En France il n'y a pas de mari,
Quoique bien fait et bien joli,
Qui n'ait pour sa devise,
Hé bien,
Les armes de Moïse 124,
Vous m'entendez bien.
Ces esprits médisants sont la cause que plusieurs de ces jolies demoiselles n'ont pas encore goûté les douceurs de l'hymen; mais elles ne doivent pas en savoir mauvais gré à madame de Maintenon, car elle n'épargne ni ses soins ni son crédit auprès du Roi pour les faire réussir, puisque nous avons vu qu'elle a fait donner des compagnies et des majorités125 d'infanterie à quelques-uns des galants de ces demoiselles, pour faire avancer leur mariage. Quoi qu'il en soit, c'est une commodité pour le Roi, qui peut se satisfaire et se divertir sans grand'peine, et à petits frais, dans ce temps de guerre, où l'argent est si nécessaire pour l'entretien des armées de notre héros126.
Mais laissons Jupiter préparer des foudres contre ses ennemis, pour nous attacher à une matière plus conforme à notre sujet que la guerre, qui est ennemie déclarée de la galanterie et la meurtrière de l'amour.
LE DIVORCE ROYAL
OU
GUERRE CIVILE DANS LA FAMILLE DU GRAND ALCANDRE
Depuis que le grand Alcandre a commencé à travailler avec tant de zèle et d'application à réunir les deux religions qui partageoient son royaume127, quoique ce dessein fût l'entreprise d'un grand prince dont l'unique gloire étoit de laisser à la postérité une œuvre digne de sa grandeur, cependant le succès n'a pas répondu à ses attentes, et, au lieu de procurer à son royaume une paix perpétuelle par cette réunion, elle a plutôt mis le feu aux quatre coins de la France, qui a ressemblé à une maison embrasée, de laquelle se sauve qui peut128. Grand nombre de personnes, ne voulant pas être forcées, aimèrent mieux tout quitter et se sauver que de s'accommoder à la religion du Roi; plusieurs tombèrent dans les filets que l'on leur avoit tendus aux frontières pour les empêcher de déserter, ce qui fit que d'autres aimèrent mieux rester que de se commettre à un châtiment très rude en cas qu'ils fussent pris. Cependant, sous main chacun employoit son crédit, ses amis et son argent proche des catholiques qui avoient quelque pouvoir, pour tâcher d'obtenir des passeports. Mademoiselle M. D. fut une de celles qui, craignant les mauvaises suites du couvent, ne voulurent pas se hasarder à partir sans passeport. Elle eut assez d'adresse et d'amis pour s'introduire chez madame de Montespan, où elle sut si bien faire, qu'elle la persuada à s'employer pour elle, cette dame étant bien aise de s'attirer par là l'estime d'un grand nombre de personnes de la religion prétendue réformée, et leur faire connoître, par ce petit service, qu'elle n'avoit aucune part à toutes les violences qui se commettoient dans les provinces, ni aux excès dont on accuse les dragons: Poco di bene, e poco di male. Madame de Montespan ayant donc pris résolution de s'employer tout de bon pour cette demoiselle, elle rêva assez longtemps comme elle s'y prendroit pour en venir à bout, connoissant la conscience tendre de Sa Majesté et sa délicatesse sur ce sujet, lequel croit qu'autant de personnes à qui il donne congé, ce sont autant d'âmes qu'il laisse échapper du paradis. Aussi ne fait-il rien sur semblables affaires qu'il n'ait consulté son conseil de conscience, qui ne l'abandonne que fort peu129. Madame de Montespan crut donc qu'il falloit en prévenir le R. P. La Chaise130, qui est considéré présentement en cour comme le lieutenant de saint Pierre; et c'est presque lui seul qui ouvre et ferme le paradis du côté de France. Pour ce faire, cette bonne dame crut qu'elle ne pouvoit mieux s'adresser qu'à madame de Maintenon, laquelle, par humilité, se dit fille indigne de la vénérable société131; et comme elle avoit autrefois été sous elle et mangé de son pain, elle crut aussi qu'elle ne refuseroit pas de s'employer avec chaleur pour son ancienne maîtresse, qui avoit été la cause première de la fortune dont elle jouit présentement. Mais elle se trouva trompée, car, comme dit le proverbe, Honores mutant mores132; elle ne répondit pas à l'attente de son ancienne patronne, comme nous verrons dans la suite dans une conversation qu'elles eurent ensemble, que je mettrai ici au long pour la satisfaction du lecteur curieux qui sera bien aise d'être informé de ces petits démêlés, que souvent l'on n'ose pas mettre au jour. Je ne veux pas vous promettre de pouvoir vous rapporter ici mot pour mot tout ce qu'elles se dirent l'une à l'autre dans cette visite, mais bien de vous en rapporter le plus essentiel et les principales circonstances.
Madame de Montespan prit un prétexte pour aller voir madame de Maintenon, qui étoit un peu incommodée et gardoit la chambre ce jour-là. Voici ce qui s'y passa:
Madame de Maintenon fit l'ouverture, et demanda quelles bonnes affaires lui procuroient l'avantage de sa présence; à quoi madame de Montespan répondit qu'un motif de charité l'avoit obligée à la venir prier en faveur d'une pauvre demoiselle huguenotte, qui souhaiteroit de s'aller retirer en Suisse, proche de ses parents; et comme elle n'osoit se hasarder de sortir du royaume sans la permission du Roi, elle désiroit de pouvoir obtenir un passeport; mais comme elle savoit fort bien que Sa Majesté étoit délicat sur ces sortes d'affaires, et qu'il n'en feroit rien sans consulter son conseil de conscience, avant de lui en parler, qu'elle souhaiteroit que madame de Maintenon lui fit la faveur d'en dire un mot au Père La Chaise, afin de le prévenir avant que le Roi lui en parlât. Madame de Maintenon lui répliqua qu'elle avoit raison de croire que le Roi étoit délicat sur ce chapitre-là, «et je ne crois pas même, lui dit-elle, que vous feriez bien de lui en parler, puisque c'est vous commettre à un refus dont vous pourriez avoir de la mortification dans la suite.»
Cette espèce de conseil ne plut pas à madame de Montespan, qui lui répondit d'un ton assez fier qu'elle ne venoit pas là pour demander conseil, parce qu'elle se croyoit assez capable et assez grande pour le prendre d'elle-même; mais, poursuivit-elle, je viens pour vous prier d'en dire un mot au Père La Chaise, afin qu'il y donne les mains.
Madame de Maintenon, qui se sentit piquée de cette brusque repartie, lui demanda pourquoi elle vouloit qu'elle parlât au Père La Chaise plutôt qu'elle, puisqu'elle le connoissoit aussi particulièrement qu'elle, et le pourroit faire elle-même. «La raison, dit madame de Montespan, en est aisée à donner: c'est, dit-elle, que je vous crois mieux dans son esprit que moi, et qu'au dire du Père, vous êtes une sainte, et moi une grande pécheresse, comme je l'avoue aussi.»
Madame de Maintenon, qui a de l'esprit, et qui voyoit bien où tout ceci alloit, et qui auroit été bien aise de finir la conversation, lui dit: «A quoi bon, madame, tout ce détail de sainteté? – A vous faire connoître, continua madame de Montespan, que je sais fort bien ce que vous pouvez, et qu'étant fille de la société, il y a toujours plus de grâce pour une enfant sage et obédiente133, comme je crois que vous êtes, que pour une étrangère. – Puis, dit madame de Maintenon, que vous me croyez sage et obédiente, je vous dirai que le Père m'a défendu de lui parler jamais de ces sortes d'affaires. – Je comprends bien, dit madame de Montespan, par vos discours, que vous n'en voulez rien faire; vous feriez mieux, continua-t-elle, de me parler catégoriquement, oui ou non.
– Je n'ai pas d'autre réponse à vous donner, lui dit madame de Maintenon, sinon que vous auriez pu vous éviter la peine