Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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soit, qui dénote un fait en réserve pour l'avenir. Il avait souvent regardé un jeune chien et un jeune enfant jouant ensemble.

      En écoutant les sons inarticulés qu'ils échangeaient au milieu de leurs jeux et de leurs caresses, il avait souvent tenté de croire que l'animal essayait de parler la langue de l'enfant et l'enfant celle du chien.

      À coup sûr, quelle que fût la langue qu'ils parlaient, ils s'entendaient, se comprenaient, et peut-être échangeaient-ils ces idées primitives qui disent plus de vérités sur Dieu que n'en ont jamais dit Platon et Bossuet.

      En regardant les animaux, c'est-à-dire les humbles de la Création, en voyant l'air intelligent des uns, l'air doux et rêveur des autres, le docteur avait compris qu'il y avait un profond mystère entre eux et le grand tout. N'est-ce point pour établir ce mystère et pour les envelopper dans la bénédiction universelle qui descend sur nous et sur eux pendant cette sainte nuit de Noël, que le Seigneur, type de toute humilité, voulut naître dans une crèche, entre un âne et un bœuf? L'Orient, que Jésus touchait de la main, n'a-t-il pas adopté cette croyance, que l'animal n'est qu'une âme endormie qui plus tard se réveillera homme, pour plus tard peut-être se réveiller dieu?

      En un instant, ce monde de pensées, résumé de l'histoire et des travaux de toute sa vie, se présentèrent à l'esprit de Jacques Mérey; il comprit que, puisque le chien ne voulait pas quitter l'enfant, c'est que l'enfant et le chien ne devaient pas être séparés; que d'ailleurs, quelque régularité qu'il mît dans ses visites, il ne pouvait les faire que de deux jours en deux jours tout au plus; or, à son avis, un traitement continu, une surveillance de toutes les heures, étaient nécessaires pour tirer cette âme des ténèbres dans lesquelles un oubli du Seigneur l'avait plongée.

      Il rentra donc dans la cabane, et, s'adressant au braconnier et à la femme qui paraissait être sa mère:

      – Braves gens, leur dit-il, encore une fois, je ne vous demande pas votre secret sur cette enfant; vous avez évidemment fait pour elle tout ce que vous pouviez faire, et, de quelque main que vous l'ayez reçue, vous n'avez point trompé la main qui vous l'a confiée. C'est à moi de faire le reste. Donnez-moi, ou plutôt prêtez-moi cette petite fille, qui vous est un fardeau inutile; j'essayerai de la guérir et de vous rendre à la place de cette matière inerte et muette une créature intelligente qui vous aidera dans vos travaux et qui, en prenant place dans la famille, y apportera sa part de forces et de capacités.

      La mère et le fils se regardèrent alors, puis tous deux se retirèrent dans le fond de la cabane, discutèrent quelques instants, parurent se ranger au même avis, et le fils, revenant vers le docteur, lui dit:

      – Il est évident, monsieur, que vous êtes ici par l'intervention visible du Seigneur, puisque c'est ce chien que nous avions cru perdu et dont nous avions déjà fait notre deuil qui vous y a conduit. Prenez l'enfant et emportez-le. Si le chien veut vous suivre, qu'il vous suive et s'en aille avec l'enfant; la main de Dieu est dans tout cela, et ce serait une impiété de notre part de nous opposer à Sa volonté sainte.

      Le docteur déposa sur une table sa bourse et tout ce qu'elle contenait; il enveloppa l'enfant dans son manteau, et sortit accompagné du chien, qui, cette fois, ne fit aucune difficulté pour le suivre, et qui, plus joyeux qu'il ne l'avait jamais été, allait et revenait devant lui, flairant de son nez et donnant de petits coups de tête à l'enfant, qu'il ne pouvait voir, mais qu'il devinait dans son enveloppe; puis il repartait, aboyant avec la même fierté qu'un héraut d'armes qui proclame la victoire de son général.

      VI

      Entre chien et chat

      En voyant le chien si joyeux, le regardant avec des yeux si intelligents, lui parlant avec des accents si nuancés, le docteur s'affermissait plus que jamais dans l'idée de faire de ce chien qu'il avait sauvé l'intermédiaire intelligent, le lien actif entre sa volonté d'homme et le néant de la pauvre idiote qu'ils s'agissait de faire vivre.

      C'était un moyen de s'introduire en quelque sorte par surprise dans la place. Tout plein des mythes cabalistiques de l'antiquité, le docteur se demandait si les poètes n'avaient point entrevu cette initiation quand ils nous représentent Orphée passant à travers le triple aboiement du chien Cerbère avant d'arriver à Eurydice. Son entreprise offrait, suivant lui, plus d'un point de ressemblance avec la tentative du grand poète primitif. Il s'agissait de plonger au plus profond de cet enfer qu'on appelle l'imbécillité et de venir chercher une intelligence accroupie dans les ténèbres de la mort, et, comme Orphée avait fait pour Eurydice, la ramener malgré les dieux à la lumière du jour.

      Orphée avait échoué, il est vrai, mais parce qu'il avait manqué de foi. Pourquoi avait-il douté de la parole du dieu des enfers? Pourquoi s'était-il retourné pour voir si Eurydice le suivait?

      Ce fut dans cette disposition d'esprit que le docteur rentra chez lui et monta à son laboratoire.

      La vieille Marthe, qui avait eu déjà beaucoup de peine à s'habituer à Scipion, qui avait par sa présence inattendue effarouché son chat, voyant que son maître apportait quelque chose dans son manteau, et croyant que c'étaient quelques paquets d'herbes médicinales qu'il avait récoltées dans la montagne, le suivit, car c'était son office à elle de classer ces herbes avec des étiquettes.

      Le chat suivit la vieille.

      Ce chat, que Marthe la bossue avait d'abord appelé le Président à cause de sa belle fourrure, qui lui avait rappelé la robe d'hermine du président du tribunal de Bourges, qu'elle avait vu une fois en sa vie, avait été en effet fort effarouché de la présence de Scipion. Scipion, de son côté, avec l'instinct haineux des animaux de son espèce pour les chats, s'était élancé sur le Président et l'avait suivi sous les chaises et sous les fauteuils, culbutant tout le mobilier du docteur, jusqu'à ce que, trouvant une fenêtre ouverte, le chat se fût élancé par cette fenêtre, eût gagné les toits et disparu.

      Soit jalousie de voir sa place prise dans la maison, et par conséquent dans le cœur des maîtres de cette maison, soit terreur excessive éprouvée dans cette rencontre où les forces étaient inégales, le Président, dont la vocation n'était pas la guerre, et qui depuis longtemps même, grâce à la pâtée régulière que lui donnait, deux fois le jour, la vieille Marthe, avait renoncé à la faire aux rats et aux souris, et ne regardait plus ces animaux, lorsque par hasard ils tombaient sous sa patte, que comme un dessert indigne de lui, le Président fut trois jours sans daigner rentrer à la maison, bien que, chaque nuit on entendît ses miaulements plaintifs retentir sur le toit et même dans le grenier.

      Quoique Marthe la bossue n'eût point osé se plaindre, M. le docteur lui paraissant avoir droit de vie et de mort sur ce qui l'entourait, il s'était fait, à la suite de cette fugue du Président, un changement notable dans sa physionomie, et ce n'était qu'en soupirant qu'elle présentait le matin le café au lait à son maître et qu'en rechignant qu'elle trempait à midi la soupe de Scipion.

      Le docteur aimait l'harmonie pour l'harmonie elle-même, comme il haïssait la guerre à cause de ses résultats. Il vit qu'un des ressorts qui faisaient mouvoir les quatre personnages de sa maison s'était arrêté, soit par lassitude, soit par accident; il s'informa à la vieille Marthe de la cause de sa tristesse et, avec l'accent du reproche et en fondant en larmes, elle se contenta de montrer le fauteuil où le chat avait coutume de dormir, en s'écriant:

      – Le Président, monsieur le docteur!

      C'était l'heure de la soupe de Scipion et de la pâtée du Président. Jacques Mérey ordonna à Marthe d'aller préparer l'un et l'autre et de les apporter dans des récipients de différentes grandeurs.

      Marthe sortit, secouant les épaules, en femme qui dit:

      – Hélas! c'est bien inutile, ce que vous m'ordonnez là.

      Mais, comme elle était habituée à obéir sans discussion, elle se hâta de faire ce que lui ordonnait son maître.

      À peine avait-elle refermé la porte, que le docteur était sur le balcon et cherchait des yeux le Président.

      Comme la maison dominait toutes les autres et que le