SCÈNE VIII
Je ne suis pas fâché d'avoir éloigné Édith. Mes chers amis, sachez que je suis au comble de mes vœux.
Bah!
Cela ne vous étonne pas de voir que le capitaine sollicite gravement un rendez-vous au lieu de venir comme d'habitude?
En effet.
Moi pas. Il va te demander la main d'Édith. Tu la lui donneras et tu feras bien. C'est un brave garçon.
Tu marierais ta fille avec cet artilleur?
Certainement!
Mon frère, vous allez!..
Eh bien, oui. Je suis ton frère; tout le monde le sait. Ce n'est pas la peine de le répéter… Tu ferais bien mieux de me tutoyer. D'ailleurs, depuis un mois, j'indiquais à Daniel par tous les moyens possibles que sa recherche serait agréée. Il avait l'air de ne pas comprendre. On eût dit qu'il n'osait pas.
Quand on n'ose pas… c'est mauvais signe.
Allons, voyons, ma bonne amie…
Et ce sera de ta faute, s'il arrive un malheur. Je t'avais prévenu. Tu as accueilli ce M. Daniel presque sans le connaître.
Sans le connaître! Il est capitaine à vingt-cinq ans!
La belle avance! Othello était amiral: ça ne l'a pas empêché d'assassiner sa femme!
O Shakespeare!
Tu lui as ouvert ta maison sans avoir eu le temps de l'apprécier.
Je l'apprécie, puisque je sais qu'il est millionnaire.
C'est un garçon hautain, cassant, incapable d'éprouver des sentiments passionnés. Il a fait un traité sur l'hérédité physique et morale!
Et puis pas romanesque.
Il manque de surface. Où est sa famille? On ne l'a jamais vue. Daniel! Il s'appelle Daniel!.. Est-ce que c'est un nom, ça? Ce garçon est, j'en jugerais, d'une famille de paysans, enrichie dans le commerce des bestiaux. Belle alliance pour ma nièce!
Assez, Césarine!
Godefroy!
Tu peux t'indigner, me maudire et même me déshériter, cela m'est, parbleu! bien égal. Daniel!.. tout court, tu entends?.. Daniel me plaît; c'est un homme de cœur, estimé de ses chefs, aimé de ses amis. Si Édith le trouve à son goût, c'est une affaire réglée. Certes, je soupçonne bien qu'il ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Je suis de ton avis sur ce point-là; une fois n'est pas coutume. Cette tante qu'il nous amène est, j'imagine, une vraie paysanne, probablement enrichie dans le commerce des bestiaux, comme tu dis. Est-ce que nous sommes des Montmorency, nous autres? D'ailleurs, tu connais mes idées. Je t'ai mille fois répété que j'étais un homme indépendant, au-dessus des préjugés. Je prendrai le capitaine pour gendre, si, comme je l'espère, Édith y consent. Tant vaut l'intelligence, tant vaut l'homme.
Quand l'homme vaut un million!
Mon compliment. Tu as parlé trois minutes sans dire une bêtise.
Le capitaine Daniel!
Enfin!
SCÈNE IX
Vous voici donc, mon cher!
Monsieur… (Saluant Césarine.) Je vous présente mes hommages, mademoiselle.
Vous êtes bien bon, monsieur. (Elle le lorgne.) Édith l'aime… Il n'a pourtant rien d'extraordinaire.
Madame votre tante est arrivée avec vous?
Oui, monsieur.
J'espère que nous aurons bientôt le plaisir de la connaître. Mais pourquoi diable me demander un rendez-vous de façon solennelle? Est-ce que ma maison ne vous est pas ouverte?
C'est que j'ai à vous parler de choses graves.
Un entretien particulier?
Oui, monsieur.
Je vois que je suis de trop et je me retire.
Non, mademoiselle; vous êtes la sœur de M. Godefroy, et, comme telle, je vous prie de vouloir bien rester.
Je vous laisse. (A Daniel.) Vous savez que je vous suis acquis, mon cher capitaine. Si vous avez besoin de moi…
Je le sais, monsieur, et vous remercie du fond du cœur.
SCÈNE X
Maintenant que nous sommes entre nous, mon cher ami… Mais asseyez-vous d'abord, je vous prie.
Quand j'ai eu l'honneur de vous être présenté, il y a deux mois, au bal de la Préfecture, vous avez été assez bon pour m'accueillir de tout cœur. Votre maison m'a été ouverte. Puis, les semaines ont passé, et un jour j'ai senti que je n'avais pu voir mademoiselle votre fille sans l'aimer…
J'étais sûr qu'il allait faire sa demande!
Décidément, il n'a rien d'extraordinaire.
Avant d'aller plus loin, monsieur, permettez-moi de vous adresser une question. Dans mes rapports avec vous, ai-je agi autrement que ne doit le faire un galant homme?
Quelle idée!
C'est que plusieurs fois j'ai voulu causer avec vous de ma position, de ma fortune, de ma famille…
C'est inutile.
Permettez-moi d'insister.
C'est inutile, vous dis-je! Vous êtes riche, bien de votre personne, officier, décoré, dans une situation superbe…
Vous m'avez toujours interrompu de cette manière-là! Pourtant aujourd'hui il faut que nous abordions cette question. Ma tante, madame Dubois, est arrivée ce matin à Montauban. Elle viendra vous adresser officiellement une demande en mariage. Auparavant…
Auparavant, je n'ai rien à apprendre. Votre vie est au grand jour, n'est-il pas vrai? Vous aimez ma fille, et j'espère qu'elle vous aimera. Que faut-il de plus? Vous êtes d'une famille de paysans, hein? Je l'ai deviné. Que m'importe! Je suis un homme indépendant, au-dessus des préjugés! C'est vous qu'Édith épousera, non votre famille. Si vous étiez pauvre, je vous la donnerais tout de même. (Césarine tousse très fort. Godefroy reprend, avec dignité.) Tu dis?
Je ne dis rien, je tousse. Continue.
J'ajouterai même que je voudrais que vous