Mowgli (FR). Kipling Rudyard. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Kipling Rudyard
Издательство: Проспект
Серия:
Жанр произведения: Иностранные языки
Год издания: 0
isbn: 9785392043828
Скачать книгу
l'âtre ; il vit la femme du laboureur se lever pendant la nuit et nourrir la flamme avec des mottes noires ; et quand vint le matin, à l'heure où blanchit la brume froide, il vit l'enfant de l'homme prendre une corbeille d'osier garnie de terre à l'intérieur, l'emplir de charbons rouges, l'enrouler dans sa couverture, et s'en aller garder les vaches.

      – N'est-ce que cela ? dit Mowgli. Si un enfant peut le faire, je n'ai rien à craindre.

      Il tourna le coin de la maison, rencontra le garçon nez à nez, lui arracha le feu des mains et disparut dans le brouillard, tandis que l'autre hurlait de frayeur.

      – Ils sont tout à fait pareils à moi ! dit Mowgli en soufflant sur le pot de braise, comme il l'avait vu faire à la femme. Cette chose mourra si je ne lui donne rien à manger…

      Et il jeta quelques brindilles et des morceaux d'écorce sèche sur la chose rouge. À moitié chemin de la colline, il rencontra Bagheera ; la rosée du matin brillait sur sa fourrure comme des pierres de lune.

      – Akela a manqué son coup, dit la Panthère. Ils l'auraient tué la nuit dernière, mais ils te voulaient aussi. Ils t'ont cherché sur la colline.

      – J'étais en terre de labour. Je suis prêt. Vois.

      Mowgli lui tendit le pot plein de feu.

      – Bien !… À présent j'ai vu les hommes jeter une branche sèche dans cette chose, et aussitôt la Fleur Rouge s'épanouissait au bout… Est-ce que tu n'as pas peur ?

      – Non. Pourquoi aurais-je peur ? Je me rappelle maintenant… si ce n'est pas un rêve… qu'avant d'être un loup je me couchais près de la Fleur Rouge, et qu'il y faisait chaud et bon.

      Tout ce jour-là, Mowgli resta assis dans la caverne, veillant sur son pot de braise et y enfonçant des branches sèches pour voir comment elles brûlaient. Il chercha et trouva une branche qui lui parut à souhait, et, le soir, quand Tabaqui vint à la caverne lui dire assez insolemment qu'on le mandait au Rocher du Conseil, il se mit à rire jusqu'à ce que Tabaqui s'enfuît. Et Mowgli se rendit au Conseil, toujours riant.

      Akela le Solitaire se tenait couché à côté de sa pierre pour montrer que sa succession était ouverte, et Shere Khan, avec sa suite de loups nourris de restes, se promenait de long en large, objet de visibles flatteries. Bagheera vautrait son corps souple aux côtés de Mowgli, et l'enfant serrait le pot de braise entre ses genoux. Lorsqu'ils furent tous rassemblés, Shere Khan prit la parole – ce qu'il n'aurait jamais osé faire aux beaux jours d'Akela.

      – Il n'a pas le droit, murmura Bagheera. Dis-le. C'est un fils de chien. Il aura peur.

      Mowgli sauta sur ses pieds.

      – Peuple Libre, s'écria-t-il, Shere Khan est-il donc notre chef ?… Qu'est-ce qu'un tigre peut avoir à faire avec la direction du Clan ?

      – À cause de la succession ouverte, et comme on m'avait prié de parler…, commença Shere Khan.

      – Qui t'en avait prié ? fit Mowgli. Sommes-nous tous des chacals pour flagorner ce boucher ? La direction du Clan regarde le Clan seul.

      Il y eut des hurlements :

      – Silence, toi, Petit d'Homme !

      – Laissez-le parler. Il a gardé notre Loi !

      Et, à la fin, les anciens du Clan tonnèrent :

      – Laissez parler le Loup Mort !

      Lorsqu'un chef de Clan a manqué sa proie, on l'appelle le « Loup Mort » pour le temps qui lui reste à vivre, et ce n'est guère.

      Akela péniblement souleva sa vieille tête :

      

      

      – Peuple Libre, et vous aussi, chacals de Shere Khan, pendant douze saisons je vous ai conduits à la chasse et vous en ai ramenés, et pendant tout ce temps, nul de vous n'a été pris au piège ni estropié. Je viens de manquer ma proie. Vous savez comment on a ourdi cette intrigue. Vous savez comment vous m'avez mené à un chevreuil non forcé, pour montrer ma faiblesse. Ce fut habilement fait. Vous avez maintenant le droit de me tuer sur le Rocher du Conseil. C'est pourquoi je demande : Qui vient achever le Solitaire ? Car c'est mon droit, de par la Loi de la Jungle, que vous veniez un par un.

      Il y eut un long silence : aucun loup ne se souciait d'un duel à mort avec le Solitaire. Alors Shere Khan rugit :

      – Bah ! qu'avons-nous à faire avec ce vieil édenté ? Il est condamné à mort ! C'est le Petit d'Homme qui a vécu trop longtemps. Peuple Libre, il fut ma proie dès le commencement. Donnez-le-moi. J'en ai assez de cette dérision d'homme-loup. Il a troublé la Jungle pendant dix saisons. Donnez-moi le Petit d'Homme, ou bien je chasserai toujours par ici, et ne vous laisserai pas un os. C'est un homme, un enfant d'homme, et, dans la moelle de mes os, je le hais !

      Alors, plus de la moitié du Clan hurla :

      

      

      – Un homme ! Un homme ! Qu'est-ce qu'un homme peut avoir à faire avec nous ? Qu'il s'en aille avec ses pareils !

      – C'est cela ! Pour tourner contre nous tout le peuple des villages ? vociféra Shere Khan. Non, non, donnez-le moi. C'est un homme, et nul de nous ne peut le fixer dans les yeux.

      Akela dressa de nouveau la tête, et dit :

      – Il a partagé notre curée. Il a dormi avec nous. Il a rabattu le gibier pour nous. Il n'a pas enfreint un seul mot de la Loi de la Jungle !

      – Et moi, je l'ai payé le prix d'un taureau, lorsqu'il fut accepté : un taureau, c'est peu de chose ; mais l'honneur de Bagheera vaut peut-être une bataille ! dit Bagheera de sa voix la plus onctueuse.

      – Un taureau payé voilà dix ans ! grogna l'assemblée. Que nous importent des os qui ont dix ans !

      – Et un serment ? fit Bagheera en relevant sa lèvre sur ses dents blanches. Ah ! on fait bien de vous nommer le Peuple Libre !

      – Nul petit d'homme ne doit courir avec le Peuple de la Jungle ! rugit Shere Khan. Donnez-le-moi !

      

      

      – Il est notre frère en tout, sauf par le sang, poursuivit Akela ; et vous le tueriez ici !… En vérité, j'ai vécu trop longtemps. Quelques-uns d'entre vous sont des mangeurs de bétail, et j'ai entendu dire que d'autres, suivant les leçons de Shere Khan, vont par la nuit noire enlever des enfants aux seuils des villageois. Donc je sais que vous êtes lâches, et c'est à des lâches que je parle. Il est certain que je dois mourir, et ma vie ne vaut plus grand-chose ; autrement, je l'offrirais pour celle du Petit d'Homme. Mais, afin de sauver l'honneur du Clan… presque rien, apparemment, qu'à force de vivre sans chef vous avez oublié… je m'engage, si vous laissez le Petit d'Homme retourner chez les siens, à ne pas montrer une dent lorsque le moment sera venu pour moi de mourir. Je mourrai sans me défendre. Le Clan y gagnera au moins trois existences. Je ne puis faire plus ; mais, si vous consentez, je puis vous épargner la honte de tuer un frère auquel on ne saurait reprocher aucun tort… un frère qui fut réclamé, acheté, pour être admis dans le Clan, suivant la Loi de la Jungle.

      – C'est un homme !… un homme !… un homme ! gronda l'assemblée.

      Et la plupart des loups firent mine de se grouper autour de Shere Khan, dont la queue se mit à fouailler les flancs.

      – À présent, l'affaire est en tes mains ! dit Bagheera à Mowgli. Nous autres, nous ne pouvons plus rien que nous battre.

      Mowgli se leva, le pot de braise dans les mains. Puis il s'étira et bâilla au nez du Conseil ; mais il était plein de rage et de chagrin, car, en loups qu'ils étaient, ils ne lui avaient jamais dit combien ils le haïssaient.

      

      – Écoutez