M. Murray avait donné 600 livres sterling de ce poème; mais Byron en avait abandonné la propriété à M. Dallas 18, de la manière la plus simple et la plus délicate, disant en même tems que jamais il ne consentirait à recevoir un sou pour ses écrits, résolution dictée par l'orgueil et la générosité réunies, dont il se départit sagement dans la suite, quoiqu'elle eût été suivie jusqu'au bout avant lui par Swift 19 et par Voltaire. Ce dernier abandonna à Prault et à d'autres libraires le produit de la plupart de ses ouvrages; et quant aux autres, il en reçut quelquefois la valeur en livres, mais jamais en argent. Byron avait eu d'abord l'intention de dédier son ouvrage à son jeune ami, M. Harness; mais il y renonça en y réfléchissant plus mûrement. Après lui avoir annoncé ce changement de résolution dans une lettre qui malheureusement s'est perdue ainsi que plusieurs autres, il en donne pour raison que, plusieurs parties de son poème pouvant faire une impression défavorable pour lui-même, il craignait qu'une partie de l'odieux ne retombât jusque sur son ami, et ne lui portât préjudice dans la carrière qu'il se disposait à embrasser.
Note 18: (retour) Après lui avoir parlé de la vente et réglé tout pour la seconde édition, je dis: «Comment puis-je penser à la rapidité de la vente, aux profits qui en résulteront, sans songer… – À quoi? – Aux sommes que cet ouvrage pourra produire. – Tant mieux, je voudrais qu'elles fussent doubles, triples; mais ne me parlez pas d'argent. Je ne recevrai jamais d'argent pour mes ouvrages.» (Souvenirs, par M. Dallas.)
Note 19: (retour) «Je n'ai jamais, dit Swift dans une lettre à Pulteney. (12 mai 1735), reçu un sou de mes ouvrages, si ce n'est une fois.»
Peu de tems après la publication de Childe-Harold, le noble auteur vint me faire une visite le matin; et me mettant dans la main une lettre qu'il venait de recevoir, me pria de vouloir bien me charger pour lui de toutes les démarches que cette lettre pourrait nécessiter. Elle lui avait été remise par M. Leckie, auteur bien connu d'un ouvrage sur les affaires de la Sicile, et elle venait d'un des anciens coryphées du monde fashionable, le colonel Gréville. Son but était de demander de Lord Byron, comme auteur des Poètes anglais et les Journalistes écossais, une réparation convenable de l'injure que le colonel pensait avoir reçue dans certains passages relatifs à sa conduite comme directeur de l'Argyle-Institution, passages de nature, selon lui, à blesser son honneur. Il y avait dans la lettre du brave colonel des expressions un peu fortes, et que Lord Byron n'était pas disposé à laisser passer, quoiqu'il convînt bien d'avoir eu les premiers torts: «Aussi, me dit-il, lorsque je la lui remis, il n'y a qu'une manière de répondre à une pareille lettre.» Toutefois, il consentit à s'en remettre entièrement à moi sur toute cette affaire; et bientôt après, j'eus une entrevue avec le témoin du colonel Gréville. Je ne le connaissais aucunement alors: il me reçut avec la plus grande politesse, et montra toute la disposition possible de terminer à l'amiable l'affaire qui nous réunissait. Comme je commençai par lui représenter que les termes dans lesquels était exprimée la demande de son ami devaient être changés auparavant, il consentit avec empressement à lever cet obstacle. À sa prière, je biffai avec une plume les mots qui me semblaient inconvenans; et il se chargea de faire transcrire de nouveau la lettre et de me l'envoyer le lendemain matin. Dans l'intervalle, je reçus de Lord Byron les instructions suivantes:
«Pour le passage relatif aux pertes de M. Way, on ne parle nullement que le jeu ait été déloyal, comme on peut le vérifier dans le livre, où il est même expressément ajouté en note que les directeurs ignoraient complètement ce qui se passait. Que l'on ait joué à Argyle-Rooms, on ne saurait le nier, puisqu'il y avait des billards et des dés. Lord Byron les a vus personnellement en usage. On présume que des billards et des dés peuvent bien être appelés des jeux. Le mot admis, le président de l'institution ne saurait se plaindre d'avoir été désigné comme l'arbitre du jeu… ou bien alors qu'aurait signifié son autorité?
»Lord Byron n'a point d'animosité contre le colonel Gréville. Il lui semble qu'il a le droit de parler et d'écrire publiquement d'une institution publique, dont il était lui-même l'un des souscripteurs. Le colonel Gréville était le directeur reconnu de cette institution… Il serait trop tard maintenant de discuter sur ce qu'elle peut avoir de bon ou de mauvais.
»Lord Byron doit laisser au témoin du colonel Gréville et au sien, M. Moore, la discussion de la réparation de l'injure vraie ou supposée. Tout en ayant le plus égard à ce que peut exiger l'honneur du colonel, Lord Byron prie ces messieurs de ménager aussi le sien. Si l'affaire peut se terminer à l'amiable, Lord Byron fera tout ce qui est en son pouvoir pour amener un tel résultat, sinon il est disposé à faire raison au colonel Gréville de la manière qu'il lui plaira de choisir.»
Je reçus le matin la seconde lettre, avec le billet suivant de M. Leckie.
Mon Cher Monsieur,
«J'ai trouvé mon ami au lit, très-malade; je l'ai cependant déterminé à copier la lettre ci-jointe, avec les changemens convenus. Peut-être voudrez-vous me voir ce matin; je vous attendrai jusqu'à midi. Si vous préférez que je vienne vous trouver; dites-le moi: je suis tout à vos ordres.
»Votre très-affectionné, etc.»
G.T. LECKIE.
Avec des dispositions aussi favorables des deux côtés, il est presqu'inutile d'ajouter que l'affaire ne tarda pas à s'arranger de la manière la plus satisfaisante.
Puisque j'en suis sur le chapitre des duels, je profiterai de l'occasion pour extraire quelques détails piquans du compte rendu par Lord Byron de certaines affaires de ce genre, dans lesquelles il avait été, à différentes époques, employé comme médiateur:
«J'ai été appelé au moins vingt fois, comme médiateur ou second, dans de violentes querelles. J'ai toujours trouvé moyen d'arranger l'affaire sans compromettre l'honneur des parties, ou les entraîner à des conséquences mortelles; et cela dans des circonstances fort délicates quelquefois, et ayant à traiter avec des esprits emportés et irascibles, des Irlandais, des joueurs, des gardes-du-corps, des capitaines, des cornettes de cavalerie et autres gens ejusdem farinæ. Tout cela, bien entendu, dans ma jeunesse, quand je fréquentais des compagnies à tête chaude. J'ai porté des défis de gentlemen à des lords, de capitaines à des capitaines, d'hommes de loi à des conseillers, et une fois d'un ecclésiastique à un officier de gardes-du-corps; mais je trouvai celui-ci peu disposé à terminer cette sanglante querelle sans en venir aux coups. L'affaire était venue à propos d'une femme. Je n'ai jamais vu femelle se conduire si mal que cette créature sans ame et sans cœur; ce qui ne l'empêchait pas d'être fort belle. C'était une certaine Susanne C***. Je ne l'ai jamais vue qu'une fois, et ce fut pour l'engager à dire deux mots, qui ne pouvaient lui faire le moindre tort, et qui auraient eu pour effet de sauver la vie d'un prêtre ou d'un lieutenant de cavalerie. Elle ne voulait pas dire ces deux mots; et ni moi, ni N***, fils de sir E. N***, témoin de l'autre partie, ne pûmes les lui arracher, quoique nous eussions tous deux une certaine habitude du commerce des femmes. Je parvins toutefois à arranger l'affaire sans son talisman, et, je crois, à son grand déplaisir; c'était bien la plus infernale prostituée que j'aie jamais vue, et j'en ai vu un bon nombre. Quoique mon ecclésiastique fût sûr de perdre sa femme ou son bénéfice, il était aussi belliqueux que l'évêque de Beauvais. Il ne voulait pas se laisser apaiser; mais il était amoureux, et l'amour est une passion martiale.»
Quelque désagréable qu'il fût pour lui de voir les conséquences de sa satire entraîner des explications hostiles, il était incomparablement plus embarrassé dans les cas où l'on y répondait par des témoignages d'affection. Il se rencontrait journellement à cette époque avec