L'allusion faite indirectement aux difficultés des dernières sessions, n'empêcha point la chambre de revenir sur la question des juges, relativement auxquels elle voulait absolument introduire l'usage anglais. Les membres les plus décidés voulaient les expulser de suite par une résolution comme cela parait avoir été fait dans l'origine par le parlement impérial; mais la grande majorité espérant toujours obtenir le consentement des deux autres branches de la législature, désirait prendre un terme moyen et faire admettre le principe dans le pays par les trois pouvoirs.
Le gouverneur qui avait des idées sur une représentation coloniale bien différentes de celles de la chambre elle-même, avait pu juger dès le début de ses procédés qu'il n'y avait point d'accord possible entre elle et lui; qu'elle voulait persister dans son ancienne politique, et qu'il était évident qu'il fallait ou céder ou recourir à une seconde dissolution. D'après son caractère l'on devait prévoir que la dernière alternative devenait chaque jour la seule probable. En effet, du haut de son château, il trouvait la conduite de l'assemblée pleine d'audace, ayant toujours présent à l'idée, devant les yeux, la puissance et la situation relative de l'Angleterre et du Canada. Profitant de l'expulsion de M. Hart qu'elle venait de renouveler, il résolut de mettre fin à un parlement où l'on ne paraissait pas d'humeur à s'en laisser imposer, et qu'il croyait avoir tous les droits de mener à sa guise. Il se rendit au conseil législatif accompagné d'une suite nombreuse, et manda les représentans devant lui. Tout s'était passé de manière qu'ils n'eurent connaissance de son intention que lorsque les grenadiers de sa garde arrivèrent devant leur porte. «Messieurs, leur dit-il, lorsque je m'adressais à vous au commencement de la session, je n'avais aucune raison de douter de votre modération, ni de votre prudence, et je mettais une pleine confiance en toutes deux. J'attendais de vous que guidés par ces principes, vous feriez un généreux sacrifice de toute animosité personnelle, de tout mécontentement particulier; que vous porteriez une attention vigilante aux intérêts de votre pays; que vous rempliriez vos devoirs publics avec zèle et promptitude et une persévérance inébranlable. J'attendais de vous des efforts sincères pour le raffermissement de la concorde et une soigneuse retenue sur tout ce qui pourrait avoir une tendance à la troubler. J'ai cru que vous observeriez tous les égards qui sont dus, et par cela même indispensables aux autres branches de la législature, et que vous vous empresseriez de coopérer cordialement avec elles dans tout ce qui pourrait contribuer au bonheur et au bien-être de la colonie. J'avais le droit de m'attendre à cela de votre part, parce que c'était votre devoir, parce que c'aurait été fournir un témoignage certain au gouvernement de la loyauté et de l'attachement que vous professez avec tant d'ardeur et dont je crois que vous êtes pénétrés, parce qu'enfin la conjoncture critique surtout, la situation précaire dans laquelle nous nous trouvons à l'égard des Etats-Unis l'exigeaient d'une manière toute particulière. Je regrette d'avoir à ajouter que j'ai été trompé dans cette attente et dans toutes mes espérances.
«Vous avez consumé dans les débats ingrats, excités par des animosités personnelles et des contestations frivoles sur des objets et des formalités futiles, ce temps et ces talens que vous deviez au public. Vous avez préféré abuser de vos fonctions et négliger les devoirs élevés et importans que vous étiez tenus envers votre souverain et vos constituans de remplir. S'il fallait des preuves de cet abus cinq bills seulement ont été soumis à ma sanction après une session de cinq semaines, et sur ces cinq bills trois sont de simples renouvellemens de lois annuelles qui n'exigeaient aucune discussion.
«La violence et le peu de mesure que vous avez montrés dans tous vos procédés, le manque d'attention prolongé et peu respectueux que vous avez eu pour les autres branches de la législature, font que quelque puissent être leur modération et leur indulgence il n'y a guère lieu de s'attendre à une bonne entente à moins d'une nouvelle assemblée.»
Après d'autres observations sur le même ton, il continua par déclarer qu'il avait une entière confiance dans les électeurs, qu'il était persuadé que par un choix de représentans convenables on préviendrait de nouveaux embarras à l'avenir et qu'on saurait mieux consulter les intérêts du pays; que la tâche qu'il venait de remplir lui avait été pénible au plus haut degré; mais qu'il se tournait avec une satisfaction particulière pour offrir à Messieurs du conseil législatif, la reconnaissance que leur méritaient l'unanimité, le zèle et l'attention soutenus qu'ils avaient montrés. Ce n'était pas à eux qu'il fallait l'attribuer, si on avait fait si peu pour le bien public. «Mes remercîmens sont également dus, ajouta-t-il, à une partie considérable de l'assemblée. J'espère qu'ils voudront croire que je leur rends justice, que je sais apprécier leurs efforts pour arrêter ceux dont j'ai tant de droit de me plaindre. Par là, Messieurs, vous avez vraiment manifesté votre attachement au gouvernement de sa Majesté et vous avez justement jugé les intérêts réels et permanens du pays.»
Il n'y a que dans une petite colonie qu'un gouverneur peut se permettre une pareille comédie. Si le sujet n'était pas si sérieux l'on pourrait demander quelle indépendance avait un conseil législatif nommé par lui et formé de créatures choisies avec soin? quelle indépendance avaient les membres de l'assemblée auxquels il adressait des complimens? La liberté dans son enfance n'est qu'un jouet entre les mains de l'homme fort qui tient l'épée.
Toute l'ineptie virulente de sir James Craig parut à nud dans cette occasion. A un langage insultant pour la représentation qui ne faisait qu'invoquer un principe parfaitement constitutionnel, il joignait la faute plus grave de se faire partisan politique en approuvant une partie de cette représentation, en la remerciant, en se tournant vers elle, de sa conduite, en lui disant qu'elle avait montré son affection pour le gouvernement et qu'elle lui ferait la justice de reconnaître qu'il avait su la distinguer du reste de la chambre. Les ennemis des Canadiens approuvèrent avec de hautes clameurs de joie la conduite du gouverneur. Ils lui présentèrent des adresses et lui promirent leur appui pour préserver la constitution intacte et maintenir le gouvernement dans la plénitude de ses droits. Ils l'élevèrent jusqu'aux cieux, le proclamèrent l'homme le plus habile de l'Angleterre; et aveuglés par leur haine ils oublièrent les droits du pays, pour battre des mains aux insultes prodiguées à la liberté. Les Canadiens accoutumés aux manières de cette foule passionnée et servile, ne furent point étonnés de ce bruit, qui n'était que la répétition de ce qui avait lieu chaque fois que le gouverneur devenait le chef de leurs ennemis politiques. Ils conservèrent tout leur sang froid et toutes leurs convictions. Aux attaques grossières de journalistes à gages, le Canadien conduit par plusieurs membres de la chambre, répondit par des faits et de la froide raison politique et constitutionnelle. Le Mercury, journal senti-officiel, disait le 19 mars 1810: «Quiconque a lu les derniers numéros du Canadien, y trouvera le même esprit arbitraire qui animé la majorité de la dernière chambre d'assemblée. Le langage dont l'on se sert au sujet de l'expulsion du juge de Bonne, n'est plus celui du droit de la chambre, mais de son pouvoir. Si le pouvoir est la chose, ce qui veut dire en d'autres termes, la volonté de la majorité, quel membre venant à déplaire à cette majorité pourra être sûr de son siège?..
«De la part de l'exécutif, nous prendrons la liberté d'observer que dans une dépendance comme cette colonie, lorsque l'on voit le gouvernement journellement bravé, insulté et traité avec le plus grand mépris dans le dessein de le rendre méprisable, nous ne devons attendre rien moins que sa patience ne s'épuise et que des mesures énergiques ne soient prises comme les seules efficaces.
«Le traitement que le gouvernement reçoit continuellement d'un peuple conquis, porté de l'abime de la misère à la hauteur de la prospérité et livré à toutes sortes d'indulgences, n'est pas ce qu'il devait en attendre.
«Après la dernière mesure de conciliation proposée par le représentant du roi à l'ouverture de la dernière session