Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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enveloppé de sa fourrure tant soit peu souillée par les excursions nocturnes auxquelles il s'était livré depuis son départ de la maison.

      Le docteur appela le Président avec un sifflement tout particulier. L'animal, qui dormait, sentit pénétrer ce bruit au plus profond de son sommeil et tressaillit. Il ouvrit ses grands yeux jaunes, regarda autour de lui en s'étirant, bâilla à se démonter la mâchoire; mais, au milieu de son bâillement, il aperçut le docteur qui l'avait appelé.

      Soit que cette attention de son maître lui parût une réparation suffisante, soit que, comme les autres animaux, il ressentît l'influence irrésistible du magnétisme, il se mit à l'instant même sur ses quatre pattes et s'achemina vers le balcon.

      Le docteur rentra, appela Scipion à lui. Un des talents de Scipion était de faire le mort pour laisser passer l'infanterie et la cavalerie légère, ne se réveillant que lorsqu'on lui annonçait la grosse cavalerie. Le docteur lui montra son tapis et lui ordonna de faire le mort. Scipion se coucha et ferma les yeux.

      Au même moment, le Président montrait à l'angle du balcon sa tête fine, qui, malgré l'invitation du maître, n'était point exempte d'inquiétude.

      Jacques Mérey alla à lui, le prit dans ses bras, l'embrassa sur le front, ce qui ne lui était jamais arrivé, le caressa de la main, dirigeant sa caresse depuis l'occiput jusqu'à l'extrémité de l'épine dorsale, caresse à laquelle le Président fut si sensible, que le docteur le sentit frissonner sous sa main, du museau à l'extrémité de la queue; frémissement auquel succéda à l'instant même ce ronron particulier pour exprimer le bien-être porté à la plus haute puissance.

      Alors, il le coucha entre les pattes de Scipion, lui faisant un oreiller de l'une d'elles, tandis que de l'autre il lui enveloppait le corps comme une mère fait de son nourrisson. Les deux animaux, qui trois jours auparavant avaient voulu se dévorer – car, si la force était du côté de Scipion, la bonne volonté ne manquait pas au Président– , se trouvèrent nez à nez et tout émerveillés de leurs dispositions non seulement pacifiques, mais bienveillantes vis-à-vis l'un de l'autre.

      Ils étaient sous le charme de ce rapprochement lorsque Marthe entra tenant d'une main la pâtée du chat, et de l'autre la soupe du chien. Son étonnement fut si grand, qu'elle posa la pâtée du chat sur la table, pour faire le signe de la croix.

      Elle n'avait pas elle-même une confiance bien absolue dans la pureté de croyance de son maître, et chaque fois qu'elle lui voyait accomplir un acte qui lui paraissait dépasser les limites de la puissance humaine, elle commençait à tout hasard par se mettre en garde contre Satan, en dessinant entre elle et lui le signe de la croix.

      – Ah! monsieur! dit-elle en regardant le chien et le chat entre les pattes l'un de l'autre, en voilà encore un, de vos tours!

      – Donne à ces animaux leur déjeuner, et attends, dit le docteur, qui n'était pas fâché souvent d'apprécier, de ses propres yeux, l'effet que ce que le peuple appelle des miracles produisait sur les âmes vulgaires.

      Marthe obéit, mais son trouble était si grand, qu'elle déposa la pâtée du chat devant le nez du chien et la soupe du chien devant le nez du chat. Et, comme elle voulait réparer cette erreur:

      – Laisse faire, dit Jacques Mérey; chacun trouvera bien son écuelle.

      Alors, de ce sifflement avec lequel il avait réveillé le Président, il tira les deux animaux de leur sommeil factice, et, comme il l'avait prédit, Scipion fit un bond à gauche pour arriver à sa soupe, et le Président passa entre les jambes de Scipion pour arriver à sa pâtée.

      À partir de ce jour, l'harmonie la plus parfaite s'était rétablie et avait régné, à la grande satisfaction de Marthe, mais à la plus grande satisfaction encore de son maître, dans la maison du docteur.

      C'était donc avec une confiance en son maître qu'avaient encore augmentée les événements que nous venons de raconter, que Marthe suivait le docteur à son laboratoire, croyant lui voir rapporter sa moisson d'herbes ordinaire.

      Mais son étonnement fut grand, lorsque après avoir, avec toutes sortes de précautions, déposé son manteau à terre, le docteur en laissa tomber les quatre coins, et qu'elle vit que ce qu'elle avait pris pour des bottes d'herbes n'était rien autre chose qu'une enfant de sept à huit ans, qui resta immobile sur le parquet à l'endroit où l'avait déposée Jacques Mérey, et qui ne donna signe de vie par un mouvement quelconque que quand le chien accourut près d'elle et se fut mis à lui lécher le visage.

      – Ah! mon Dieu! qu'est-ce que c'est que ça? s'écria Marthe la tête en avant et les bras écartés.

      – Ça! dit le docteur avec son mélancolique sourire; ça! c'est une masse de chair sans âme, sans volonté, sans mouvement, oubliée par le Créateur parmi ces êtres difformes et incomplets auxquels il faut que la science rende ce que la nature a oublié de leur donner.

      – Jésus Dieu! monsieur le docteur, s'exclama Marthe, vous n'allez pas encore embarrasser, j'espère bien, la maison d'un pareil fétiche? C'est bon à mettre dans les grands bocaux qui sont à la porte des apothicaires, mais pas autre chose.

      – Au contraire, Marthe, dit Jacques Mérey, je vais la garder, et c'est toi qui plus particulièrement seras chargée de veiller sur elle. Pour commencer, tu vas aller acheter une baignoire de demi-grandeur, et tu vas savonner cette créature des pieds à la tête.

      Comme toujours, la vieille Marthe obéit. Une heure après l'ordre donné, la baignoire pleine d'eau, tiédie à point, recevait la petite créature, et la main exercée de Marthe la frottait du plus doux savon que l'on avait pu trouver.

      Le docteur assistait à cette toilette et y donnait toute son attention. L'enfant, en sortant de la cabane du bûcheron, était tellement salie par le contact des choses les plus immondes, qu'il était impossible de voir non seulement la couleur de ses cheveux, mais encore celle de sa peau.

      Peu à peu, sous la main de Marthe et au milieu de la mousse savonneuse, apparaissait un corps d'une blancheur mate et maladive, comme l'est celui des enfants qui ont été tenus enfermés.

      Il y a dans les atomes de l'air et dans les rayons du soleil ce que l'on pourrait appeler la couleur de la vie; les plantes qui n'ont ni air ni soleil poussent pâles et blanches, tandis que leurs sœurs qui jouissent des conditions ordinaires de la vie éclatent de toutes les couleurs qu'elles empruntent au prisme solaire.

      Il était difficile de dire, même quand le soin le plus scrupuleux eut présidé au débarbouillage de la figure, si l'enfant était belle ou laide. Aucun des traits n'était assez suffisamment arrêté pour qu'on le jugeât; l'œil qui s'entrouvrait à peine et dont on ne pouvait apprécier la grandeur, était cependant d'un beau bleu céleste; la bouche, mal dessinée, renfermait des dents assez belles, mais auxquelles la pâleur des lèvres ôtait toute valeur; les sourcils étaient plutôt indiqués par les tons de chair, qu'ils n'étaient marqués par l'arc velouté dont la femme sait tirer un si bon parti, qu'ils soient abondants ou non. Sa tête était à peu près dénudée de cheveux, excepté au cervelet, où quelques boucles d'un blond pâle indiquaient que, si cette créature devenait jamais une femme, elle se rattacherait à la douce race germanique par la couleur de sa chevelure.

      En somme, à part quelques engorgements au cou, aux aines et aux genoux, le docteur parut assez satisfait de l'état dans lequel il trouvait la pauvre petite abandonnée.

      Un des caractères de l'idiotisme, c'est la torpeur.

      La nature a fait à l'homme trois dons, et dans ce triangle elle a renfermé la vie.

      Ces trois dons sont la sensation, la volonté, le mouvement. L'homme éprouve, il veut, il agit. Ces trois actions s'enchaînent et ne peuvent se désunir. Du moment que l'homme n'éprouve pas, il ne peut pas vouloir, et, ne pouvant vouloir, il n'agit pas.

      L'idiot n'éprouve pas; de là la cause première de son immobilité.

      Ainsi, dans la cabane du braconnier, la pauvre enfant ne quittait jamais son lit, et restait des heures entières à rouler sur elle-même comme un animal, ou à se balancer comme