Madame Corentine. Bazin René. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bazin René
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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plus s'entendre, et poussant chacune ses réflexions dans un sens différent, avec la conviction grandissante d'avoir raison.

      Aux approches de Saint-Aubin, le premier mouvement des promeneurs débouchant de tous les vallons voisins, la corne d'un mail sonnant sous les branches, je ne sais quoi de frais qui se lève le soir et porte à l'action, ranimèrent la causerie interrompue. Simone redevint gaie, confiante, volontiers rieuse. Madame L'Héréec elle-même semblait avoir oublié l'incident de l'après-midi, et se plaignait seulement d'être lasse.

      Quand les deux femmes descendirent du train, à Saint-Hélier, le soleil était déjà couché. Elles tournèrent à gauche, par Conway Street, embrumée, morne, marquée de la désolation des dimanches anglais, s'engagèrent dans King Street, et s'arrêtèrent devant une maison assez jolie, plus blanche que les voisines, ornée de fenêtres géminées. Un magasin, fermé comme les autres, barrait de noir le rez-de-chaussée. Au-dessus, on lisait: «A la Lande fleurie», et, en lettres plus petites, de chaque côté: «Bijoux et émaux, souvenirs et articles de Jersey.» Elles entrèrent. Une servante jersiaise, toute jeune, coiffée d'un bonnet qui faisait pyramide sur sa face rose, vint à leur rencontre, un bougeoir à la main.

      – Personne n'est venu me demander, Anie?

      – Non, madame. Une lettre seulement, ce matin, après le départ du train.

      Madame L'Héréec examina rapidement l'enveloppe, timbrée de Perros-Guirec, reconnut l'écriture, et mit la lettre dans sa poche, avec un mouvement de tête qui signifiait: «Oui, je vois ce que c'est. J'ai le temps de la lire.» Elle monta au premier, suivie de Simone, soupa légèrement de thé et de gâteaux, et s'installa aussitôt dans sa chambre, devant son métier à tapisserie, tandis que la jeune fille s'asseyait en face, et posait un livre sur ses genoux. Leurs places étaient celles de tous les soirs, devant la fenêtre; leurs deux visages, inclinés sous le grand abat-jour crème de la lampe, avaient cette fixité sérieuse que donnent les veillées, quand personne n'est attendu. Madame L'Héréec, ne voulant pas travailler ce soir-là, avait pris une plume, et s'était mise à repasser à l'encre de Chine des parties à demi effacées du dessin, pour occuper l'activité de ses mains adroites et fines.

      Elle faisait deux ou trois traits, à petits coups, et se renversait en arrière, pour juger de l'effet. Simone lisait, les paupières baissées, sans hâte, marquant d'un sourire aussitôt effacé des passages qui lui plaisaient.

      Pauvre madame Corentine L'Héréec! ceux qui l'avaient vue autrefois l'auraient facilement reconnue. Elle avait à peine vieilli: toujours le même teint de blonde, la même mine chiffonnée, dont l'expression naturelle était le rire, les lèvres minces, mobiles sur de petites dents blanches, le nez court, et ces jolis yeux bleus, peu profonds, mais si vivants! C'étaient les mêmes cheveux ondés, de couleur cendrée, presque trop abondants, qu'elle tordait et attachait très bas sur la nuque. La finesse du cou ne s'en voyait que mieux, un cou d'enfant, d'une pâleur bleuissante par endroits, et qui sortait élégamment de la robe noire échancrée, comme jadis du col blanc de la Perrosienne.

      Oui, ceux de Perros-Guirec et de Lannion, les gens de son enfance et de sa première jeunesse l'auraient retrouvée: mais ils auraient perdu sans doute quelques-unes de leurs préventions, en voyant cette chambre de King Street. La propriétaire de la Lande fleurie, arrivée dans l'île avec le mince capital de sa dot restituée, avait su, grâce à une entente parfaite du goût moyen, du caprice banal et limité du touriste, monter une sorte de bazar qui avait réussi, chose étonnante, près du double public anglais et français. On ne venait pas à Jersey, de Southampton ou de Saint-Malo, sans acheter un bijou en granit de l'île ou une canne de chou à la Lande fleurie. Elle passait pour riche. On l'avait connue dépensière. Et cependant, autour d'elle, aucune recherche d'ameublement. Les chaises, l'armoire à glace, la table à ouvrage en tuya qui portait la lampe, étaient celles mêmes qui ornaient sa chambre de jeune fille, et que le notaire avait inventoriées, après la séparation de corps, parmi les «reprises» de la femme. Le tapis qui couvrait la table du milieu, un cachemire démodé, avait fait partie de sa corbeille de noces. Il était là, intact et comme neuf, rappelant une période dont les séparés, d'ordinaire, ne collectionnent pas les reliques. Elle ne l'avait pas remplacé, par économie. Aurait-on cru cela de cette petite évaporée, qui avait fait pousser des cris de paon à toutes les respectables bourgeoises de Lannion? Aucun luxe pour elle-même. La chambre de Simone, qui ouvrait sur celle où veillaient les deux femmes, avait tout pris, parce qu'elle enfermait tout l'amour et toute la joie de la maison. Par l'entre-bâillement de la porte, on apercevait un lit à rideaux de satin bleu, traversés de bandes de guipure, et une glace biseautée où se reflétaient un monde de bibelots, à peine distincts dans la demi-obscurité, mais qu'on devinait jolis et bien rangés.

      C'était l'exil, en somme, et presque le désert, cette vie à Saint-Hélier. Il était facile de voir que l'appartement ne recevait pas de visites, qu'il abritait deux existences et non une famille. Quelque chose y manquait: la présence d'un homme, ou du moins ces portraits, ces photographies souvent communes, jaunes, presque ridicules, mais qui disent le passé honorable, et reconstituent l'ensemble providentiel autour de la veuve et des orphelins.

      Les deux femmes se taisaient. Dehors il faisait triste. Sur les vitres, car les contrevents n'étaient pas fermés, la brume pesait. Elle glissait, en masses lentes et lourdes, chassées dans le sens de la rue, et les lumières des maisons en face semblaient entourées de ouate. Pas une rumeur ne montait de la ville. Jusque dans la chambre close une sorte d'humidité énervante et malsaine se glissait. Oh! cette brume jersiaise, comme elles étaient lasses de la respirer! Et voilà que, dans l'universelle torpeur du soir, les cloches d'un temple voisin se mirent à carillonner. Elles chantaient bien, alternant ou fondant leurs sons qui s'atténuaient dans l'air humide, et arrivaient comme une musique, comme un de ces appels imprévus de la vie extérieure qui rompent le rêve.

      Madame L'Héréec posa un coude sur le bois du métier, et regarda sa fille qui lisait. Ses pensées l'avaient sans doute conduite vers des lointains douloureux de passé ou d'avenir.

      – Ma Simone! dit-elle tendrement.

      La jeune fille leva les yeux, et sourit. C'était sa réponse accoutumée aux avances maternelles. Elle souriait, et toutes deux reprenaient leur travail, s'étant dit, une fois de plus, qu'elles s'aimaient.

      Seulement il y a des jours où cela ne suffit pas.

      – Ma Simone, répéta madame L'Héréec, viens m'embrasser, j'en ai besoin, ce soir… là, tout près…

      Simone se redressa, d'un mouvement souple, posa le livre sur la table, et vint s'asseoir tout près de madame L'Héréec, sur une chaise basse. Et la mère attira cette belle tête brune, l'enveloppa de ses bras, l'appuya contre sa poitrine que soulevait une émotion longtemps contenue, se pencha toute blonde au-dessus, et la baisa, la caressa, s'interrompant pour dire:

      – Dis, ma Simone, tu m'aimes bien?

      – Oh! oui, maman!

      – Beaucoup?

      – De tout mon cœur.

      – Tu ne veux pas me quitter?

      – Mais non!

      – Répète-le-moi. Dis-moi que tu te trouves bien ici, dans notre maison, avec ta mère.

      – Sans doute, maman, je suis très heureuse. D'où vous viennent des idées pareilles?

      Elle aurait voulu se dégager, mais sa mère la retenait, s'attendrissant sur elle-même et pleurant de grosses larmes.

      – Non, reste! Si tu savais! si tu savais! Ma Simone, tu m'as fait de la peine tantôt… Tu n'aurais pas dû écrire en cachette.

      – En cachette! Je vous l'ai dit tout de suite!

      – Sans me prévenir, si tu veux… C'est cela qui m'a fait de la peine.

      Simone, sentant l'étreinte se relâcher, passa la main sur ses cheveux que les caresses de sa mère avaient mis en désordre, et, redressée, tournée vers madame L'Héréec:

      – Voyons, maman, si j'avais demandé la permission d'écrire, surtout d'écrire mon nom, vous