Le comte de Moret. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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de son frère et de sa belle-sœur! Eh bien, c'est ainsi que l'on fera de moi, ou plutôt de mon armée, si je ne vais pas en Italie, et l'on me minera ici jusqu'à ce que je m'écroule, si j'y vais. C'est pourtant le bien de la France que je veux: Mantoue et Montferrat, petits pays, je le sais bien, mais grandes positions militaires; Cazal, la clé des Alpes, aux mains du Savoyard, pour qu'il la prête, selon ses intérêts, tantôt à l'Autriche, tantôt à l'Espagne; Mantoue, la capitale des Gonzague, qui abrite les arts fugitifs, Mantoue, un musée, devenu, avec Venise, le dernier nid de l'Italie; Mantoue enfin, qui couvre à la fois la Toscane, le pape et Venise! —Vous ferez peut-être lever le siége de Cazal, mais vous ne sauverez pas Mantoue, m'écrit Gustave Adolphe! Ah! si je n'étais pas cardinal, si je ne relevais pas de Rome, je ne voudrais pas d'autre allié que Gustave-Adolphe! Mais le moyen de faire alliance avec les protestants du Midi? Si je pouvais réunir tout à la fois dans ma main le pouvoir spirituel et temporel. Légat à vie! et quand on pense que c'est un charlatan, un Vauthier, un sot, un Bérulle, qui empêchent un pareil projet de s'accomplir!

      Il se leva.

      – Et quand on pense encore, ajouta-t-il, que je les tiens toutes! la belle-fille et la belle-mère. Que je puis, quand je voudrai m'en donner la peine, avoir la preuve de l'adultère de l'une et de la complicité de l'autre dans le meurtre de Henri IV, et que, quand les paroles sont toutes prêtes à jaillir de ma gorge, j'étouffe, je ne parle pas, pour ne pas compromettre la gloire de la couronne de France.

      – Mon oncle! s'écria Mme de Combalet effrayée.

      – Oh! j'ai mes témoins, continua le cardinal, Mme de Bellier et Patrocle pour la reine Anne d'Autriche, la d'Escoman pour Marie de Médicis; j'irai la chercher dans son égout des Filles repenties, la pauvre martyre, et si elle est morte, je ferai parler son cadavre.

      Il marchait avec agitation.

      – Mon cher oncle, dit Mme de Combalet, en allant se mettre sur son chemin, ne parlez pas de tout cela ce soir, vous y penserez demain.

      – Vous avez raison, Marie, dit Richelieu, reprenant par la force de sa prodigieuse volonté toute sa puissance sur lui même. Qu'avez-vous fait aujourd'hui? D'où venez-vous?

      – J'ai été chez Mme de Rambouillet.

      – Que s'y est-il passé? Qu'a-t-on fait de beau? Qu'a-t-on dit de bien chez l'illustre Parthenis? dit le cardinal en essayant de sourire.

      – On a présenté un jeune poëte qui arrive de Rouen.

      – Ils tiennent donc manufacture de poëtes à Rouen. Il n'y a pas trois mois que Rotrou descend du coche.

      – Eh bien, c'est justement Rotrou qui l'a présenté comme un de ses amis.

      – Et comment l'appelle-t-on, ce poëte?

      – Pierre Corneille.

      Le cardinal fit un mouvement de tête et d'épaule qui voulait dire: Inconnu.

      – Et sans doute il arrive avec quelque tragédie en poche?

      – Avec une comédie en cinq actes.

      – Qui a pour titre?

      – Mélite.

      – Ce n'est point un nom historique.

      – Non, c'est un sujet de fantaisie. Rotrou prétend qu'il est destiné à effacer tous les poëtes passés, présents et futurs.

      – L'impertinent!

      Mme de Combalet vit qu'elle touchait une corde délicate; elle rompit les chiens.

      – Puis, ajouta-t-elle, Mme de Rambouillet nous a fait une surprise; elle a fait bâtir, sans rien dire à personne, en faisant passer maçons et charpentiers par-dessus les murailles des Quinze Vingts, un appendice à son hôtel, une chambre ravissante toute tendue en velours bleu, or et argent. Je n'ai encore rien vu d'aussi grand goût.

      – En désirez-vous une pareille? chère Marie; rien de plus facile; vous l'aurez au palais que je fais bâtir.

      – Merci. Il me faut, à moi, vous l'oubliez toujours, cher oncle, une cellule de religieuse, rien de plus, pourvu que ce soit près de vous.

      – Est-ce tout?

      – Pas tout à fait, mais je ne sais si je dois vous le dire.

      – Pourquoi cela?

      – Parce que dans le reste il y a un coup d'épée.

      – Des duels! des duels encore! murmura Richelieu. Je ne parviendrai donc pas à déraciner de la terre de France ce faux point d'honneur!

      – Cette fois, ce n'est pas un duel, c'est une simple rencontre. M. le marquis de Pisani a été rapporté à l'hôtel, évanoui à la suite d'une blessure.

      – Dangereuse?

      – Non, mais bien lui en a pris d'être bossu. Le fer a rencontré le sommet de sa bosse et, ne pouvant pénétrer, a glissé sur les côtes… Mon Dieu! comment donc, a dit le chirurgien? sur les côtes… imbriquées l'une sur l'autre, à travers les chairs de la poitrine et une partie du bras gauche.

      – Sait-on à quel propos le combat a eu lieu?

      – Il me semble que j'ai entendu prononcer le nom du comte de Moret.

      – Du comte de Moret! répéta Richelieu en fronçant le sourcil; il me semble que voilà bien des fois que j'entends prononcer ce nom-là depuis trois jours. Et qui a donné ce joli coup d'épée au marquis Pisani?

      – Un de ses amis.

      – Son nom?

      Mme de Combalet hésita; elle savait la sévérité de son oncle à l'endroit des duels.

      – Mon cher oncle, dit-elle, vous savez ce que je vous ai dit: ce n'est ni un duel, ni un appel, ce n'est pas même une rencontre, les deux adversaires se sont pris de discussion à la porte de l'hôtel.

      – Mais quel est le second? Je vous demande son nom, Marie.

      – Un certain Souscarrières.

      – Souscarrières, dit Richelieu, je connais ce nom-là!

      – C'est possible, mais je puis vous affirmer, mon cher oncle, qu'il n'est coupable en rien.

      – Qui?

      – M. Souscarrières.

      Le cardinal avait tiré ses tablettes de sa poche et les consultait.

      Il parut avoir trouvé ce qu'il cherchait.

      – C'est le marquis Pisani, continua Mme de Combalet, qui a tiré son épée et qui s'est jeté sur lui comme un fou: Voiture et Brancas, qui ont été témoins tous deux du fait, quoique amis de la maison, donnent tort à Pisani.

      – C'est bien l'homme que je pensais, murmura le cardinal.

      Et il frappa sur un timbre.

      Charpentier parut.

      – Faites venir Cavois, dit le cardinal.

      – Oh! mon oncle n'allez pas arrêter ce malheureux jeune homme et lui faire son procès! s'écria, en joignant les mains, Mme de Combalet.

      – Au contraire, dit le cardinal en riant, je vais peut-être faire sa fortune.

      – Oh! ne raillez pas, mon oncle.

      – Avec vous, Marie, jamais je ne raille. Ce Souscarrières tient, à partir de ce moment, sa fortune entre les mains, et ce qu'il y a de mieux, c'est que cette fortune, il vous la devra; c'est à lui de ne pas la laisser tomber.

      Cavois entra.

      – Cavois, dit le cardinal au capitaine des gardes, à moitié endormi, vous allez aller rue des Frondeurs, entre la rue Traversière et la rue Saint-Anne; vous vous informerez, dans la maison qui fait l'angle, si là ne demeure point un certain cavalier qui se fait appeler Pierre de Bellegarde, marquis de Montbrun, sieur de Souscarrières.

      – Oui, monseigneur.

      – Et s'il y demeure