Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Duchaussois Pierre Jean Baptiste
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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durant dix-sept ans, que les parchemins.

      Ce fut cependant la cinquième année de ce régime que le Père Séguin demanda qu’on lui achetât des vitres. Mais trois ans se passèrent, et rien n’arriva: ou la lettre, ou l’envoi s’étaient donc égarés. Il renouvela sa démarche, et attendit encore trois ans. Cette fois point de délai: la caisse fut débarquée, solidement clouée et en bon état apparent. On l’ouvrit, pour y trouver toutes les vitres «en miettes». Pas un fragment de verre ne pouvait servir. L’année suivante, le père n’osa plus écrire, attendu que le coût des vitres cassées avait fait un trop grand vide dans son allocation, et qu’il avait des articles plus importants à demander. Heureusement, Mgr Clut vint à passer, en route pour l’Alaska; et, touché de la misère du missionnaire, il lui promit qu’il lui apporterait, à son retour, des vitres qu’il comptait obtenir d’un brave Canadien-Français, M. Mercier, commis du fort Youkon. Mgr Clut repassa par Good-Hope, le printemps suivant, avec la nouvelle que les vitres, données en effet par M. Mercier, avaient été emportées très loin dans les montagnes Rocheuses, mais qu’un matin, au lever précipité du campement, on les avait oubliées, et que l’on n’avait remarqué leur absence que l’après-midi, après avoir sauté un grand nombre de rapides qu’il était impossible de remonter. Mgr Clut voulut réparer cette déconvenue en envoyant un ordre pressant au lac la Biche. Il gagna une année, car, deux ans après, Mgr Faraud remettait les vitres au Père Ducot, qui se rendait à Good-Hope, avec la prescription très appuyée de ne pas les perdre de vue une seule minute, et de les porter lui-même, de ses propres mains, à tous les lieux de déchargement et de rechargement.

      La nuit du 14 septembre 1875, la brigade atterrissait au fort Good-Hope.

      Les 300 sauvages, éveillés par les coups de fusil de l’équipage, rallument les feux des bivouacs et donnent la fusillade de bon accueil. Le Père Ducot, tout au bonheur de toucher enfin le rivage de son apostolat, bondit à terre et court, au milieu de cette foule qui acclame le «nouveau petit priant», vers la maison du missionnaire.

      Malade, le Père Séguin n’avait pu sortir, mais il s’était levé. N’ayant point vu de prêtre depuis plus d’une année, il couvrit de larmes, en l’embrassant, son jeune confrère. Puis, aussitôt:

      « – Et les vitres! Les avez-vous?

      – Mais oui, mon Père; et j’ai veillé sur elles comme sur un trésor.

      – Où sont-elles? Les avez-vous apportées ici?

      – Oh! Je les ai laissées dans la barge.

      «Pauvre Père Séguin, continue le Père Ducot que nous citons maintenant mot à mot, il en devint blême! Puis, après quelques instants: «C’est fini! C’est perdu! Ils les auront encore cassées, en les jetant sur la grève!..» Il en était désolé. Rien ne put le rassurer. J’étais stupéfait moi-même de sa désolation, presque scandalisé. Pour quelques vitres de cinq sous pièce, me disais-je! Je ne comprenais rien à sa tristesse, alors. Mais, après quarante années de mécomptes de ce genre mille fois renouvelés, je sais ce que c’est que pareilles déceptions. Elles sont pires que la privation elle-même. Celui qui n’a pas passé par là ne le comprendra jamais… Cette fois, Dieu merci, tout ne fut pas perdu. Le lendemain de bon matin, la caisse arriva parfaitement intacte. Le Père Séguin en était tout radieux de joie.»

      Et le Père Ducot complète sa narration de 1916 par cette note marginale:

      «Ceux qui n’ont jamais été obligés d’habiter des maisons n’ayant d’autres fenêtres que des châssis couverts de parchemin, dans un pays froid comme le nôtre, n’ont pas une idée de ce que l’on souffre d’être privé de vitres. Mais les missionnaires du Nord-Ouest, et du Mackenzie en particulier, le savent par expérience. Ils savent apprécier les nombreux avantages de châssis garnis de verre, dans une maison. Elle est mieux éclairée en tous temps, le soleil y pénètre à ses heures, elle est plus chaude en hiver et on y est à l’abri du vent, il faut moins d’huile pour s’y éclairer, moins de bois pour s’y chauffer, il y gèle moins la nuit, et quelquefois pas du tout, on y peut éviter les courants d’air, chose impossible avec des châssis en parchemin. La solitude y est aussi moins triste, le travail plus aisé, la dévotion plus facile, et l’âme plus joyeuse.»

      Le bon père, qui excellait, comme on le voit, à énumérer les détails d’une situation, aurait pu ajouter que le missionnaire de l’âge de parchemin trouva plus d’une fois, en rentrant de ses voyages d’hiver, ses fenêtres dévorées par les loups, et sa cabane bourrée de neige par la tempête.

      CHAPITRE V

      LA LUTTE POUR LA VIE

      «Le grand obstacle». – De Mgr Clut à Mgr Breynat. – Nul secours du pays, ni des sauvages. – Qu’est-ce que jeûner? – Le sourire de la charité. – La Propagation de la Foi. – «Le travail de tous». – Pour «ne pas mourir de faim et de froid». – Les frères coadjuteurs Oblats. – Pêches d’automne et d’hiver. – Le Travailleur invisible.

      « – Quels sont les principaux obstacles au progrès de la foi?»

      A cette question, posée par S. E. le Cardinal Préfet de la Propagande, en 1880, dans une enquête générale sur l’état de leurs églises, aux évêques missionnaires, Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, répondit:

      « – Le grand obstacle au bien, que nous ne surmonterons jamais suffisamment, c’est la pauvreté. C’est toujours elle qui paralyse notre zèle et nous arrête dans une foule d’œuvres qu’il nous faudrait entreprendre… Un autre grand obstacle, c’est la mauvaise santé des missionnaires. Bien que le pays soit sain, les missionnaires ont tant à souffrir, dans leurs longs voyages surtout, de leur nourriture repoussante et parfois insuffisante, ainsi que de travaux manuels au-dessus de leurs forces, qu’après avoir passé dix ans dans le pays, ils sont, bien que jeunes encore, accablés de douleurs et d’infirmités, et dans l’impossibilité de rendre les services auxquels leur expérience les rendrait propres…»

      Le diocèse de Mgr Grandin se trouvait alors le plus voisin des commodités de la civilisation.

      Que répondit à la même question le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie, dont le territoire ne commençait qu’au nord de Saint-Albert?

      Nous l’ignorons. Mais, à défaut du document qui nous eût été si précieux, c’est à foison que l’on citerait les lettres adressées par les missionnaires de l’Extrême-Nord à leurs supérieurs pour les renseigner simplement sur la condition de leurs chrétientés. Nous les laisserons dans l’ombre, peut-être dans l’oubli, d’accord certainement avec le souhait de leurs auteurs, qui mirent plus de prix aux conquêtes qu’ils eurent le bonheur de faire au Royaume de Dieu, et qu’il nous faut raconter, qu’à la somme des souffrances que ces conquêtes leur ont coûté.

      Bornons-nous, pour les temps passés, au témoignage particulier de Mgr Clut, l’évêque auxiliaire d’Athabaska-Mackenzie. Il écrit de la mission de la Nativité, sur le lac Athabaska, mission la plus méridionale du vicariat:

      …11 mars 1874… Les lettres d’Europe et du lac la Biche sont enfin arrivées. On les attendait avec une vive impatience depuis le 20 février, leur époque ordinaire. Partout, on ne parle que de progrès. Ici, dans notre pauvre Nord, nous allons en sens inverse…

      En somme, les nouvelles étaient bonnes. Il n’y a qu’une chose qui m’a bien contrarié: c’est que je puis conclure que nos missions vont être dépourvues de tout, au moins durant une année, et que, de plus, elles ne recevront peut-être pas un sac de farine entre elles toutes. Déjà, l’année dernière, nous n’avions reçu que bien peu de marchandises et point du tout de farine. Nous étions donc déjà en profonde disette, et nous le serons bien plus cette année. La raison en est que nous ne recevons que maintenant les commandes faites lors de la guerre. Nous redoutions alors de manquer de fonds nécessaires, et nous les avions réduites de moitié. L’année 1874 même, nous n’avions rien commandé, de sorte que le peu qui devait nous arriver en 1873 a été réparti en deux ans. C’est