Le Bossu Volume 4. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
assassins: – Vous mourrez tous de ma main! Ils étaient neuf. Le chevalier en avait reconnu sept… ceux-là sont morts…

      – De sa main? interrogea le régent qui pâlit.

      Le bossu s'inclina profondément en signe d'affirmation.

      – Et les deux autres? demanda encore le régent.

      Le bossu fit une pause avant de répondre.

      – Il est des têtes, monseigneur, que les chefs de gouvernement n'aiment point voir tomber sur l'échafaud, répondit-il enfin en regardant le prince en face, – le bruit que font ces têtes en tombant ébranle le trône… M. de Lagardère donnera le choix à Votre Altesse Royale. Il m'a chargé de le lui dire… le huitième assassin n'est qu'un valet: M. de Lagardère ne le compte pas… Le neuvième est le maître… Il faut que cet homme meure… Si Votre Altesse Royale ne veut pas du bourreau, on donnera une épée à cet homme, et cela regardera M. de Lagardère…

      Le régent tendit une seconde fois le parchemin.

      – La cause est juste, murmura-t-il; – je fais ceci en mémoire de mon pauvre Philippe… Si M. de Lagardère a besoin d'aide…

      – Monseigneur, M. de Lagardère ne demande qu'une seule chose à Votre Altesse Royale.

      – Quelle chose?

      – La discrétion… Un mot imprudent peut tout perdre.

      – Je serai muet.

      Le bossu salua profondément, mit le parchemin plié dans sa poche, et se dirigea vers la porte.

      – Donc, dans deux heures? dit le régent.

      – Dans deux heures!

      Et le bossu sortit.

      – As-tu ce qu'il te faut, petit homme? demanda le vieux concierge le Bréant, quand il vit revenir le bossu.

      Celui-ci glissa un double louis dans sa main.

      – Oui, dit-il, mais, à présent, je veux voir la fête.

      – Tête-bleu! s'écria le Bréant, – le beau danseur que voilà!

      – Je veux, en outre, continua le bossu, que tu me donnes la clef de ta loge dans le jardin.

      – Pourquoi faire, petit homme?

      Le bossu lui glissa un second double louis.

      – A-t-il de drôles de fantaisies, ce petit homme-là! fit le Bréant. Tiens, voici la clef de ma loge.

      – Je veux enfin, acheva le bossu, que tu portes dans ta loge le paquet que je t'ai confié ce matin.

      – Et y a-t-il encore un double louis pour la commission?

      – Il y en a deux.

      – Bravo!.. oh! l'honnête petit homme!.. Je suis sûr que c'est pour un rendez-vous d'amour…

      – Peut-être, fit le bossu en souriant.

      – Si j'étais femme, moi, je t'aimerais malgré ta bosse… à cause de tes doubles louis… Mais, s'interrompit ici le bon vieux le Bréant; il faut une carte pour entrer là dedans… les piquets de gardes françaises ne plaisantent pas!..

      – J'ai la mienne, répliqua le bossu; porte seulement le paquet.

      – Tout de suite, mon petit homme. Reprends le corridor… tourne à droite, le vestibule est éclairé; tu descendras par le perron… Divertis-toi bien, et bonne chance!

      III

      – Un coup de lansquenet. —

      Dans le jardin, l'affluence augmentait sans cesse. On se pressait principalement du côté du rond-point de Diane, qui avoisinait les appartements de Son Altesse Royale; chacun voulait savoir pourquoi le régent se faisait attendre.

      Nous ne nous occuperons pas beaucoup de conspirations. Les intrigues de M. du Maine et de la princesse, sa femme, les menées du vieux parti Villeroy et de l'ambassade d'Espagne, bien que fertiles en incidents dramatiques, n'entrent point dans notre sujet. Il nous suffit de remarquer, en passant, que le régent était entouré d'ennemis. Le parlement le détestait et le méprisait au point de lui disputer en toute occasion la préséance; le clergé lui était généralement hostile à cause de l'affaire de la constitution; les vieux généraux et l'armée active ne pouvaient avoir que du dédain pour sa politique débonnaire; enfin, dans le conseil de régence même, il éprouvait de la part de certains membres une opposition systématique.

      On ne peut se dissimuler que la parade financière de Law lui fut d'un immense secours pour détourner l'animadversion publique.

      Personnellement, nul, excepté les princes légitimes, ne pouvait avoir une haine bien vigoureuse pour ce prince, appartenant au genre neutre, qui n'avait pas un grain de méchanceté dans le cœur, mais dont la bonté était un peu de l'insouciance. On ne déteste bien que les gens qu'on eût pu aimer fortement. Or, Philippe d'Orléans comptait des compagnons de plaisir et point d'amis.

      La banque de Law servit à acheter les princes. Le mot est dur, mais l'histoire, inflexible, ne permet point d'en choisir un autre. Une fois les princes achetés, les ducs suivirent et les légitimés restèrent dans l'isolement, n'ayant d'autre consolation que quelques visites à la vieille, comme on appelait alors madame de Maintenon déchue.

      M. de Toulouse se soumit franchement: c'était un honnête homme. M. du Maine et sa femme durent chercher un point d'appui à l'étranger.

      On dit qu'au temps où parurent les satires du poëte Lagrange, intitulées les Philippiques, le régent insista tellement auprès du duc de Saint-Simon, alors son familier, que ce duc consentit à lui en faire lecture.

      On dit que le régent écouta sans sourciller, et même en riant, les passages où le poëte, traînant dans la boue sa vie privée et de famille, le montre assis auprès de sa propre fille à la même table d'orgie.

      Mais on dit aussi qu'il pleura et qu'il s'évanouit à la lecture des vers qui l'accusaient d'avoir empoisonné successivement toute la postérité de Louis XIV.

      Il avait raison. Ces accusations, lors même qu'elles sont des calomnies, font sur le vulgaire une impression profonde. Il en reste toujours quelque chose, a dit Beaumarchais, qui savait à quoi s'en tenir.

      L'homme qui a parlé de la régence avec le plus de calme et le plus d'impartialité, c'est l'historiographe Duclos, dans ses Mémoires secrets. On voit bien que l'avis de Duclos est celui-ci: La régence du duc d'Orléans n'aurait pas tenu sans la banque de Law.

      Le jeune roi Louis XV était adoré. Son éducation était confiée à des mains hostiles au régent; d'ailleurs, dans le public indifférent, il y avait de sourdes inquiétudes sur la probité de ce prince. On craignait d'un instant à l'autre de voir disparaître l'arrière-petit-fils de Louis XIV, comme on avait vu disparaître son père et son aïeul.

      C'était là un admirable prétexte à conspirations. Certes, M. du Maine, M. de Villeroy, le prince de Cellamare, M. de Villars, Alberoni et le parti breton-espagnol n'intriguaient point pour leur propre intérêt. Fi donc! ils travaillaient pour soustraire le jeune roi aux funestes influences qui avaient abrégé la vie de ses parents.

      Philippe d'Orléans ne voulut opposer d'abord à ces attaques que son insouciance. Les meilleures fortifications sont de terre molle. Un simple matelas pare mieux la balle qu'un bouclier d'acier. Philippe d'Orléans put dormir tranquille assez longtemps derrière son insouciance.

      Quand il fallut se montrer, il se montra, et comme le troupeau des assaillants qui l'entourait n'avait ni valeur ni vertu, il n'eut besoin que de se montrer.

      A l'époque où se continue notre histoire, Philippe d'Orléans était encore derrière son matelas. Il dormait, et les clabauderies de la foule ne troublaient point son sommeil. Dieu sait pourtant que la foule clabaudait assez haut, tout près de son palais, sous ses fenêtres et jusque dans sa propre maison! Elle avait bien des choses à dire, la foule; – sauf ces infamies qui dépassaient le but, sauf ces accusations d'empoisonnement que