Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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point ici un pas sans avoir quelque charitable espion derrière moi.

      – Vous n'aurez que moi, ce soir. Il s'agit de traverser mon corridor, qui a une porte à chaque extrémité. Je fermerai celle par laquelle nous entrerons, et nul ne sera près de nous, madame.

      – Je m'abandonne à mon cher docteur, fit la reine.

      Et prenant le bras de Louis, elle se glissa hors des appartements toute palpitante de curiosité.

      Le docteur tint sa promesse. Jamais roi, marchant au combat ou faisant une reconnaissance dans une ville de guerre; jamais reine, escortée en aventure, ne fut plus vulgairement éclairée par un capitaine des gardes ou un grand-officier du palais.

      Le docteur ferma la première porte, s'approcha de la deuxième, à laquelle il colla son oreille.

      – Eh bien! dit la reine, c'est donc là qu'est votre malade?

      – Non pas, madame, il est dans la seconde pièce. Oh! s'il était dans celle-ci, vous l'eussiez entendu du bout du corridor. Écoutez déjà de cette porte.

      On entendait, en effet, le murmure inarticulé de quelques plaintes.

      – Il gémit, il souffre, docteur.

      – Non pas, non pas, il ne gémit pas du tout. Il parle bel et bien. Tenez, je vais ouvrir cette porte.

      – Mais je ne veux pas entrer près de lui, s'écria la reine en se rejetant en arrière.

      – Ce n'est pas non plus cela que je vous propose, dit le docteur. Je vous parle seulement d'entrer dans la première chambre, et de là, sans crainte d'être vue ou de voir, vous entendrez tout ce qui se dira chez le blessé.

      – Tous ces mystères, toutes ces préparations me font peur, murmura la reine.

      – Que sera-ce donc lorsque vous aurez entendu! répliqua le docteur.

      Et il entra seul près de Charny.

      Vêtu de sa culotte d'uniforme, dont le bon docteur avait dénoué les boucles, sa jambe nerveuse et fine prise dans un bas de soie aux spirales d'opale et de nacre, ses bras étendus comme ceux d'un cadavre, et tout raides dans les manches de batiste froissée, Charny essayait de soulever sur l'oreiller sa tête plus lourde que si elle eût été de plomb.

      Une sueur bouillante ruisselait en perles sur son front, et collait à ses tempes les boucles dénouées de ses cheveux.

      Abattu, écrasé, inerte, il n'était plus qu'une pensée, qu'un sentiment, qu'un reflet; son corps ne vivait plus que sur cette flamme, toujours animée et s'irritant elle-même dans son cerveau, comme le lumignon dans la veilleuse d'albâtre.

      Ce n'est pas une vaine comparaison que nous avons choisie, car cette flamme, seule existence de Charny, éclairait fantastiquement et d'une façon adoucie certains détails que la mémoire seule n'eût pas traduits en longs poèmes.

      Charny en était à se raconter lui-même son entrevue dans le fiacre avec la dame allemande rencontrée de Paris à Versailles.

      – Allemande! allemande! répétait-il toujours.

      – Oui, allemande, nous savons cela, dit le docteur, route de Versailles.

      – Reine de France, s'écria-t-il tout à coup.

      – Eh! fit Louis en regardant dans la chambre de la reine. Rien que cela. Qu'en dites-vous, madame?

      – Voilà ce qu'il y a d'affreux, murmura Charny; c'est d'aimer un ange, une femme, de l'aimer follement, de donner sa vie pour elle, et de n'avoir plus en face, quand on s'approche, qu'une reine de velours et d'or, un métal ou une étoffe, pas de cœur!

      – Oh! fit le docteur en riant d'un rire forcé.

      Charny ne fit pas attention à l'interruption.

      – J'aimerais, dit-il, une femme mariée. Je l'aimerais avec cet amour sauvage qui fait que l'on oublie tout. Eh bien!.. je dirais à cette femme: «Il nous reste quelques beaux jours sur cette terre; ceux qui nous attendent en dehors de l'amour vaudront-ils ces jours-là? Viens, ma bien-aimée, tant que tu m'aimeras et que je t'aimerai, ce sera la vie des élus. Après, eh bien! après, ce sera la mort, c'est-à-dire la vie que nous avons en ce moment.

      «Donc gagnons les bénéfices de l'amour.»

      – Pas mal raisonné pour un fiévreux, murmura le docteur, bien que cette morale fût des moins serrées.

      – Mais ses enfants!.. s'écria tout à coup Charny avec rage; elle ne laissera pas ses deux enfants.

      – Voilà l'obstacle, hic nodus2, fit Louis en étanchant la sueur du front de Charny, avec un sublime mélange de raillerie et de charité.

      – Oh! reprit le jeune homme insensible à tout, des enfants, cela s'emportera bien dans le pan d'un manteau de voyage, des enfants…

      «Voyons, Charny, puisque tu emportes la mère, elle, plus légère qu'une plume de fauvette, dans tes bras; puisque tu la soulèves sans rien sentir qu'un frisson d'amour au lieu d'un fardeau, est-ce que tu n'emporterais pas aussi les enfants de Marie… Ah!..»

      Il poussa un cri terrible.

      – Les enfants d'un roi, c'est si lourd qu'on en sentirait le vide dans une moitié du monde.

      Louis quitta son malade et s'approcha de la reine.

      Il la trouva debout, froide et tremblante; il lui prit la main; elle avait aussi le frisson.

      – Vous aviez raison, dit-elle. C'est plus que du délire, c'est un danger réel que court ce jeune homme si on l'entendait.

      – Écoutez! écoutez! poursuivit le docteur.

      – Non, plus un mot.

      – Il s'adoucit. Tenez, le voilà qui prie.

      En effet, Charny venait de se soulever et joignait les mains; il fixait de grands yeux étonnés dans le vague et le chimérique infini.

      – Marie, dit-il d'une voix vibrante et douce, Marie, j'ai bien senti que vous m'aimiez. Oh! je n'en dirai rien. Votre pied, Marie, s'est approché du mien dans le fiacre, et je me suis senti mourir. Votre main a descendu sur la mienne… là… là… je n'en dirai rien, c'est le secret de ma vie. Mon sang a beau couler, Marie, de ma blessure, le secret ne sortira pas avec lui.

      «Mon ennemi a trempé son épée dans mon sang; mais s'il a un peu de mon secret à moi, il n'a rien du vôtre. Ne craignez donc rien, Marie; ne me dites même pas que vous m'aimez; c'est inutile; puisque vous rougissez, vous n'avez rien à m'apprendre.

      – Oh! oh! fit le docteur. Ce n'est plus seulement de la fièvre alors; voyez comme il est calme… c'est…

      – C'est?.. fit la reine avec inquiétude.

      – C'est une extase, madame: l'extase ressemble à la mémoire. C'est en effet la mémoire d'une âme lorsqu'elle se souvient du ciel.

      – J'en ai entendu assez, murmura la reine si troublée qu'elle essaya de fuir.

      Le docteur l'arrêta violemment par la main.

      – Madame, madame, dit-il, que voulez-vous?

      – Rien, docteur; rien.

      – Mais si le roi veut voir son protégé.

      – Ah! oui. Oh! ce serait un malheur.

      – Que dirai-je?

      – Docteur, je n'ai pas une idée, je n'ai pas une parole; ce spectacle affreux m'a navrée.

      – Et vous lui avez pris sa fièvre à cet extatique, dit tout bas le docteur: il y a là cent pulsations au moins.

      La reine ne répondit pas, dégagea sa main et disparut.

      Chapitre LII

      Où il est démontré que l'autopsie du cœur est plus difficile que celle du corps

      Le docteur demeura pensif, regardant s'éloigner la reine.

      Puis


<p>2</p>

«Ici est la difficulté».