La fabrique de mariages, Vol. III. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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était riche, de bonne maison, spirituelle et jolie. Mais il y avait déjà un peu de temps que sa beauté durait. L'inconduite de son mari lui avait offert cette sorte d'émancipation, tolérée dans le monde, mais qu'on n'accepte jamais sans péril.

      Elle avait eu le tort d'accepter.

      Il n'était point dans sa nature décidée et brave de s'affadir dans le rôle de victime.

      Elle était veuve, sauf le deuil qu'elle n'avait point porté. Cela n'allait pas plus loin. La médisance ne trouvait rien à mordre dans sa conduite.

      Elle était veuve, voilà tout. M. le vicomte de Grévy la traitait fort bien et n'était pas sans éprouver un certain plaisir à lui serrer la main de temps en temps.

      Il se souvenait avec reconnaissance de leur lune de miel, charmante, tendre, délicate, qui s'était couchée un beau soir sans nuages, sans explication.

      D'ordinaire, les lunes de miel se débattent péniblement à l'heure de l'éclipse.

      Personne n'aurait su dire si madame de Grévy avait aimé d'amour ce beau vicomte aux favoris épais, aux moustaches splendidement fournies.

      Le degré de peine qu'elle éprouvait à vivre isolée, personne n'aurait pu le déterminer. Elle avait une armée de connaissances, point d'amie intime.

      Un peu d'amertume dans la parole et sans doute un peu plus encore dans le cœur; une jalousie instinctive et frivole contre les astres nouveaux qui venaient luire à cet horizon mondain où elle avait brillé un instant, si franchement belle et heureuse; un esprit hardi et trop caustique, un parti pris de tout dire parfois exagéré: tels étaient les symptômes à l'aide desquels l'observateur pouvait sonder la plaie de cette âme.

      Aussi, la disait-on méchante.

      Dans un certain milieu, cela signifie parfois trop bonne; – bonne au point de faire peur aux hypocrites.

      Madame la baronne du Tresnoy avait une position et manquait de fortune. Chose terrible.

      Ses deux filles étaient à marier sans dot. Chose lamentable.

      Madame la baronne du Tresnoy était dans le monde tout naturellement et chez elle; car, là, il y a au moins des droits. Mais ces droits, hélas! ne s'étendent pas bien loin quand on n'a pour les soutenir ni la puissance politique, ni la richesse.

      La famille du Tresnoy avait eu la puissance politique. On lui savait gré d'en avoir bien usé.

      A l'époque où se passe notre histoire, il ne pouvait même pas être question d'influence politique dans le faubourg Saint-Germain pur.

      Louis-Philippe régnait.

      Madame la baronne du Tresnoy, appuyée sur la noble mémoire de son mari, était reçue partout avec empressement, avec honneur. – Mais l'opinion publique avait condamné ses deux filles au célibat à perpétuité.

      De là, un peu d'amertume, amertume autre et plus profonde que celle de madame la vicomtesse de Grévy.

      L'une procédait par la satire osée, l'autre par la réserve légèrement perfide. Toutes deux se vengeaient. Il ne faisait bon attaquer ni l'une ni l'autre, ni la jeune femme hardie, ni la prudente mère de famille.

      Si jamais le hasard les eût mises aux prises, madame de Grévy eût été vaincue, parce qu'elle était la plus forte et qu'elle n'avait besoin de personne.

      Le besoin qu'on a du monde habitue l'esprit à une sorte d'escrime. Craignez ceux qui ont besoin de vous.

      Le besoin que madame du Tresnoy avait du monde, tout en dirigeant habituellement sa conduite, ne lui avait jamais fait perdre la probité de son cœur. C'était, au demeurant, une honnête et bonne femme, n'ayant d'autres vices que ses filles à marier.

      Les filles, comme cela est indispensable dans la situation, valaient moins qu'elle, parce que leurs petites rancunes envieuses et leur passion de s'établir étaient directes, étaient personnelles. Chez elles, le mobile était l'égoïsme; chez la mère, c'était l'amour.

      Nous nous souvenons que madame la baronne du Tresnoy avait renvoyé ses deux filles pour causer seule avec la vicomtesse et qu'elle avait abordé l'entretien avec une sorte de solennité. Madame de Grévy était tout oreilles. Son bon cœur ici fraternisait avec son penchant à la curiosité.

      Mais madame du Tresnoy, qui venait de céder à un premier mouvement de générosité, parut tout à coup se ralentir. Au début, il y avait promesse d'un secret confié; la fin de son discours se perdit dans de vagues et timides insinuations.

      Il y avait un complot, et la marquise de Sainte-Croix était dans le complot: voilà tout ce que put noter la vicomtesse.

      – Chère madame, dit-elle voyant que la baronne profitait pour se taire de la bruyante entrée de Barbedor, – ne nous occupons plus, je vous prie, de ce qui se passe en bas… Vous m'en avez appris trop ou trop peu.

      Une expression d'inquiétude vint sur le visage de la baronne.

      – Je serais fâchée que vous eussiez défiance de moi, reprit la vicomtesse.

      Et, comme madame du Tresnoy protestait par un geste poli, la vicomtesse acheva d'un ton résolu:

      – J'en serais fâchée… mais cela ne m'empêcherait pas d'insister… je veux savoir!

      – Vous voulez!.. répéta la baronne étonnée.

      Madame de Grévy lui prit la main à son tour et la regarda bien en face.

      – Vous êtes mère, madame, dit-elle d'un ton affectueux, mais toujours ferme; – vous savez que je n'ai rien à faire de mes dix doigts ni de ma pauvre tête… je passe mon temps à deviner les énigmes que le hasard pose sur mon chemin… je suis devenue très-forte à ce jeu.

      Les paupières de la baronne se baissèrent; la vicomtesse poursuivit:

      – Vous êtes mère… il est permis aux mères d'avoir peur… cela même leur est commandé quelquefois… mais, par cette raison que vous vous êtes arrêtée dans votre confidence, je dois supposer qu'il s'agissait d'une révélation très-grave…

      La baronne gardait le silence.

      La comtesse Béatrice peut-elle être sauvée? demanda brusquement madame de Grévy.

      – Sur l'honneur, je l'ignore, répondit la baronne.

      La jeune femme appuya son front contre sa main.

      – Cette jeune Maxence aime le comte de Mersanz? dit-elle encore.

      – A cet âge?.. commença madame de Grévy.

      – Ses yeux ont trente ans! formula péremptoirement la vicomtesse.

      Il y eut un nouveau silence.

      – Chère madame, dit la jeune femme en se levant, je suis habituée à vous respecter… ma mère était votre amie… Veuillez pardonner ce qu'il y a eu d'un peu vif dans mes paroles… j'ai besoin de vous avouer ingénument le double travail qui s'est fait en moi depuis quelques minutes… J'ai cru deviner qu'il y avait un grand combat à livrer… un combat dangereux… or, je suis seule ici-bas… et bien fatiguée… Vous avez ouï parler de ces âmes brisées qui se font n'importe quoi pour occuper le restant de leur activité: sauveteurs parfois, – parfois sœurs de charité… Risquer c'est vivre… je n'ambitionne pas le prix Montyon… c'était pour moi… je voulais me divertir à bien faire.

      – Votre mère avait ce cœur-là! murmura la baronne, dont les yeux se mouillèrent; – elle cherchait des excuses à ses bonnes œuvres.

      – Maintenant, reprit la vicomtesse, – voilà pourquoi ma pensée s'est tournée vers les choses tragiques… M. le baron du Tresnoy a été longtemps préfet de police…

      Un voile de pâleur couvrit tout à coup les traits de la baronne.

      – Pardon, si je réveille de douloureux souvenirs, chère madame!.. J'ai songé… la pensée m'est venue… mais M. le baron du Tresnoy était un saint… s'il avait eu connaissance de quelque infamie…

      Elle