La fabrique de mariages, Vol. III. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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voulait, disait à ce moment le sergent Niquet, rouge comme une tomate, – il nous ferait avoir à chacun une chambre dans l'hôtel!

      – Parbleu! approuvait Jean-François Vaterlot.

      Et Palaproie, blême et idiot tout à fait:

      – Ah! mais oui!

      – Si je voulais! s'écria Roger-Bontemps, – si je voulais… A propos, y a-t-il encore des anciennes, par ici?..

      – Verdurette, répondit Niquet; – mais c'est bien déjeté… Est-ce que tu aurais l'idée de nous donner les violons, vieux?

      – Les femmes, repartit Roger avec une gravité d'ivrogne, – ça met de l'animation dans tous les plaisirs de la volupté!

      – Ça y est! fit Palaproie, qui tordait ses paquets de moustaches vineuses.

      Roger se mit à rire.

      – Quand on pense qu'il a toujours été bête de même, le Palaproie! murmura-t-il. – Pour en revenir, ça serait mignon, un riquiqui de petit baluchon avec quinquets, ici, en plein air… Mais vous n'êtes pas pour la danse, vous autres… le cousin est trop puissant… vous deux, vous avez trop de jambes de bois…

      – C'est les suites de la valeur, qu'on rapporte du champ de gloire! protestèrent à la fois les deux sous-officiers.

      Puis Niquet tout seul et d'un accent pénétré:

      – Si tu nous as engagés pour nous insolenter!..

      – La! la! fit Barbedor.

      – Cartouchibus! s'écria Roger-Bontemps, – s'ils ne sont pas satisfaits, je vais leur couper les oreilles!

      On se leva en tumulte, trébuchant et marchant sur les verres cassés.

      L'équilibre manquait partout. Barbedor prononça quelques paroles conciliantes. Les trois vieux braves tombèrent en tas, pleurant à chaudes larmes et s'embrassant à qui mieux mieux.

      – Ah! dit Niquet, – l'idée de nous entre-percer nos seins, qui ne battent que l'un par l'autre, était inconséquente!

      – Ça y est… dans le cinq cents! balbutia Palaproie donnant enfin le secret de cette locution chérie.

      Palaproie était passionné pour le noble jeu de tonneau.

      – A propos d'anciennes, fit Niquet en se rasseyant, – tu étais marié, dans le jadis, toi, Roger…

      – Ah! mais oui! dit l'adjudant.

      Barbedor, moins ivre, regarda le capitaine du coin de l'œil.

      La joyeuse figure de celui-ci s'était tout à coup rembrunie.

      Niquet poursuivit sans prendre garde à ce changement.

      – La Perlette, tonnerre de là-haut!.. j'ai vu bien des vivandières dans le courant, mais une comme celle-là, jamais!

      – Ah! mais non! appuya Palaproie.

      – Est-elle morte, dis, vieux? continua le sergent.

      Barbedor, désormais, ne buvait plus.

      Roger assena un grand coup de poing sur la table.

      – Parlons pas de ça, gronda-t-il.

      – A cause?.. Nous mourrons tous!.. Si elle est défunte, on ne peut donc pas déposer dans la conversation, entre amis, quelques fleurs sur sa tombe?..

      – Parlons pas de ça! répéta Roger d'un air sombre.

      – Vous savez bien, dit Barbedor, – que le cousin n'a pas été heureux en ménage.

      – Pas heureux!.. s'écria le vieux capitaine en se tournant vers lui, les veines du front gonflées et les larmes aux yeux.

      Barbedor n'était pas méchant; son cœur se serra. Si le souvenir abhorré des deux coquines, si la pensée de la barrière des Paillassons, sa création, sa Galathée, n'eussent point traversé à la fois son esprit, il eût prononcé sans doute un mot de plus, – un mot qui aurait bien changé la face des choses.

      Mais l'article du Journal des Débats était tout chaud encore.

      Barbedor garda le silence.

      Niquet et Palaproie se regardaient en riant stupidement.

      – Excusez, dit le sergent; – quand on ne sait pas, on ne sait pas… Si ton épouse t'a fait éprouver des chagrins cuisants, vieux Roger, motus!.. C'est des affaires de famille délicate, dans la vie privée…

      – Ah! mais oui! fit Palaproie.

      Roger avait mis ses deux coudes sur la table et semblait rêver.

      – Faut parler d'autres choses, dit Niquet avec cette insolente pitié des brutes; – ce sujet a l'air de l'inconvénienter fortement.

      – Ça y est! répliqua l'adjudant, qui cligna son œil éteint et nigaud.

      – Donc, reprit le sergent, – voyons voir à changer adroitement le front de bataille.

      Il toussa et reprit, d'une voix de stentor:

      – Du temps de l'ancienne, vieux, y avait un camarade qui s'appelait Garnier et qui avait commencé comme toi dans la caisse…

      Roger se redressa si brusquement, que Niquet eut la parole coupée.

      – Tu n'as pas de chance! grommela Barbedor.

      Le sergent ouvrit des yeux énormes et souffla dans ses joues.

      – Bon! bon! fit-il, – j'ai mis le doigt sur la plaie… Ce Garnier était un bel homme… et je me souviens à présent qu'il avait parlé à la Perlette…

      – Tais-toi! s'écria Roger, dont le front était cramoisi.

      Palaproie pensa:

      – Ça y est tout de même… dans le cinq cents!

      – Bon! bon! répéta Niquet; – quand on ne sait pas, pas vrai?.. A la santé de l'ami Roger, vous autres!.. Chacun a son épine dans le pied… à moins d'avoir deux jambes de sapin… Hi hi hi hi!.. celle-là est bonne!

      – Ah! mais oui! dit Palaproie.

      – Mais tu avais deux enfants, reprit Niquet après avoir bu; – ton aîné doit être grand comme père et mère… Je l'ai vu enfant de troupe, moi, ce gamin-là!..

      Jean-François Vaterlot, dit Barbedor, ne voulut pas que la causerie s'engageât sur ce terrain.

      Pour cela, sans doute, il avait ses raisons.

      – Que diable! s'écria-t-il, – allez-vous nous le laisser tranquille, oui ou non?.. Si vous m'en aviez chanté la moitié aussi long, nom d'un cœur! j'aurais déjà mis la table sur vos carcasses, sans vous offenser!.. Buvez, puisqu'il y a de quoi, et donnez la paix au cousin… vous l'avez rendu tout triste…

      – Ça n'était pas notre intention, monsieur le cabaretier! dit Niquet, qui mit le poing sur sa bonne hanche.

      – Ah! mais non!

      – Vous parlez haut, reprit le sergent, – par suite que vous savez exécuter des tours de force sur les tréteaux!.. Quoiqu'il n'y ait pas de sot métier, dit-on, celui-là ne va pas à tout le monde…

      – Ah! mais non!

      – En conclusion, acheva Niquet, – je vous invite à ne pas témoigner plus de familiarité qu'il ne faut à deux anciens de qui l'existence fut toujours le miroir de l'honneur!

      – Ça y est, ponctua Palaproie d'un accent tout guerrier.

      Et les deux vieux prirent des poses de matadors.

      Jean-François Vaterlot avait son rire bonhomme.

      – Voilà une chose à quoi je n'avais pas encore pensé, dit-il entre haut et bas; – quand la barrière des Paillassons sera ouverte, peut-être que ces caduques viendront dans mon établissement… ce sera tout droit du dôme au château de