Tels sont les événemens qui se passèrent entre la république du Nouveau-Monde et l'Angleterre entre 1806 et 1809; et dans la prévision d'une guerre, la première portait déjà les yeux sur le Canada.
En même temps, le bruit se répandait que les Canadiens n'attendaient que l'apparition du drapeau américain pour se lever en masse et livrer le pays à la confédération. Cette croyance assez généralement répandue prenait sa source dans le système de leurs ennemis de les représenter sans cesse comme des rebelles cachés sinon ouverts: Les Américains qui voulaient bannir toute domination européenne du nouveau monde s'empressaient de profiter de ces rumeurs et les répandaient dans le public par la voie de leurs journaux avec la plus grande activité.
Le chef du gouvernement canadien, M. Dunn, jugea à propos pour les détromper, de faire une grande démonstration militaire. Dans l'été de 1807, il ordonna à un cinquième de la milice de se tenir prêt à marcher au premier ordre; l'évêque, M. Plessis, adressa un mandement à tous les catholiques pour exciter leur zèle. Le tirage au sort de ce contingent et son organisation se firent avec une émulation et une promptitude qui donnaient un démenti éclatant à toutes les insinuations répandues pour rendre les Canadiens suspects.
Les fortifications de Québec furent aussi augmentées et mises en état de guerre par les soins du colonel Brock, qui commandait la garnison. Mais la guerre ne devait pas encore éclater de sitôt. Les Etats-Unis n'étaient pas en mesure d'entrer en lice avec une puissance maîtresse des mers et d'une armée de terre disponible supérieure par le nombre et par la discipline à celle de la république. La diplomatie s'empara des sujets de difficulté élevés entre les deux gouvernemens.
C'est alors qu'arriva le nouveau gouverneur, sir James Graig, officier militaire de quelque réputation, mais administrateur fantastique et borné, qui déploya un grand étalage militaire et parla au peuple comme il aurait parlé à des recrues soumises au martinet. Dans son ordre général du 24 novembre, tout en exprimant sa satisfaction de l'état dans lequel il trouvait la milice, des sentimens d'attachement qu'elle montrait pour le trône, de son zèle pour la défense du pays, il observait qu'il avait vu avec beaucoup d'inquiétude les actes de grave insubordination de la paroisse de l'Assomption; qu'il espérait que les lois seraient obéies, que les habitans courraient aux armes avec ardeur pour la défense de leurs biens, de leurs familles, de leur patrie; qu'il exhortait tout le monde à être en garde contre les artifices de la trahison et les discours d'émissaires répandus partout pour les séduire; que quoiqu'ils eussent sans doute peu de poids parmi un peuple heureux, qui éprouvait à chaque instant la protection et les bienfaits du gouvernement, il recommandait, pour prévenir d'une manière plus efficace les mauvais effets qui pourraient accompagner leurs efforts, surtout parmi les jeunes gens et les ignorans; à tous les miliciens de surveiller attentivement la conduite et le langage des étrangers qui paraîtraient au milieu d'eux, et chaque fois que leur conduite et leur langage seraient de nature à donner raison de soupçonner leurs intentions, de les arrêter et de les conduire devant le magistrat ou l'officier de milice le plus voisin.
Cet ordre appuyait d'une manière si spéciale sur les intrigues des émissaires américains et sur les défections qu'elles pouvaient causer dans les rangs de la milice, qu'il dut faire croire au loin, que le pays était sur un volcan. Rien n'autorisait un appel aussi solennel à la fidélité des habitans. Les troubles signalés par le gouverneur n'avaient aucune portée politique, et devaient leur origine à des causes personnelles ou à des querelles locales auxquelles les agens officieux de l'autorité donnèrent un autre caractère pour faire valoir leurs services; car les Canadiens ne furent en aucun temps plus attachés à leur gouvernement qu'à cette époque. Mais sir James Craig s'était jeté en arrivant, corps et âme, dans les bras de leurs ennemis et il ne voyait rien que par leurs yeux. Il crut que les Canadiens étaient mal affectionnés; qu'ils déguisaient leurs pensées comme leurs adversaires ne cessaient de le lui répéter, surtout leurs chefs qu'ils détestaient; de là ses préventions et la conduite impérieuse et violente qui ont signalé son administration.
En ouvrant le parlement, il fit allusion comme ses prédécesseurs, aux guerres de l'Europe et à l'ambition de la France. «J'aurais été très flatté, dit-il, si dans cette occasion j'avais été porteur de quelque espoir bien fondé du retour de la paix qui, comme base la plus sûre du bien être et du bonheur du peuple, est l'objet continuel des efforts de sa Majesté; mais tant qu'un ennemi implacable emploiera toutes les ressources d'une puissance sans exemple dans le monde jusqu'à ce jour, dirigé sans aucun principe de justice ni d'humanité, acharné à notre ruine, tant que cet ennemi irrité du désappointement d'une ambition sans borne, ne tendant à rien moins qu'à la conquête du monde, regardera avec une malice invétérée qu'il ne cherche point à cacher, la seule nation de l'Europe qui par la sagesse de son gouvernement, les ressources de ses richesses, son énergie, ses vertus et son esprit public, a été capable de lui résister, ce n'est qu'avec une défiance prudente et en mettant sa confiance dans les bienfaits de la Divine Providence, que l'on peut espérer de voir arriver la fin si désirable des maux de la guerre.»
Quant aux difficultés avec les Etats-Unis, il n'avait rien à communiquer qui put jeter du jour sur la question; mais il espérait que la sagesse des deux gouvernemens préviendrait les calamités de la guerre entre deux peuples dont les usages, la langue et l'origine étaient les mêmes. Il ne fallait pas pour cela cependant négliger les moyens de défense; il mettait sa confiance dans la coopération des habitans et la loyauté et le zèle de la milice qui méritait son approbation et fournissait la plus forte raison d'espérer que si le pays était attaqué, il serait défendu comme l'on devait l'attendre d'un peuple brave qui combat pour tout ce qui lui est cher.
Ce langage sur l'attitude de la milice était plus prudent que l'ordre général et ne contenait que la vérité. La réponse de l'assemblée dut faire croire à l'Angleterre qu'elle pouvait compter sur la fidélité des Canadiens malgré les préjugés et les craintes que trahissaient ces appels eux-mêmes.
La question d'exclure les juges et les Juifs de la chambre comme en Angleterre, occupa une grande partie de la session. Les Juifs furent exclus par résolution. Quant aux juges, M. Bourdages présenta un bill que la chambre adopta, mais que rejeta le conseil, qui vit avec une secrète joie le refroidissement ou plutôt la disposition hostile qui se manifestait déjà vers la fin de la session entre sir James Craig et l'assemblée.
Depuis quelque temps ce sentiment prenait de la consistance à chaque fait nouveau qu'on abordait dans la discussion, et l'entourage du gouverneur, aidé des fonctionnaires qui connaissaient maintenant le caractère de leur chef, commença à exciter ses passions avec toute la liberté que semblait appeler son penchant. On s'entendit pour calomnier les Canadiens sur tous les tons et en toutes occurrences, et chaque fois on finissait par trouver moyen de tourner leurs paroles les plus innocentes en paroles séditieuses ou en pensées de trahison. Par ce système on réussit à s'emparer complètement de l'esprit irritable de Craig. Les fonctionnaires savaient qu'il n'y avait aucune chance de changer le caractère de la représentation; et pour détruire d'avance son influence ils employèrent leurs armes ordinaires, la calomnie. Ils dirigèrent surtout l'hostilité de l'exécutif contre le président de la chambre, et réussirent à lui faire perdre l'élection de Québec sans cependant lui faire perdre son siège, parce qu'il avait été élu dans un comté voisin, par prévision. Ils étaient d'autant plus déchaînés contre lui qu'il passait pour l'un des propriétaires du Canadien, dont les opinions n'étaient pas silencieuses comme celles des autres journaux. Peu temps après l'élection, il fut retranché