Les derniers iroquois. Emile Chevalier. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Chevalier
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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si les vaisseaux de toute dimension sont incapables de remonter les rapides et doivent, à l’exception des steamboats, se faire remorquer dans le canal pour gagner le haut Saint-Laurent, il n’est pas sans exemple que des canots dirigés par des Indiens aient descendu, ou, suivant l’expression usitée, sauté les rapides.

      Cette circonstance a donné aux compagnies des bateaux à vapeur qui mettent en communication Montréal et les localités supérieures l’idée de faire sauter les rapides à leurs navires, la route étant, à la fois, plus courte et plus agréable pour les voyageurs.

      Dans ce but, ils emploient uniquement des pilotes iroquois, auxquels ils offrent une légère rémunération.

      Dans l’après-midi du jour où Nar-go-tou-ké fut obligé de fuir pour se soustraire aux agents de la police, on avait signalé, à Caughnawagha, un vapeur qui paraissait près des îles Dorval.

      Ce vapeur était le Montréalais, affecté au service du bas et du haut Canada.

      Il arrivait de Toronto, et se rendait à Montréal.

      Ce steamboat inaugurait la réouverture de la navigation fluviale; aussi était-il pavoisé de banderoles aux couleurs chatoyantes.

      Les Indiens tirèrent au sort pour décider qui aurait l’avantage de le piloter à travers les rapides.

      Une vingtaine de petits bâtons (tout autant qu’il y avait de compétiteurs) réunis en faisceau dans la main fermée, et dont l’un était moins long que les autres, servirent à cet effet.

      C’est exactement notre jeu de la courte-paille.

      Le sort fut favorable au fils de Nar-go-tou-ké.

      Quand le Montréalais arriva en face de Caughnawagha, Co-lo-mo-o se jeta dans un canot et alla aborder le navire, qui avait renversé sa vapeur pour attendre le pilote.

      Le Petit-Aigle amarra son canot à la poupe du steamboat et grimpa lestement sur le pont.

      Après avoir salué le capitaine, il se mit au gouvernail.

      Un coup de sonnette retentit, la machine du bâtiment lâcha des sifflements stridents; ses deux hautes cheminées vomirent des torrents de fumée qui ondoyèrent, dans l’espace, comme deux panaches immenses; un bruit sourd, des craquements s’échappèrent de ses entrailles, et le navire reprit sa course.

      À cette époque, la navigation à vapeur était loin d’avoir reçu les merveilleux perfectionnements qui l’embellissent aujourd’hui.

      Le Montréalais n’avait ni la grâce, ni la beauté, ni l’éclat de nos steamboats actuels. Il ne ressemblait pas plus aux palais flottants, à plusieurs étages, tout resplendissants de glaces, de dorures, qui sillonnent maintenant les eaux du Saint-Laurent, de l’Hudson ou du Mississippi, qu’un caboteur ne ressemble à un vaisseau de haut bord.

      On n’y voyait pas de magnifiques salons, couverts de riches tapis, meublés avec un luxe féerique; pas d’élégantes cabines presque aussi commodes que les chambres de nos maisons; et surtout pas cette somptueuse chambre nuptiale (bride room) où les jeunes mariés américains aiment à couler leur lune de miel, en faisant un trip[31] vers quelque paysage renommé.

      En 1837, les steamboats canadiens n’étaient rien moins que confortables.

      Non seulement vous n’y trouviez point une table aussi délicatement servie que dans les meilleurs hôtels, mais sur la plupart vous ne pouviez même vous procurer à manger, non seulement les dames n’y avaient pas leur appartement particulier, mais on couchait pêle-mêle dans l’entrepont, sur des cadres superposés et désagréables au suprême degré.

      Heureusement que tout est relatif: le voyage en steamboat valait mieux encore que le voyage en goélette, en patache ou en carriole; les gens d’alors s’y estimaient fort à l’aise et vantaient très haut les charmes de leurs bateaux à vapeur.

      Ainsi marche le monde. Nos anciens rois manquaient de la moitié des choses qui semblent, à présent, de nécessité absolue pour les prolétaires.

      Avant un quart de siècle on se demandera peut-être comment on a pu naviguer jamais dans ces steamboats qui nous paraissent si splendides.

      De son temps, le Montréalais passait pour un chef-d’œuvre d’architecture nautique.

      Il avait cent cinquante pieds de longueur, trente de maître-bau, une puissante machine à basse pression, et jouissait d’une réputation de fin coureur justement méritée.

      Mais ce qui le faisait préférer à ses rivaux, c’est que, pour la première fois au Canada, on avait élevé sur son pont deux constructions légères en bois blanc, dans lesquelles les passagers pouvaient se réfugier lorsqu’il pleuvait et qu’ils ne voulaient pas s’exposer aux nauséabondes odeurs de l’entrepont.

      Ces constructions s’étendaient à bâbord et à tribord, contre les aubes du vapeur; elles étaient séparées par un intervalle affecté à la cage de la machine, la logette du pilote, et deux passages pour circuler de l’avant à l’arrière du vaisseau.

      Elles formaient deux salles.

      Sur la porte de l’une on lisait:

      Ladies and gentlemen cabin (cabine des dames et des messieurs).

      Et au-dessous:

      No smoking allowed (défense de fumer).

      La porte de l’autre portait cette inscription:

      Crew’s cabin (cabine de l’équipage).

      La première salle, bien éclairée et garnie de bancs de bois, était chauffée par un petit poêle en fonte. Le public s’y tenait habituellement plutôt que dans l’entrepont, où l’on mangeait et couchait, mais qui ne recevait de jour que par des lampes fumeuses.

      Nous n’avons pas besoin de dire que, quand il faisait beau, on se promenait sur le tillac, ou bien on demeurait assis sur les banquettes disposées autour de son plat-bord.

      La réouverture de la navigation signale, au Canada, la reprise des affaires: alors chacun est d’autant plus avare de son temps que, durant l’hiver, les communications sont difficiles et la bonne saison très courte, aussi, comme les navires qui font alors les premières traversées sur le Saint-Laurent, le Montréalais était-il encombré de monde.

      On y voyait pêle-mêle des Anglais, des Canadiens, des Écossais, des Irlandais, des Indiens, des Yankees; des marchands, des trappeurs, des bateliers, des bûcherons, des pêcheurs; des femmes de toutes les conditions, des toilettes distinguées et des vêtements en haillons, des physionomies avenantes et des figures hideuses; mais par-dessus tout tranchait l’uniforme rouge anglais..

      C’était un bataillon de la ligne que le gouverneur du Haut-Canada, sir Francis Head, expédiait de Toronto à Montréal, pour prêter main-forte à la troupe qui y était déjà casernée, car on appréhendait un soulèvement prochain.

      Attroupés sur le pont, les passagers devisaient des événements politiques.

      Quoique au premier aspect les races parussent confondues, un observateur n’aurait pas manqué de remarquer que les Anglais et les Écossais se rassemblaient d’un côté, les Canadiens-français, les Irlandais et les Yankees de l’autre.

      Ceux-ci s’étaient rangés à l’avant du vapeur, et ceux-là à l’arrière.

      Les femmes avaient suivi l’exemple des hommes; les Anglo-Saxonnes à la proue, le reste à la poupe.

      Plus encore que les différences de nationalités, les différences d’opinions créaient cette division.

      Parmi les passagers ainsi placés à l’avant, on ne pouvait s’empêcher de distinguer trois personnes qui caquetaient et riaient gaiement sans se préoccuper de la sombre gravité de ceux qui les environnaient. L’une était un homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, les autres deux jeunes femmes fort jolies, fort attrayantes, quoique leur genre de beauté fût en parfaite opposition, car l’aînée avait le teint blanc comme un lis, les cheveux noirs, lisses en bandeaux contre les tempes, l’air