Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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Mérey, qui, pareil à Pic de la Mirandole, pouvait parler sur toutes les choses connues et sur quelques autres encore, passa en revue tous les procédés dont les savants du Moyen Âge s'étaient servis pour créer un être à leur image; mais il trouva tous ces procédés ridicules, depuis celui qui couvait la génération de l'enfant dans une courge, jusqu'à cet autre qui avait construit un androïde d'airain.

      Tous ces hommes s'étaient trompés, ils n'avaient pas remonté aux sources de la vie.

      Malgré tant d'essais infructueux, le docteur ne désespérait point, voleur sublime, de rencontrer le moyen de dérober le feu sacré.

      Cette préoccupation avait étouffé chez lui tous les autres sentiments; son cœur était resté froid, et à l'état purement matériel de viscère chargé d'envoyer le sang aux extrémités et de le recevoir à son tour.

      C'était une nature de Dieu, incapable d'aimer un être qu'il n'aurait point créé lui-même. Aussi, seul et triste au milieu de la foule pour laquelle il n'avait pas de regards, ou n'avait que des regards distraits, il payait cher l'ambition de ses désirs.

      Comme le Seigneur avant la création du monde, il s'ennuyait.

      Ce jour-là, Jacques Mérey était assez content de la manière dont se comportait dans la cornue la dissolution d'un certain sel dont il étudiait les plus heureuses vertus curatives, quand trois coups précipités retentirent à la porte de la rue.

      Ces trois coups éveillèrent les miaulements furieux d'un chat noir, que les mauvaises langues de la ville, les dévotes surtout, prétendaient être le génie familier du docteur.

      Une vieille servante connue dans tout Argenton sous le nom de Marthe la bossue, et qui jouissait pour son compte d'une nuance d'impopularité inhérente à celle du docteur, monta tout essoufflée l'escalier de bois extérieur, et entra précipitamment dans le laboratoire sans avoir cogné à la porte, comme c'était l'usage formellement imposé par le docteur, qui n'aimait point à être dérangé au milieu de ses délicates opérations.

      – Eh bien! qu'avez-vous donc, Marthe? demanda Jacques Mérey; vous avez l'air tout bouleversé!

      – Monsieur, répondit-elle, ce sont des gens du château qui viennent vous chercher en toute hâte.

      – Vous savez bien, Marthe, répondit le docteur en fronçant le sourcil, que j'ai déjà refusé plusieurs fois de m'y rendre, à votre château; je suis le médecin des pauvres et des ignorants; qu'on s'adresse à mon voisin, au Dr Reynald.

      – Les médecins refusent d'y aller, monsieur; ils disent que cela ne les regarde pas.

      – De quoi s'agit-il donc?

      – Il s'agit d'un chien enragé, qui mord tout le monde; si bien que les plus braves garçons d'écurie n'osent pas l'aborder, même avec une fourche, et qu'il jette en ce moment la consternation chez le seigneur de Chazelay, car ce malheureux chien s'est réfugié dans la cour même du château.

      – Je vous ai dit, Marthe, que les affaires du seigneur ne me regardaient pas.

      – Oui, mais les pauvres gens que le chien a déjà mordus et ceux qu'il peut mordre encore, cela vous regarde, il me semble. Et, s'ils ne sont pas pansés immédiatement, ils deviendront enragés comme le chien qui les a mordus.

      – C'est bien, Marthe, dit le docteur, c'est vous qui avait raison et c'est moi qui avais tort. J'y vais.

      Le docteur se leva, recommanda à Marthe de bien surveiller sa cornue, lui ordonna de laisser aller le feu tout seul, c'est-à-dire en s'éteignant, et descendit dans la salle du rez-de-chaussée, où il trouva en effet deux hommes du château, qui, tout bouleversés et tout pâles, lui firent un sinistre récit des ravages que causait l'animal furieux.

      Le docteur écouta et répondit par ce seul mot:

      – Allons!

      Un cheval sellé et bridé attendait le docteur. Les deux hommes remontèrent sur les chevaux fumants qui les avaient amenés, et tous trois, ventre à terre, prirent le chemin du château.

      III

      Le château de Chazelay

      À deux ou trois lieues d'Argenton, la campagne change de caractère; des lambeaux de terre inculte que les habitants appellent des brandes, quelques champs recouverts d'une végétation chétive, des routes pierreuses encaissées dans des ravines et bordées de haies sauvages; çà et là, quelques monticules dont les flancs déchirés laissent apercevoir l'ocre dans laquelle vient se teindre en rouge l'eau murmurante des ruisseaux, telle est la physionomie générale des lieux que parcourait au galop la cavalcade.

      Trois chevaux étaient alors pour cette partie du Berri un luxe inouï; on ne connaissait à cette époque, dans cette bienheureuse province de la France, teintée encore aujourd'hui en gris foncé sur la carte de M. le baron Dupin, on ne connaissait, disons-nous, en fait de bêtes de somme, que l'attelage des anciens rois fainéants.

      Nos cavaliers rencontrèrent, en effet, dans un des chemins creux qu'ils parcouraient, une châtelaine des environs, dont le carrosse, traîné par un couple de bœufs, se rendait gravement et lentement à un souper de famille; il y avait un jour entier que la pesante machine était en route. Il est vrai qu'elle avait déjà fait près de cinq lieues.

      Enfin une noire futaie de tourelles se détacha sur le paysage un peu sec que le soleil noyait de ses rayons. Cette sombre masse, qui s'élevait de terre, prenait, à mesure qu'on s'en approchait, la beauté farouche de tous les monuments guerriers du Moyen Âge; sa construction pouvait remonter à la fin du XIIIe siècle. Un art puissant dans sa rusticité avait tracé les plans de cette demeure féodale, qui projetait son ombre immense sur le village, c'est-à-dire sur quelques pauvres maisons égarées çà et là parmi les arbres à fruits.

      C'était Chazelay.

      Le château de Chazelay était anciennement relié par une ligne défensive aux châteaux de Luzrac et de Chassin-Grimont, car les petits seigneurs cherchaient à s'appuyer sur leurs voisins pour se fortifier contre les entreprises des hauts et puissants vautours de la féodalité.

      Mais, à l'époque où se passe notre histoire, les guerres civiles avaient cessé depuis longtemps. De condottieri, les nobles étaient devenus chasseurs. Quelques-uns même, atteints de doute par la lecture des encyclopédistes, non seulement ne communiaient plus aux quatre grandes fêtes de l'année, mais lisaient le Dictionnaire philosophique de Voltaire, se moquaient de leur curé, raillaient une nièce illégitime, ce qui ne les empêchait pas d'aller à la messe le dimanche et de se faire encenser dans leur banc de chêne par les mains du célébrant.

      Mal à l'aise dans ces lourdes et rugueuses armures de pierre, la plupart des nobles de la décadence maudissaient l'art guerrier du Moyen Âge, et auraient volontiers jeté bas leurs châteaux, s'ils n'eussent été retenus par le respect des aïeux, par les privilèges attachés à ces vieux murs; enfin par les souvenirs de domination et de terreur que de tels édifices entretenaient dans l'esprit des paysans.

      Ils s'efforcèrent du moins d'adoucir et d'humaniser ces aires d'oiseaux de proie; les uns en retouchant la façade, les autres en remplaçant les meurtrières par des fenêtres ou des œils-de-bœuf, les autres enfin en supprimant les poternes, les ponts-levis, et les fossés remplis d'eau, où les grenouilles coassaient d'autant mieux que, depuis une dizaine d'années, les paysans se refusaient à les battre.

      Mais le château de Chazelay n'était point de ceux qui avaient fait des concessions; il était resté dans toute la poésie de son caractère sombre et taciturne; de petites tourelles latérales qu'on appelait des poivrières dominaient la porte d'entrée, piquée de dessins de fer et de gros clous à tête ronde; des bois de cerf, des pieds de biche et des traces de sanglier, fixés sur la porte épaisse, annonçaient que le seigneur de Chazelay usait largement de son droit de chasse.

      Cette exposition cynégétique se complétait par cinq ou six oiseaux de nuit, de toutes tailles, depuis la petite chouette jusqu'à l'orfraie. Cette société noctambule était présidée par un grand-duc