En vain l'opposition dirigée par M. Richardson, qui fit un discours de près d'une heure et demie, voulut faire tomber la proposition par un amendement, elle fut adoptée par une majorité de plus des deux tiers. Ainsi fut confirmée après de longs débats, la décision adoptée précédemment sur la grande question du principe de l'impôt, principe qui n'a pas cessé depuis de servir de base au système financier du pays. Elle le fut conformément à l'intérêt de ces nouvelles contrées dont le premier besoin est le changement des immenses forêts qui les couvrent en champs fertiles et bien cultivés. La loi ne fut point désavouée.
Les discussions sur cette question augmentèrent encore l'aigreur des esprits, dont le chef du gouvernement lui-même ne fut pas exempt. Elles prirent comme de coutume une teinte de jalousie nationale. Le parti mercantile, ne pouvant se contenir après le nouvel échec qu'il venait d'éprouver, éleva de nouveau la voix contre l'origine de ses adversaires et essaya de ramener la discussion sur le terrain de la nationalité. «Cette province est déjà trop française, disait le Mercury, pour une colonie anglaise… Que nous soyons en guerre ou en paix, il est absolument nécessaire que nous fassions tous nos efforts par tous les moyens avouables, pour opposer l'accroissement des Français et leur influence… Après avoir possédé Québec quarante-sept ans, il est temps que la province soit anglaise.» Ce cri jeté par les hommes les plus violens du parti en opposition aux plus modérés qui s'élevèrent aussitôt contre, était excité par le bruit qui courait que les Canadiens allaient établir un journal dans leur langue pour défendre leurs intérêts nationaux et politiques. Jusqu'à ce moment la presse, comme on l'a déjà dit, avait gardé un silence profond, rarement interrompu par des débats, sur les affaires intérieures, politiques ou religieuses. Ce silence n'était pas tant peut-être encore le fruit du despotisme que de l'intérêt bien entendu des gouvernans. Maîtres du pouvoir, ils possédaient avec lui tous les avantages qui en découlent pour les individus. Mais l'apparition d'un journal indépendant, proclamant qu'il venait défendre les droits politiques des Canadiens et revendiquer en leur faveur tous les avantages de la constitution, effraya ceux qui jouissaient de son patronage. Ils accueillirent le nouveau journal avec une hostilité très prononcée. Ils s'efforcèrent de faire croire que c'était un agent français, M. Turreau, alors aux Etats-Unis, qui en était le principal auteur. «C'est un fait incontestable, disait le Mercury qu'il a offert 900 dollars pour établir une gazette française à New-York. N'avons nous pas raison d'être jaloux de voir établir un journal français à Québec; lorsque nous apprenons que l'on parle déjà d'en publier un second, et que l'on va ouvrir une nouvelle imprimerie. Si dans le temps où nous sommes nous n'en éprouvons pas d'alarmes, c'est que nous sommes insensibles à tous les symptômes des malheurs qui nous menacent. Peu d'Anglais connaissent les intrigues et les cabales qui se passent au milieu de nous.»
Malgré les soupçons qu'on tâchait ainsi de faire naître, le Canadien parut dans le mois de novembre 1806. «Il y a déjà longtemps disait son prospectus que des personnes qui aiment leur pays et leur gouvernement, regrettent que le rare trésor que nous possédons dans notre constitution, demeure si longtemps caché, la liberté de la presse… Ce droit qu'à un peuple anglais, d'exprimer librement ses sentimens sur tous les actes publics de son gouvernement, est ce qui en fait le principal ressort… C'est cette liberté qui rend la constitution anglaise si propre à faire le bonheur des peuples qui sont sous sa protection. Tous les gouvernemens doivent avoir ce but, et tous désireraient peut pour l'obtenir; mais tous n'en ont pas les moyens. Le despote ne connaît le peuple que par le portrait que lui en font les courtisans, et n'a d'autres conseillers qu'eux. Sous la constitution d'Angleterre, le peuple a le droit de ce faire connaître lui-même par le moyen de la presse; et par l'expression libre de ses sentimens, toute la nation devient pour ainsi dire le conseiller privé du gouvernement.
«Le gouvernement despotique toujours mal informé, est sans cesse exposé à heurter les sentimens et les intérêts du peuple qu'il ne connaît pas, et à lui faire sans le vouloir des maux et des violences dont il ne s'aperçoit qu'après qu'il n'est plus temps d'y remédier; d'où vient que ces gouvernemens sont sujets à de si terribles révolutions. Sous la constitution anglaise où rien n'est caché, où aucune contrainte n'empêche le peuple de dire librement ce qu'il pense et où le peuple pense pour ainsi dire tout haut, il est impossible que de pareils inconvéniens puissent avoir lieu, et c'est là ce qui fait la force étonnante de cette constitution qui n'a reçu aucune atteinte, quand toutes celles de l'Europe ont été bouleversées les unes après les autres.
«Les Canadiens comme les plus nouveaux sujets de l'Empire ont surtout intérêt de n'être pas mal représentés.
«Il n'y a pas bien longtemps qu'on les a vus en butte à de noires insinuations dans un papier publié en anglais, sans avoir la liberté de répondre. Ils ont intérêt de dissiper les préjugés, ils ont intérêt surtout d'effacer les mauvaises impressions que les coups secrets de la malignité pourraient laisser dans l'esprit de l'Angleterre et du roi lui-même. On leur a fait un crime de se servir de leur langue maternelle pour exprimer leurs sentimens et se faire rendre justice; mais les accusations n'épouvantent que les coupables, l'expression sincère de la loyauté est loyale dans toutes les langues.»
L'apparition de ce journal marqua l'ère de la liberté de la presse en Canada. Avant lui aucune feuille n'avait encore osé discuter les questions politiques comme on le faisait dans la métropole. La polémique que souleva le Canadien fut conduite presqu'entièrement sous forme de correspondance anonyme. Il donna cependant un grand élan aux idées de liberté pratique, et à ce titre son nom mérite d'être placé à la tête de l'histoire de la presse du pays.
Ces discussions malgré l'agitation momentanée qu'elles causèrent de temps à suit autre, n'interrompaient point encore les bons rapports qui existaient entre le gouvernement et la chambre; et d'ailleurs la situation de nos relations avec les Etats-Unis allait bientôt appeler pour quelque temps du moins, l'attention publique d'un autre côté.
Les guerres terribles occasionnées en Europe par la révolution française, que les rois tremblant sur leurs trônes, s'étaient conjurés pour abattre, avaient excité de vives sympathie dans la république américaine en faveur de la France. On avait vu avec mécontentement la nation la plus libre de l'Europe après la Suisse, se liguer avec les despotes les plus absolus pour écraser la liberté qui avait tant de peine à naître et à se répandre; et le gouvernement des Etats-Unis avait la plus grande peine à arrêter chez une portion très nombreuse de ses habitans l'explosion de sentimens qui auraient amené une guerre avec l'Angleterre, et conséquemment une lutte sur mer, où sa marine n'était pas en état de lutter avec aucune espèce de chance de succès. Depuis quelque temps les rapports entre les deux nations avaient perdu de cette cordialité que l'on essayait en vain du conserver, et qui allait disparaître plus tard avec le parti whig de l'Union.
La révolution française et les guerres qui en avaient été la suite avaient fini par la destruction de toutes les marines des nations continentales, incapables de lutter à la fois sur les deux élément. L'Angleterre était restèe seule maîtresse des mers et voulait en retirer tous les avantages. Les Etats-Unis au contraire prétendaient à la faveur de leur neutralité, trafiquer librement avec les différentes nations belligérantes. Sans tenir compte des prétentions de la nation nouvelle, la Grande-Bretagne déclara en 1806 les côtes d'une partie du continent européen depuis Brest jusqu'à l'Elbe en état de blocus, et captura une foule de navires américains qui s'y rendaient. Napoléon en fit autant de son côté par représailles, et déclara les côtes de l'Angleterre bloquées. Celle-ci pour surenchérir prohiba l'année suivante tout commerce avec la France. Ces mesures extraordinaires et qui violaient les lois des nations et les droits des neutres reconnus jusqu'à ce moment, causèrent un grand mécontentement dans la république américaine, où les marchands demandèrent à grands cris la protection de leur gouvernement. Dans le même temps l'Angleterre, en vertu du droit de visite, qu'elle venait aussi d'introduire dans son code maritime, c'est-à dire le droit de rechercher et de prendre tous les matelots de sa nation qu'elle trouverait sur les vaisseaux étrangers, et qui était dirigé contre les Etats-Unis, qui employaient beaucoup de matelots anglais, attaqua la frégate