Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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profond de son âme.

      – Oui, Votre Majesté.

      – Faites prévenir quelqu'un; mademoiselle de Taverney, par exemple.

      – Mademoiselle de Taverney? dit le docteur.

      – Oui, vous disposerez toutes choses pour que le blessé nous reçoive convenablement.

      – C'est fait, madame.

      – Sans ménagement aucun.

      – Il le faut bien.

      – Mais, murmura la reine, il est plus triste que vous ne croyez d'aller ainsi chercher la vie ou la mort d'un homme.

      – C'est ce que je fais tous les jours quand j'aborde une maladie inconnue. L'attaquerai-je par le remède qui tue le mal ou par le remède qui tue le malade?

      – Vous, vous êtes bien sûr de tuer le malade, n'est-ce pas? fit la reine en frissonnant.

      – Eh! dit le docteur d'un air sombre, quand bien même il mourrait un homme pour l'honneur d'une reine, combien n'en meurt-il pas tous les jours pour le caprice d'un roi? Allons, madame, allons!

      La reine soupira et suivit le vieux docteur, sans avoir pu trouver Andrée.

      Il était onze heures du matin; Charny, tout habillé, dormait sur un fauteuil après l'agitation d'une nuit terrible. Les volets de la chambre, fermés avec soin, ne laissaient passer qu'un reflet affaibli du jour. Tout ménageait pour le malade cette sensibilité nerveuse cause première de sa souffrance.

      Pas de bruit, pas de contact, pas de vue. Le docteur Louis s'attaquait habilement à tous les prétextes d'une recrudescence, et cependant, décidé à frapper un grand coup, il ne reculait pas devant une crise qui pouvait tuer son malade. Il est vrai qu'elle pouvait aussi le sauver.

      La reine vêtue d'un habit du matin, coiffée avec une élégance tout abandonnée, entra brusquement dans le corridor qui menait à la chambre de Charny. Le docteur lui avait recommandé de ne pas hésiter, de ne pas essayer, mais de se présenter sur-le-champ, avec résolution, pour produire un violent effet.

      Elle tourna donc si vivement le bouton ciselé de la première porte de l'antichambre, qu'une personne penchée sur la porte de la chambre de Charny, une femme enveloppée de sa mante, n'eut que le temps de se redresser et de prendre une contenance, dont sa physionomie bouleversée, ses mains tremblantes, démentaient la tranquillité.

      – Andrée! s'écria la reine surprise… Vous, ici?

      – Moi! répliqua Andrée pâle et troublée, moi! oui, Votre Majesté. Moi! mais Votre Majesté n'y est-elle pas elle-même?

      «Oh! oh! complication», murmura le docteur.

      – Je vous cherchais partout, dit la reine; où étiez-vous donc?

      Il y avait dans ces paroles de la reine un accent qui n'était pas celui de sa bonté ordinaire. C'était comme le prélude d'un interrogatoire, c'était comme le symptôme d'un soupçon.

      Andrée eut peur, elle craignait surtout que sa démarche inconsidérée ne donnât la clef de ses sentiments si effrayants pour elle-même. Aussi, toute fière qu'elle fût, se décida-t-elle à mentir pour la seconde fois.

      – Ici, vous le voyez.

      – Sans doute; mais comment ici?

      – Madame, répliqua-t-elle, on m'a dit que Votre Majesté me faisait chercher; je suis venue.

      La reine n'était pas au bout de sa défiance, elle insista.

      – Comment avez-vous fait, dit-elle, pour deviner où j'allais?

      – C'était facile, madame; vous étiez avec monsieur le docteur Louis, et l'on vous avait vue traverser les petits appartements; vous n'aviez, dès lors, d'autre but que ce pavillon.

      – Bien deviné, reprit la reine encore indécise mais sans dureté, bien deviné.

      Andrée fit un dernier effort.

      – Madame, dit-elle en souriant, si Votre Majesté avait l'intention de se cacher, il n'eût pas fallu se montrer sur les galeries découvertes, comme elle l'a fait tout à l'heure pour venir ici. Quand la reine traverse la terrasse, mademoiselle de Taverney la voit de son appartement, et ce n'est pas difficile de suivre ou de précéder quelqu'un qu'on a vu de loin.

      – Elle a raison, dit la reine, et cent fois raison. J'ai une malheureuse habitude, qui est de ne deviner jamais; moi, réfléchissant peu, je ne crois pas aux réflexions des autres.

      La reine sentait qu'elle allait avoir besoin d'indulgence, peut-être, puisqu'elle avait besoin de confidente.

      Son âme, d'ailleurs, n'étant pas un composé de coquetterie et de défiance, comme l'âme des femmes vulgaires, elle avait foi dans ses amitiés, sachant qu'elle pouvait aimer. Les femmes qui se défient d'elles se défient encore bien plus des autres. Un grand malheur qui punit les coquettes, c'est qu'elles ne se croient jamais aimées de leurs amants.

      Marie-Antoinette oublia donc bien vite l'impression que lui avait faite mademoiselle de Taverney devant la porte de Charny. Elle prit la main d'Andrée, lui fit tourner la clef de cette porte, et passant la première avec une rapidité extrême, elle pénétra dans la chambre du malade pendant que le docteur restait dehors avec Andrée.

      À peine celle-ci eut-elle vu disparaître la reine qu'elle leva vers le ciel un regard plein de colère et de douleur, dont l'expression ressemblait à une imprécation furieuse.

      Le bon docteur lui prit le bras et arpenta avec elle le corridor en lui disant:

      – Croyez-vous qu'elle réussira?

      – Réussir, et à quoi? mon Dieu! dit Andrée.

      – À faire transporter ailleurs ce pauvre fou, qui mourrait ici pour peu que sa fièvre dure.

      – Il guérirait donc ailleurs? s'écria Andrée.

      Le docteur la regarda, surpris, inquiet.

      – Je crois que oui, dit-il.

      – Oh! qu'elle réussisse alors! fit la pauvre fille.

      Chapitre LIV

      Convalescence

      Cependant la reine avait marché droit au fauteuil de Charny.

      Celui-ci leva la tête au bruit des mules qui criaient sur le parquet.

      – La reine! murmura-t-il en essayant de se lever.

      – La reine, oui, monsieur, se hâta de dire Marie-Antoinette, la reine qui sait comment vous travaillez à perdre la raison et la vie, la reine que vous offensez dans vos rêves, la reine que vous offensez éveillé, la reine qui a soin de son honneur et de votre sûreté! Voici pourquoi elle vient à vous, monsieur, et ce n'est pas ainsi que vous devriez la recevoir.

      Charny s'était levé tremblant, éperdu, puis aux derniers mots il s'était laissé glisser sur ses genoux, tellement écrasé par la douleur physique et la douleur morale, que, courbé ainsi en coupable, il ne voulait ni ne pouvait se relever.

      – Est-il possible, continua la reine touchée de ce respect et de ce silence, est-il possible qu'un gentilhomme, renommé autrefois parmi les plus loyaux, s'attache comme un ennemi à la réputation d'une femme? Car notez ceci, monsieur de Charny, dès notre première entrevue, ce n'est pas la reine que vous avez vue et que je vous ai montrée, c'était une femme, et vous n'eussiez jamais dû oublier.

      Charny, entraîné par ces paroles sorties du cœur, voulut essayer d'articuler un mot pour sa défense: Marie-Antoinette ne lui en laissa pas le temps.

      – Que feront mes ennemis, dit-elle, si vous donnez l'exemple de la trahison?

      – La trahison… balbutia Charny.

      – Monsieur, voulez-vous choisir? Ou vous êtes un insensé, et je vais vous ôter le moyen de faire le mal; ou vous êtes un traître, et je vais vous punir.

      – Madame, ne dites pas que je suis un traître. Dans la