Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Dieu! murmura-t-elle avec un accent sinistre, vous avez été immiséricordieux; vous m'avez punie, je l'aime!.. Oh! oui, je l'aime, c'est assez, n'est-ce pas? Maintenant, me le tuerez-vous?

      Chapitre LIII

      Délire

      Dieu avait sans doute entendu la prière d'Andrée. Monsieur de Charny ne succomba pas à son accès de fièvre.

      Le lendemain, tandis qu'elle absorbait avec avidité toutes les nouvelles qui lui arrivaient du blessé, celui-ci, grâce aux soins du bon docteur Louis, passait de la mort à la vie. L'inflammation avait cédé à l'énergie et au remède. La guérison commençait.

      Charny une fois sauvé, le docteur Louis s'en occupa moitié moins; le sujet cessait d'être intéressant. Pour le médecin le vivant est bien peu de chose, surtout lorsqu'il est convalescent ou qu'il se porte bien.

      Seulement, au bout de huit jours, pendant lesquels Andrée se rassura tout à fait, Louis, qui avait sur le cœur toutes les manifestations de son malade pendant la crise, jugea bon de faire transporter Charny dans un endroit éloigné. Il voulait dépayser le délire.

      Mais Charny, aux premières tentatives qui furent faites, se révolta. Il leva sur le docteur des yeux étincelants de colère, lui dit qu'il était chez le roi, et que nul n'avait le droit de chasser un homme à qui Sa Majesté donnait un asile.

      Le docteur, qui n'était pas patient envers les convalescences revêches, fit entrer purement et simplement quatre valets en leur ordonnant d'enlever le blessé.

      Mais Charny se cramponna au bois de son lit, et frappa rudement un des hommes en menaçant les autres comme Charles XII à Bender.

      Le docteur Louis essaya du raisonnement. Charny fut d'abord assez logique, mais comme les valets insistaient, il fit un tel effort que la plaie se rouvrit, et avec son sang sa raison se mit à s'enfuir. Il était rentré dans un accès de délire plus violent que le premier.

      Alors il commença de crier qu'on voulait l'éloigner pour le priver des visions qu'il avait eues dans son sommeil, mais que c'était en vain, que les visions lui souriraient toujours, qu'on l'aimait et qu'on viendrait le voir malgré le docteur: celle qui l'aimait étant d'un rang à ne craindre les refus de personne.

      À ces mots, le docteur tremblant se hâta de congédier les valets, reprit la blessure en sous-œuvre, et décidé à soigner la raison après le corps, il remit la matière en un état satisfaisant, mais il n'arrêta point le délire, ce qui commença à l'effrayer, attendu que de l'égarement ce malade pouvait passer à la folie.

      Tout empira en un jour de telle sorte que le docteur Louis songea aux remèdes héroïques. Le malade, non seulement se perdait, mais il perdait la reine; à force de parler il criait, à force de se souvenir il inventait; le pis était que dans ses moments lucides, et il en avait beaucoup, Charny était plus fou que dans sa folie.

      Embarrassé au suprême degré, Louis, ne pouvant s'étayer de l'autorité du roi, car le malade s'en étayait aussi, résolut d'aller tout dire à la reine, et il profita pour faire cette démarche d'un moment où Charny dormait, fatigué d'avoir conté ses rêves et d'avoir appelé sa vision.

      Il trouva Marie-Antoinette toute pensive et toute radieuse à la fois, car elle supposait que le docteur allait lui rendre bon compte de son malade.

      Mais elle fut bien surprise; dès sa première question, Louis répondit vertement que le malade était très malade.

      – Comment! s'écria la reine, hier il allait fort bien.

      – Non, madame, il allait fort mal.

      – Cependant j'ai envoyé Misery, et vous avez répondu par un bon bulletin.

      – Je me leurrais et voulais vous leurrer.

      – Qu'est-ce à dire, répliqua la reine fort pâle, s'il est mal, pourquoi me le cacher? Qu'ai-je à craindre, docteur, sinon un malheur, trop commun, hélas!

      – Madame…

      – Et s'il va bien, pourquoi me donner une inquiétude toute naturelle quand il s'agit d'un bon serviteur du roi?.. Ainsi donc, répondez franchement par oui ou par non. Quoi sur la maladie? Quoi sur le malade? Y a-t-il danger?

      – Pour lui, moins encore que pour d'autres, madame.

      – Voilà où commencent les énigmes, docteur, fit la reine impatientée. Expliquez-vous.

      – C'est malaisé, madame, répondit le docteur. Qu'il vous suffise de savoir que le mal du comte de Charny est tout moral. La blessure n'est qu'un accessoire dans les souffrances, un prétexte pour le délire.

      – Un mal moral! monsieur de Charny!

      – Oui, madame; et j'appelle moral tout ce qui ne s'analyse point avec le scalpel. Épargnez-moi d'en dire plus long à Votre Majesté.

      – Vous voulez dire que le comte… insista la reine.

      – Vous le voulez? fit le docteur.

      – Mais sans doute, je le veux.

      – Eh bien! je veux dire que le comte est amoureux, voilà ce que je veux dire. Votre Majesté demande une explication, je m'explique.

      La reine fit un mouvement d'épaules qui signifiait: la belle affaire!

      – Et vous croyez qu'on guérit comme cela d'une blessure, madame? reprit le docteur; non, le mal empire, et du délire passager, monsieur de Charny tombera dans une monomanie mortelle. Alors…

      – Alors, docteur?

      – Vous aurez perdu ce jeune homme, madame.

      – En vérité, docteur, vous êtes surprenant avec vos façons. J'aurai perdu ce jeune homme! Est-ce que je suis cause, moi, s'il est fou?

      – Sans doute.

      – Mais vous me révoltez, docteur.

      – Si vous n'en êtes pas cause en ce moment, poursuivit l'inflexible docteur en haussant les épaules, vous le serez plus tard.

      – Donnez des conseils alors, puisque c'est votre état, dit la reine un peu radoucie.

      – C'est-à-dire que je fasse une ordonnance?

      – Si vous voulez.

      – La voici. Que le jeune homme soit guéri par le baume ou par le fer; que la femme dont il invoque le nom à chaque instant le tue ou le guérisse.

      – Voilà bien de vos extrêmes, interrompit la reine reprenant son impatience. Tuer… guérir… grands mots! Est-ce qu'on tue un homme avec une dureté? Est-ce qu'on guérit un pauvre fou avec un sourire?

      – Ah! si vous êtes incrédule, vous aussi, dit le docteur, je n'ai plus rien à faire qu'à présenter mes très humbles respects à Votre Majesté.

      – Mais, voyons, s'agit-il de moi, d'abord?

      – Je n'en sais rien, et n'en veux rien savoir; je vous répète seulement que monsieur de Charny est un fou raisonnable, que la raison peut à la fois rendre insensé et tuer, que la folie peut rendre raisonnable et guérir. Ainsi quand vous voudrez débarrasser ce palais de cris, de rêves et de scandale, vous prendrez un parti.

      – Lequel?

      – Ah! voilà, lequel? Moi, je ne fais que des ordonnances et je ne conseille pas. Suis-je bien sûr d'avoir entendu ce que j'ai entendu, d'avoir vu ce que mes yeux ont vu?

      – Allons, supposez que je vous comprenne, qu'en résultera-t-il?

      – Deux bonheurs: l'un, le meilleur pour vous comme pour nous tous, c'est que le malade, frappé au cœur par ce stylet infaillible qu'on nomme la raison, voie finir son agonie qui commence; l'autre… eh bien! l'autre… Ah! madame, excusez-moi, j'ai eu le tort de voir deux issues au labyrinthe. Il n'y en a qu'une pour Marie-Antoinette, pour la reine de France.

      – Je vous comprends; vous avez parlé avec franchise, docteur. Il faut que la femme pour laquelle monsieur de Charny a perdu la raison lui