en ce moment, la mine soucieuse de leur compagnon.

      Robert, qui avait cessé de se contraindre, aussitôt sorti de leur présence, allait, en effet, maintenant, le long de la rue Saint-Honoré, la tête basse et l'air découragé.

      Il avait fait comme ces généraux intrépides, qui raniment à tout hasard la vaillance de leurs soldats pour une dernière bataille, mais qui n'espèrent point la victoire.

      Ce n'est pas qu'il crût être sans ressource; seulement sa partie, qui semblait sûre la veille, s'était gâtée en une nuit. Au lieu de jouer un jeu tranquille et sûr, il fallait recourir aux moyens violents et chanceux; il fallait, en un mot, payer de sa personne, et Robert n'aimait point le danger.

      Il avait fait semblant, devant ses acolytes, d'avoir un plan tout prêt et une ligne de conduite tracée. Maintenant qu'il n'avait plus à répondre qu'aux interrogations de sa propre conscience, il s'avouait son embarras et sa faiblesse.

      Des idées vagues se croisaient dans le cerveau de Robert; il entrevoyait bien le moyen d'engager la lutte, mais il y avait désormais tant de chances contre lui!

      Et la défaite, ici, devait être la ruine de tous ses espoirs.

      Après des années de travail et de peines, le hasard le ramenait en équilibre au bord d'un précipice. Nul moyen de reculer. Au delà de l'abîme, il y avait la fortune.

      Mais il fallait franchir l'abîme.

      Et si le pied manquait, on roulait tout au fond, où menaçait la cour d'assises…

      Sans le savoir peut-être, l'Américain se dirigeait vers l'hôtel du nabab. Tout en marchant, il travaillait à coordonner ses idées et à voir clair parmi les difficultés de sa situation.

      Une fois ou deux, il se demanda si le plus sage ne serait pas de faire ses malles et de quitter la France. Mais depuis des années il poursuivait un dessein devenu cher; il regardait les biens de Penhoël comme étant son domaine. Selon lui, Pontalès l'en avait injustement dépouillé. C'était une nature obstinée en ses projets. La pensée de rompre une trame presque entièrement tissée et de commencer une tâche nouvelle le navrait. Il tenait à son œuvre plus que nous ne saurions dire, et puisait un courage inébranlable au fond de ses regrets.

      Penhoël, le patrimoine conquis, la douce et tranquille aisance, gagnée par tant de soins et par tant de combats!

      Il n'avait point changé, depuis sa première arrivée en Bretagne. Son rêve était toujours la vie paisible du propriétaire, les honneurs politiques et la gloire de clocher.

      C'est une chose bizarre, certainement, mais une chose avérée. Les neuf dixièmes des voleurs de tous grades sont séduits par la pensée de cette transformation. Ils sourient à l'idée de se retirer des affaires, ni plus ni moins que les avoués ou les marchands de gilets de flanelle.

      Après le travail, honnête ou non, le repos. Il y a bien des manières de se faire un sort, comme on dit, et chacun caresse l'idée de prendre sa retraite.

      Une fois riche, on devient honnête homme; on couronne sa vie de rapines par toutes sortes d'actions méritantes. Ne sait-on pas que le monde, toujours complice, prodigue à ces diables, qui se sont faits ermites sur leurs vieux jours, son estime banale et ses respects de hasard?

      Penhoël! Penhoël! le bon pays! les champs fertiles, parmi les vastes landes! le joli manoir, les eaux poissonneuses et les forêts peuplées de gibier!..

      Et encore la vengeance si douce! Quelle joie de prendre sa revanche sur le vieux Pontalès!

      Il y avait dans tout ceci, peut-être, un côté puéril; mais c'était une passion réelle, et la passion, pour ne se point pouvoir discuter, en est-elle moins irrésistible?

      Aussi, entre les déboires récemment éprouvés, celui qui frappait Robert à l'endroit le plus sensible était l'enlèvement de Blanche. Blanche était pour lui une légitimation de son droit à l'héritage de Penhoël. Le caractère faible de la jeune fille lui était assez connu pour qu'il n'eût point fait entrer dans ses calculs la possibilité d'une résistance efficace.

      Maintenant qu'il l'avait perdue, il ne se souvenait point que ce projet d'alliance était subordonné aux chances du retour de l'oncle d'Amérique. Il regrettait Blanche, en supposant même qu'elle fût restée pauvre, parce que Blanche, pauvre ou non, entr'ouvrait toujours pour lui la porte du manoir.

      Et, dans le travail mental qu'il faisait en ce moment, c'était Blanche surtout qu'il cherchait à remplacer.

      Pour cela, il n'y avait que René de Penhoël lui-même.

      Mais, pour se servir de René d'une manière utile, la première chose était de posséder la somme qui devait racheter le manoir, ou du moins une grande partie de cette somme.

      Et Robert s'ingéniait. Puis, tout à coup, la pensée du danger présent se jetait à la traverse de ses combinaisons d'avenir.

      Le nabab était là, devant lui, fort et armé de ses millions.

      Était-il possible de le ramener? ou fallait-il désormais le combattre comme un irréconciliable adversaire?

      Là était la plus grande perplexité de Robert. Tantôt il avait envie de se rendre à l'invitation de Berry Montalt, et de recommencer avec lui une lutte d'adresse; tantôt il reculait, vaincu d'avance, parce qu'il voyait, entre le nabab et lui, les sourires ennemis et moqueurs des deux filles de l'oncle Jean.

      Sa face pâle se rougissait alors de colère, et ses doigts se crispaient convulsivement, tandis qu'une pensée de sang traversait son esprit.

      C'étaient elles, les deux filles détestées, qui avaient suscité tous les obstacles de sa route! La haine qu'il leur portait n'était plus cette aversion de comédie qu'il gardait au vieux Penhoël; c'était la haine tragique, à laquelle il faut la mort.

      Il avait peur d'elles, et cette crainte prenait dans son esprit, sceptique pourtant, un caractère presque superstitieux.

      Le résultat de ces réflexions fut qu'il y avait danger à remettre les pieds chez le nabab, dont l'invitation cachait peut-être une embûche.

      Une fois cette donnée admise, il fallait se tourner d'un autre côté. Robert entra chez un écrivain public et demanda ce qu'il faut pour écrire.

      Il réfléchit durant quelques secondes, puis sa plume courut sur le papier. La lettre était pour le vieux Jean de Penhoël.

      Robert connaissait parfaitement le bon oncle en sabots; il savait comment le prendre. Son billet, tracé en deux minutes, était un petit chef-d'œuvre de concision et d'adresse. A la lecture de ces lignes, le vieux sang de Penhoël devait bouillir dans les veines de l'oncle Jean.

      Et le bonhomme était une rude lame, malgré son air humble et ses cheveux blancs.

      Robert plia sa lettre à la hâte et la remit au commissionnaire du coin.

      – Vous allez porter cela au no… de la rue Sainte-Marguerite, dit-il; vous monterez, sans rien demander au concierge, jusqu'au dernier étage de la maison… En cherchant bien, vous trouverez la porte d'un grenier où demeure une pauvre famille… Là, vous demanderez M. Jean… S'il n'est pas là, vous garderez la lettre… Si M. Jean est là, il vous interrogera quand la lettre sera lue… Vous lui répondrez que ce billet vous a été remis dans