Oui, je rêverai que nous devons nous retrouver un jour, etc.
on doive avouer qu'il règne un ton général de scepticisme, c'est un scepticisme mélancolique qui excite plus de sympathie que de blâme; car, au milieu de ses doutes mêmes, on découvre un fond de piété ardente qu'ils ont obscurcie sans pouvoir l'étouffer. Pour me servir des propres paroles du poète dans une note qu'il avait eu d'abord intention de placer au bas de ces stances: Qu'on veuille observer que c'est ici un scepticisme de découragement et non de dérision; distinction qu'il ne faut jamais perdre de vue: car, quelque désespérée que soit la conversion de l'infidèle qui se moque, celui à qui ses doutes sont pénibles a encore au dedans de lui-même les semences de la foi.
En même tems que Childe-Harold, il avait trois autres ouvrages sous presse: ses Imitations d'Horace, la Malédiction de Minerve, et la cinquième édition des Poètes anglais et les Journalistes écossais. La note de ce dernier poème, qui avait été la cause heureuse de notre liaison, disparut et fut remplacée par quelques mots d'explication qu'il eut la bonté de me soumettre auparavant.
Au mois de janvier, les deux chants du Childe-Harold se trouvant imprimés, quelques amis du poète, M. Rogers et moi entre autres, fûmes favorisés de la lecture des épreuves. Lord Byron, parlant de cette époque dans ses souvenirs, cite comme l'un des mauvais présages qui précédèrent la publication de cet ouvrage, que quelques hommes de lettres de ses amis, auxquels il avait été montré, avaient exprimé des doutes sur son succès; et que l'un d'eux avait même dit que c'était trop bon pour le siècle. Qui que ce soit d'entre nous qui ait avancé cette opinion, et je soupçonne que je pourrais bien être le coupable, le siècle, il faut l'avouer, a glorieusement réfuté cette calomnie sur la justesse de son goût.
C'est dans les mains de M. Rogers que je vis d'abord les épreuves, et que je jetai un coup d'œil rapide sur un petit nombre de stances qu'il m'indiqua comme particulièrement remarquables. J'eus occasion d'écrire le même jour à Lord Byron; je lui exprimai fortement toute l'admiration que cet avant-goût de son ouvrage avait excitée en moi; et voici la réponse que j'en reçus, du moins quant à la partie littéraire.
LETTRE LXXXIII
29 janvier 1812.
Mon Cher Moore,
«J'aurais bien désiré vous voir: je suis dans un déluge de tribulations ridicules.
..............................
..............................
»Pourquoi dites-vous que je n'aime pas vos vers? Je n'ai jamais imprimé ni exprimé d'aucune manière une telle opinion. Voulant écrivailler moi-même, il fallait bien que je trouvasse quelque chose à redire aux ouvrages des autres; je me rejetai sur la vieille accusation d'immoralité, faute de mieux, et aussi parce qu'étant moi-même un modèle de pureté, il m'appartenait d'enlever cette paille de l'œil de mon prochain.
»Je vous suis obligé, très-obligé de votre approbation; mais, en ce moment, des éloges, même de votre part, ne font aucune impression sur moi. J'ai toujours été et suis encore dans l'intention de vous envoyer un exemplaire dès que l'ouvrage paraîtra; pour l'instant, je ne puis songer à rien autre chose qu'à cet être infernal, trompeur et charmant, la femme, comme le dit M. Liston 15, dans le Chevalier de Snowdon.
»Croyez-moi toujours, mon cher Moore, votre, etc., etc.»
Note 15: (retour) Acteur extraordinaire dans l'emploi des bas comiques. Il doit à sa laideur une partie de son extrême popularité; et, comme MM. Potier et Odey; il a le privilége de faire rire aux larmes, avant même d'ouvrir la bouche.(N. du Tr.)
Les passages omis ici offrent la narration un peu trop amusante des troubles qui venaient d'éclater à Newsteadt par suite de la mauvaise conduite d'une des servantes de la maison, que l'on soupçonnait un peu trop avant dans les bonnes grâces de son maître, et qui, par les airs de supériorité qu'elle se donnait à l'égard de ses camarades, les avait disposés à peu d'indulgence envers elle. Les principaux personnages dans cette lutte furent cette sultane favorite et le jeune Rushton. Le premier point en litige, bien que dans la suite d'autres griefs plus importans se présentassent contre la dame, fut de savoir si le jeune Rushton était obligé, d'après son ordre, de porter des lettres à l'autre extrémité du domaine. Je n'aurais pas fait ici la moindre allusion à un épisode de cette nature, si ce n'était à cause des deux lettres suivantes. Il est curieux d'y voir avec quelle gravité et quel sang-froid le jeune lord s'établit juge dans cette contestation; avec quelle délicatesse il penche en faveur du serviteur dont il a éprouvé l'attachement et la fidélité, au lieu d'écouter la partialité qu'on aurait pu lui soupçonner pour une servante qui ne paraissait pas alors lui être absolument indifférente.
LETTRE LXXXIV
21 janvier 1812.
«Bien que je ne trouve pas mauvais que vous refusiez de porter des lettres à Mealey, vous voudrez bien avoir soin qu'elles y soient portées en tems utile par Spero. Je dois aussi vous faire observer que Suzanne doit être traitée civilement, que je ne veux point qu'elle soit insultée par personne de ma maison, et même par qui que ce soit tant que j'aurai le pouvoir de la protéger. Je suis réellement désolé que vous me donniez sujet de me plaindre de vous: j'ai trop bonne opinion de votre caractère pour croire que vous fournissiez l'occasion de nouveaux reproches, d'après le soin que j'ai pris de vous et mes bonnes intentions à votre égard. Si le sentiment général des convenances n'est pas assez fort pour vous empêcher de vous conduire grossièrement avec vos camarades, je puis du moins espérer que votre propre intérêt et le respect pour un maître qui n'a jamais été dur à votre égard, vous paraîtront de quelque poids.
»Votre, etc.
BYRON.
»P. S. Je désire que vous vous appliquiez à votre arithmétique, que vous vous occupiez à arpenter, à lever des plans, que vous vous rendiez familier dans tout ce qui concerne la terre de Newsteadt, enfin que vous m'écriviez une fois par semaine, pour que je voie où vous en êtes.»
LETTRE LXXXV
25 janvier 1812.
«Mes reproches ne tombaient pas sur votre refus de porter la lettre, cela ne rentre pas dans vos attributions; mais, s'il faut en croire cette fille, vous lui avez parlé d'une manière très-inconvenante.
»Vous dites que vous aussi vous auriez des plaintes à former: exposez-les moi donc immédiatement; il ne serait ni juste, ni conforme à mon usage de n'écouter que l'une des deux parties.
»S'il s'est passé quelque chose entre vous, avant ou depuis mon dernier séjour à Newsteadt, ne craignez pas de me le dire. Je suis sûr que vous, vous ne voudrez pas me tromper, et je n'en voudrais pas dire autant d'elle. Quoi qu'il soit arrivé, je vous le pardonnerai à vous. Je ne suis pas sans avoir eu déjà quelques soupçons à cet égard, et je suis certain qu'à votre âge ce n'est pas vous qui seriez à blâmer si la chose était arrivée. Ne consultez personne sur votre réponse, mais écrivez immédiatement. Je serai d'autant plus disposé à vous écouter favorablement, que je ne me souviens pas de vous avoir jamais entendu prononcer un seul mot qui pût nuire à quelqu'un; je suis convaincu que vous n'avancerez pas sciemment un mensonge. Personne ne vous fera impunément le moindre tort, tant que vous vous conduirez comme il convient. J'attends une réponse immédiate.
»Votre, etc.»
BYRON.
C'est à la suite de cette correspondance qu'il acquit la certitude de quelques légèretés dans la conduite de la fille en question, et qu'il la renvoya ainsi qu'une autre servante. On verra dans la lettre suivante, à M. Hodgson, quelle profonde impression cette découverte avait faite sur son esprit.
LETTRE